L’accord de Paris passé au crible : Confiance, défiance, espoir

Apprécier le véritable impact du résultat de la COP21 sera l’affaire des historiens. Mais dès maintenant, on décèle des faiblesses, aussi bien du côté de l’accord que de celui de ses critiques.

L’accord de Paris, un triomphe ? Action symbolique pour la fin des négociations, représentant la « ligne rouge » à ne pas franchir. (Photos : Raymond Klein)

L’accord de Paris, un triomphe ? Action symbolique pour la fin des négociations, représentant la « ligne rouge » à ne pas franchir. (Photos : Raymond Klein)

« Du fromage, on en reçoit d’ici une demi-heure, mais du cidre, il n’y en aura plus. » Dès vendredi, au Bourget, la logistique se montrait optimiste pour ce qui était de la conclusion d’un accord. J’ai opté pour une crêpe rien qu’avec des champignons et un coca. Dur pour mes collègues journalistes, les militants ONG et les négociateurs du Bourget, qui allaient devoir se passer une journée encore de cidre breton – quitte à avoir droit à du champagne français le samedi soir.

« Climate justice, climate justice. » À peine ai-je fini ma crêpe que je me précipite hors du resto, car dans l’allée principale du centre de conférences a lieu une des plus grandes actions des ONG sur le site : une centaine de militants déploie un long ruban rouge d’un bout à l’autre de l’allée. C’est supposé figurer la « ligne rouge » à ne pas franchir lors du finish des négociations. Les participants de la COP21 acceptent sans rechigner d’avoir à attendre ou à faire un détour pour rejoindre les bâtiments d’en face. Il n’y a que les policiers aux visages sévères que cela semble agacer à fond. L’action ligne rouge est en tout cas tolérée, et a sans doute été préalablement autorisée. Alors que, quelques heures plus tôt, à l’extérieur du centre de conférence, la police avait empêché des militants d’Alternatiba à distribuer des tracts appelant à la manif du lendemain au Champ-de-Mars, pourtant officiellement autorisée. Un agent avait même trouvé opportun d’obliger un cadre de Greenpeace à rendre tous les tracts, sauf un, que lui avait filé un des militants.

Les visages radieux des victimes

Samedi à midi, grand rassemblement autour du sujet de la ligne rouge à l’ouest de l’Arc de Triomphe. Là encore, déploiement de rubans rouges, mais aussi parades de clowns, de cyclistes, et lâchage d’une sorte de ballons géants carrés, balancés d’un groupe de manifestants au suivant. Avec ses chants et même sa chapelle de musiciens, le rassemblement ressemblait plus à une fête qu’à une manif. Notons aussi la prédominance de participants jeunes – ce qui change de ce type d’événement au Luxembourg, comme la marche pour le climat deux semaines auparavant (woxx 1348). Si, comme l’affirme l’expert Jørgen Randers (woxx 1241), les véritables effets du changement climatique ne se feront sentir que durant la seconde moitié du siècle, c’est bien eux les premiers concernés. L’appel à cette action, non autorisée mais clairement tolérée par les forces de l’ordre, avait été lancé par « 350.org », la structure à l’origine de la campagne de désinvestissement dans les énergies fossiles.

Vers une heure et demie, tout ce monde a alors commencé à s’engouffrer dans l’avenue de Malakoff, afin de rejoindre le deuxième rassemblement. Une marche improvisée d’une dizaine de milliers de personnes en plein état d’urgence – qui eût cru cela possible après l’attitude répressive du gouvernement français deux semaines plus tôt ? La police n’a d’ailleurs guère encadré ce cortège, et, à chaque carrefour, quelques manifestants ont eux-mêmes bloqué les voitures pour permettre le passage des autres. En s’approchant de la tour Eiffel, la manif devait s’arrêter pour permettre à la police de dévier la circulation. C’est alors que, en tête du cortège, les fameux « anges du climat », des femmes habillées en blanc avec de grandes ailes, se sont accroupis, prévenant toute velléité de les déborder.

Enfin, dévalant les grands escaliers de Chaillot et contournant la tour Eiffel, le cortège a rejoint le second rassemblement autour du Champ-de-Mars. Là, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont formé des chaînes humaines, et là encore, il n’y a eu aucun incident – les policiers dans leur plus bel équipement anti-émeutes, de même que quelques ultras cagoulés, étaient venus pour rien. Les autres se sont réjouis du caractère festif et international de l’événement. Cela a été couronné par un mini-concert et quelques prises de parole affirmant le caractère « historique » de cette mobilisation. Ainsi, Geneviève Azam d’Attac a souligné le contraste avec « un accord très en dessous du changement de cap requis ». Pour elle, ce dernier n’est qu’un « bricolage constitué à partir de la somme des égoïsmes nationaux, aussi bien en matière de financement que d’objectifs de réduction des émissions ».

Copenhague, Paris, Stockholm

Après comme avant l’accord de Paris, ce sera à la société civile de faire pencher la balance en faveur de la « Terre-Mère »...

