Exposition historique : Une Histoire d’exils

L’exposition « Ressortissants d’un empire en miettes » au Centre de documentation sur les migrations humaines (CDMH) à Dudelange permet – grâce à une documentation très riche et un vrai sens de la narration – de suivre les traces d’exilé-e-s russes au Luxembourg en quête de foyer et d’identité.

Les témoignages offerts par l’exposition remettent en question notre sens des repères.

Le Centre de documentation sur les migrations humaines de Dudelange propose d’éclairer un pan très particulier et peu connu de l’histoire et de décrire les douleurs d’exilé-e-s obligé-e-s de renoncer à leur pays et à leurs racines. Qu’ils ou elles aient été d’origine juive, et donc considéré-e-s comme citoyen-ne-s de peu de droits par l’empire tsariste, ou opposant-e-s aux excès de la révolution bolchevique de 1917, des ressortissant-e-s russes en grand nombre ont été désigné-e-s traîtres, indésirables, banni-e-s ou criminel-le-s. À mesure que la Russie change de visage pour toujours, ce sont des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes qui se retrouvent jeté-e-s sur les chemins de l’exil, apatrides et sans papiers.

Ces individus anonymes, qui ont dû apprendre à renoncer à leur pays, à leur passé et à leur histoire, ce sont quelque 150.000 Russes qui errent en Europe dès les années 1920, et qui demandent asile et protection. En exposant effets personnels, courriers et photographies, le CDMH remplit sa première mission, celle qui consiste à rendre un visage, une image, une réalité à ces exilé-e-s enfoui-e-s dans les mémoires. Lors de la visite, on peut, pour quelques instants, imaginer une autre vie que la sienne, et contempler ces parcours divers, souvent marqués par la misère et la douleur. De nombreux Russes gagnent leur vie comme garde-frontières, ouvriers ou mineurs, notamment au Luxembourg.

Car le grand-duché joue bien un rôle dans cette terrible histoire. À la suite de l’effondrement des grands empires post-1918, la jeune Société des Nations doit se saisir de la question migratoire. Des centaines de milliers d’apatrides fuient les ruines de la guerre, et tentent de trouver ailleurs une chance de commencer une nouvelle vie. Le premier Haut-Commissaire aux réfugiés est un certain Fridtjof Nansen, qui propose la création de certificats d’identité et de voyage à destination des apatrides. Ces documents, nommés « passeports Nansen », permettent aux pays signataires de la convention d’accueillir certain-e-s réfugié-e-s et de bénéficier de facilités juridiques et financières pour leur installation. Le Luxembourg est un des premiers pays à signer la convention, et devient, pour de nombreux Russes, une possible terre d’accueil. Ce qui est à l’origine d’un phénomène très particulier que l’exposition a le grand mérite de montrer.

En effet, le pays accepte immédiatement cette solidarité avec les démuni-e-s, avec celles et ceux qui n’ont même plus de pays, peut-être justement parce que le Luxembourg est un pays à l’identité mouvante, aux frontières multiples, et à la taille modeste. Entre les Russes exilé-e-s et leurs voisin-e-s luxembourgeois-e-s, une certaine communauté s’installe, faite d’échanges, de curiosité, de rejet aussi, parfois. En bien et en mal, les Russes retrouvent une terre, certes étrangère, mais qui pourrait bien devenir, dans les années 1930, une terre d’accueil. En ce sens, les témoignages familiaux, intimes et touchants, mis en avant dans l’exposition permettent de mieux comprendre, de près, les mécanismes d’intégration d’une communauté étrangère, avec les défis et problèmes qu’ils présentent.

L’ensemble de ce parcours unique proposé par le CDMH est rendu possible par la très grande qualité des panneaux d’information qui accompagnent et guident la visite. Ce sont bien des histoires personnelles qui viennent rendre plus grande encore l’Histoire avec un grand H. Ce focus accordé à ces ressortissant-e-s d’un empire en miettes remet en question directement notre relation à l’identité, à l’appartenance, et permet d’imaginer un monde dans lequel tous nos repères viendraient à disparaître. Parce qu’ils et elles en ont fait l’expérience, les apatrides russes ont quelque chose à nous dire, et cette exposition rend possible un échange silencieux, entre les âges et les générations, à travers les guerres, les pertes et les espoirs persistants.

Au Centre de documentation sur les migrations humaines, gare de Dudelange-Usines, jusqu’au 16 février 2021, numérisation de l’exposition en cours.

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