Inégalités : Superprofits : vous avez dit « indécent » ?

Les multinationales de l’énergie, de l’alimentation ou de la pharmacie ont engrangé des superprofits en 2021 et 2022 en augmentant artificiellement leurs marges. Elles sont largement responsables de la flambée inflationniste. Pas vraiment une surprise. Pour Oxfam, il faut les imposer lourdement afin de lutter contre la pauvreté croissante et investir dans la transition énergétique.

L’extrême richesse et l’extrême pauvreté ont augmenté simultanément pour la première fois en 25 ans. (Photo : Frantisek Krejci/Pixabay)

Pour marquer les esprits, Oxfam sait faire parler les chiffres. Le 4 juillet, l’ONG internationale a fait le point sur les superprofits des grandes entreprises ces deux dernières années, dont l’actualité a d’abord été marquée par la covid-19, puis par l’invasion russe de l’Ukraine. Ainsi, « 722 multinationales ont engrangé chaque année 1.000 milliards de dollars de bénéfices exceptionnels en 2021 et 2022 ». Dans le même temps, « un milliard de travailleurs dans 50 pays ont subi une baisse de salaire à long terme de 746 milliards de dollars en 2022 », poursuit l’ONG. Surtout, relève Oxfam, « l’extrême richesse et l’extrême pauvreté ont augmenté simultanément pour la première fois en 25 ans ».

Pour parvenir à ces conclusions, l’ONG a analysé les derniers résultats de l’étude « Global 2000 », un classement annuel des 2.000 premières multinationales au monde publié par le magazine économique américain « Forbes », début juin pour l’édition 2023 (voir encadré). Selon Oxfam, ces « profits tombés du ciel » représentent un bond de 89 % par rapport aux bénéfices de la période 2017-2020. Les superprofits sont définis comme ceux qui dépassent de plus de 10 % les bénéfices moyens de 2017-2020.

Les grands gagnants de cette fabuleuse hausse sont les secteurs de l’énergie, de l’alimentation, de la banque, de la pharmacie, de la grande distribution et de la défense.

Pour expliquer cette distorsion, l’ONG se base sur une étude du FMI qui conclut que les multinationales ont tiré prétexte du contexte de « polycrise » pour augmenter artificiellement leurs marges, entraînant une flambée des prix dans le monde entier. De ce fait, plus de 250 millions de personnes dans 58 pays ont été touchées par une insécurité alimentaire aiguë en 2022, rapporte Oxfam. La démonstration ne surprend pas vraiment : elle confirme les données recueillies ces derniers mois par des économistes, y compris ceux et celles de la Banque centrale européenne (BCE).

« Les gens en ont assez de la cupidité des entreprises. Il est indécent que les entreprises aient engrangé des milliards de dollars de bénéfices exceptionnels alors que, partout dans le monde, les gens luttent pour se procurer suffisamment de nourriture ou des produits de base comme les médicaments et le chauffage », a déploré Amitabh Behar, directeur exécutif par intérim d’Oxfam International, lors de la présentation de l’analyse.

Des actionnaires bien soignés

Dans le domaine de l’énergie, « 45 entreprises ont réalisé en moyenne 237 milliards de dollars de bénéfices exceptionnels par an en 2021 et 2022 », note l’ONG. Alors que la fortune des milliardaires a globalement diminué depuis un an, celle des 96 milliardaires de l’énergie a progressé de 50 milliards sur un an pour s’établir désormais à 432 milliards de dollars. De façon générale, les actionnaires de ces sociétés ont tous engrangé de jolis dividendes. Le cas de TotalEnergies est à ce titre emblématique, la multinationale française ayant redistribué 10 milliards d’euros de profits à ses actionnaires sur les 19 milliards de bénéfices nets encaissés en 2022. Parallèlement, 16 % des Français-es disent ne plus manger à leur faim, selon une étude publiée en mai par le Crédoc, un organisme de recherche spécialisé dans les questions économiques et sociales.

Tout du long de son analyse, Oxfam multiplie les exemples. « En 2021 et 2022, 18 entreprises du secteur alimentaire ont réalisé chaque année en moyenne 14 milliards de dollars de superprofits, soit suffisamment pour combler plus de deux fois le déficit de financement de 6,4 milliards de dollars nécessaire à la fourniture d’une aide alimentaire vitale en Afrique de l’Est », région touchée de plein fouet par les conséquences du réchauffement climatique.

Pour une taxe de 90 %

Ces énormes bénéfices représentent un manque à gagner pour l’écrasante majorité de la population mondiale, privée des fonds nécessaires pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire, ou encore investir dans la nécessaire transition énergétique. « Une taxe de 90 % sur les superprofits de l’année dernière aurait pu générer 941 milliards de dollars », calcule l’ONG. Elle étrille la contribution exceptionnelle demandée aux énergéticiens par l’Union européenne à l’automne dernier, en raison de son manque d’ambition et de son caractère temporaire. Une taxation accrue et durable des grandes entreprises et fortunes est le meilleur moyen de lutter contre les inégalités, avance Oxfam, dont c’est là l’un des chevaux de bataille.

Sur ce terrain, la guerre est cependant loin d’être gagnée. Un accord international sur une taxe de 15 % minimum sur les bénéfices des multinationales doit entrer en vigueur à la fin de cette année. Signé par 140 pays, sous l’égide de l’OCDE, il a été présenté par les gouvernements occidentaux comme une révolution copernicienne en matière de justice fiscale. C’est pourtant loin d’être le cas. Cette taxe crée un avantage concurrentiel en faveur des plus grandes entreprises, alors que les PME s’acquittent d’un impôt sur les bénéfices atteignant souvent 25 %, voire davantage. Elle risque surtout d’engager une nouvelle course vers le moins-disant fiscal. « Convenir d’un impôt minimum mondial est un pas dans la bonne direction, mais 15 % est bien trop bas. Cela pourrait même pousser plusieurs pays à baisser leurs impôts sur les sociétés, ce qui est le contraire de l’effet recherché », déclarait le Nobel d’économie Joseph Stiglitz, en décembre. À la tête de l’ICRICT, une organisation plaidant en faveur d’une réforme équitable de la fiscalité internationale, l’économiste américain préconise une taxation à hauteur de 25 % des bénéfices pour les multinationales.

Domination américaine et chinoise

Le magazine économique américain « Forbes » publie en permanence des classements sur les entreprises et les grandes fortunes mondiales. Les méthodologies utilisées par la publication sont sujettes à débat, et d’autres médias, comme Bloomberg, publient également des classements. L’étude « Global 2000 » paraît une fois par an et répertorie les 2.000 premières entreprises mondiales selon plusieurs critères : ventes, profits, actifs et valorisation boursière. 
En 2023, les dix premières multinationales du classement sont les suivantes : 1) JPMorgan Chase (banque − États-Unis), 2) Saudi Aramco (pétrole − Arabie saoudite), 3) ICBC (banque − Chine), 4) China Construction Bank (banque − Chine), 5) Agricultural Bank of China (banque − Chine), 6) Bank of America (banque − États-Unis), 7) Alphabet-Google (nouvelles technologies − États-Unis), 8) ExxonMobil (pétrole − États-Unis), 9) Microsoft (nouvelles technologies − États-Unis), 10) Apple (nouvelles technologies -− États-Unis). La première entreprise européenne est HSBC Holdings à la vingtième place (banque − Royaume-Uni), suivie directement par la française TotalEnergies.


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