Après comme avant l’accord de Paris, ce sera à la société civile de faire pencher la balance en faveur de la « Terre-Mère »…

De retour à « PlacetoB », une sorte de quartier général alternatif regroupant militants, journalistes et artistes, en dégustant une Strongbow bien fraîche, j’avais le sentiment d’avoir partagé une expérience extraordinaire avec des dizaines de milliers de personnes. J’avais vraiment participé à « l’autre COP21 », un sentiment bien plus fort que lors des tables rondes ou du Village mondial des alternatives de la semaine précédente (woxx 1349). Bien entendu, les rassemblements de samedi dernier ont été bien plus modestes que la « marche mondiale » prévue par les ONG avant les attaques terroristes à Paris. Mais qu’elles aient eu lieu est sans doute important pour la suite de la mobilisation de la société civile. Un des jours suivants, au petit déjeuner, une militante des Philippines, ayant suivi les négociations au Bourget et agacée par leur déroulement, a souligné combien cette manif a renforcé sa confiance dans la force du mouvement citoyen mondial.

« J’avais des attentes beaucoup plus réalistes cette fois-ci qu’il y a six ans », estime Pia Oppel, journaliste de la radio 100,7, qui avait couvert la COP15 à Copenhague à l’époque en free-lance pour la radio, le magazine forum et le woxx. Elle estime que l’excellente préparation de la diplomatie française a permis d’éviter les pièges et une réédition de l’échec de 2009. L’euphorie des négociateurs a-t-elle déclenché une sorte de syndrome de Stockhom chez les ONG et les médias présents ? Oppel souligne que, comparé aux brouillons d’il y a deux mois, « illisibles », le texte final ne lui apparaît pas particulièrement « dilué ». « En assistant de trop près aux négociations, ai-je perdu de vue le contexte général ? », s’interroge-t-elle. « Je pense plutôt qu’il s’agit d’une évaluation réaliste de ce qu’on peut attendre de ce type de processus. » Et d’enchaîner sur les possibilités offertes par l’accord : « Le fait que tous ces pays aient signé permettra aux ONG de faire pression. C’est grâce à l’accord que les mouvements citoyens pourront juger leurs gouvernements à l’aune des engagements pris. » Pour Oppel, au-delà de ses faiblesses, l’accord est une arme entre les mains de la société civile mondiale.

L’ambivalence du positionnement entre réalisme politique et conscience de l’urgence climatique se retrouve du côté des ONG. Les discours sur la grande union du mouvement citoyen masquent une réalité bien plus complexe. Rien que sur le plan formel, on ne peut pas dire que les organisateurs des deux rassemblements aient collaboré – la plupart appelant à rejoindre soit l’un, soit l’autre. Ensuite, il n’y a qu’à comparer le ton des déclarations officielles de Greenpeace international et celui de la « Gazette de la COP » de Greenpeace France pour réaliser combien peuvent différer les appréciations à l’intérieur même d’une organisation.

Changer le système ?

… notamment en envisageant des solutions hors des sentiers battus, si nécessaire aux dépens d’un système libéral et capitaliste.

… notamment en envisageant des solutions hors des sentiers battus, si nécessaire aux dépens d’un système libéral et capitaliste.

Et rien de plus normal : on peut trouver que le résultat des négociations est appréciable au vu de la marge de manœuvre laissée par la puissance des lobbys, le chantage de grandes puissances comme les États-Unis et la timidité entre autres des Européens. Mais si on replace l’accord obtenu dans le contexte de la discussion générale, avoir des engagements de baisse des émissions, des « Intended Nationally Determined Contributions » (INDC) insuffisants et non contraignants, être passé à côté d’un objectif strict de 1,5 degré peuvent être considérés comme des revers importants, alors que ce traité encadrera les politiques climatiques des décennies à venir. Ces multiples façons de voir ne sont pas forcément une mauvaise chose. « Ceci n’est que le début », ont affirmé les organisateurs des mobilisations citoyennes. Ce ne sera un bon début que s’ils parviennent à mener un débat sur l’appréciation des résultats et à définir une stratégie commune où tout le monde retrouve son compte.

Mais il n’y a pas que les ONG critiques qui doutent que le nouveau traité empêche une montée des émissions de CO2. On retrouve aussi, ô surprise, Hans-Werner Sinn, président de l’institut allemand Ifo. L’économiste libéral déplore l’absence d’instruments permettant de faire pression sur les pays « de mauvaise volonté ». Ainsi, « les pays de bonne volonté réduiront dans la douleur la consommation d’énergies fossiles, tandis que les autres profiteront de la baisse des prix et consommeront les quantités libérées de cette façon ». Pour Sinn, la solution consisterait en un marché mondial des droits d’émissions. Les mouvements citoyens en déduiront plutôt que c’est la logique capitaliste de profit et de concurrence même qui obstrue la voie vers des politiques climatiques efficaces.

C’est ce type de réflexion qui s’exprime à travers le slogan, de plus en plus populaire lors des manifs, « Changeons le système, pas le climat ». À part du côté des anticapitalistes purs et durs, l’idée n’est pas de remplacer le système capitaliste par un autre système préalablement défini. Il s’agit simplement d’affirmer que les solutions au changement climatique devront être imposées là où ce sera nécessaire, aux dépens d’un système capitaliste et libéral, et aux dépens de ceux qui en profitent. Et, par-delà des aspirations écologiques et sociales, certains – tel le penseur américain Charles Eisenstein – invitent aussi à une révolution dans notre manière de concevoir la société humaine et son rapport à la nature.

« Un accord ambitieux et crédible, un manifeste pour un monde meilleur », c’est ce que clame le communiqué officiel du gouvernement luxembourgeois. Que de la frime de la part du pays exerçant la présidence de l’Union européenne ? Non, car à cause du véto étasunien, il était clair qu’une partie de l’accord ne pourrait pas être légalement contraignante. C’est notamment le cas des engagements volontaires chiffrés des États en matière de réduction d’émissions de CO2. Néanmoins, il y aura une obligation de s’efforcer de réaliser ces engagements. Plus important, et c’était l’un des chevaux de bataille de la ministre luxembourgeoise Carole Dieschbourg, les États devront revoir leurs engagements tous les cinq ans, et toujours vers le haut. Rappelons que les engagements INDC actuellement proposés conduiront à terme à un accroissement de la température atmosphérique d’environ trois degrés.

Or, une des grandes percées des négociations a été l’inscription d’un objectif à long terme d’un réchauffement bien inférieur à deux degrés, et même celui de s’efforcer de rester en dessous d’un degré et demi. La formulation a été qualifiée de vague par Steffen Kallbekken du centre de recherche Cicero. Surtout, il a rappelé que, avec les INDC actuels, on risque d’avoir épuisé le budget carbone compatible avec l’objectif de 1,5 degré dès 2020. Pour rendre cohérents les engagements INDC avec l’objectif à long terme, il faudrait donc les revoir à la hausse au plus vite.

Le marché, ça réchauffe

Les pays vont se concerter une première fois en 2018, mais la première véritable révision n’aura lieu qu’en 2023. Ce n’est pas très bon : interviewé durant les négociations, Claude Turmes avait insisté sur l’importance de revoir les objectifs avant 2020. Mais l’eurodéputé vert luxembourgeois ne désespère pas. « En 2018, il y a une bataille politique à mener. Il y aura un rapport du groupe d’experts intergouvernemental (IPCC) qui plaidera sans doute en faveur d’un réchauffement limité à 1,5 degré et constatera qu’on n’est pas sur cette trajectoire-là. » Or, les pays doivent transformer leurs INDC en NDC – engagements formels de baisse d’émission – avant 2021. « J’espère qu’un nombre significatif de pays se résoudra à ce moment-là à revoir à la hausse leurs engagements », dit Turmes.

Autre subtilité du texte adopté à la COP21, considéré comme potentiellement dangereuse aussi bien par le site « Carbon Brief » que par la journaliste Pia Oppel : le blanc-seing accordé aux marchés internationaux de quotas d’émissions. Le paragraphe 108 demande aux États de « rendre compte de manière transparente des résultats en matière d’atténuation transférés au niveau international (…) afin de promouvoir l’intégrité environnementale et d’éviter un double comptage ». À partir de là, tout semble possible. Claude Turmes évoque la possibilité que les anciens pays industrialisés achètent à bon compte des crédits carbone liés à la préservation de forêts tropicales dans des pays comme le Brésil. « Le prix de ces crédits est actuellement de 1,5 euro par tonne – et cela fera inévitablement baisser le prix au sein de l’ETS, le système d’échange de quotas européen. » L’expérience de l’ETS rend Turmes extrêmement sceptique par rapport à ce type de méthode. « En fait, ce système n’a jamais fonctionné en Europe, et cela est surtout dû à la présence de plus d’un milliard de tonnes de crédits carbone venus surtout de Russie et de Chine. » Pour lui, une internationalisation de l’ETS serait très dommageable.

Si le ton du communiqué du gouvernement luxembourgeois a été triomphant, lors de sa conférence de presse de lundi, la ministre de l’Environnement s’est montrée plus nuancée. « En ce qui concerne la décarbonisation, nous n’avons pas pu imposer notre formulation », a regretté Carole Dieschbourg. Mais la ministre s’est consolée du fait que, « en fin de compte, l’accord dit exactement cela : il faut atteindre la neutralité carbone ». Les experts, quant à eux, discutent encore pour savoir si cette formulation vague est vraiment satisfaisante. Ce qui est clair, c’est que le traité n’évoque pas l’objectif de laisser sous terre la plus grosse partie des réserves d’énergies fossiles, couplé à l’obligation de couper les subventions directes et indirectes à leur exploitation. Or, il serait sans doute plus facile de limiter et de contrôler des objectifs en termes de consommation fossile qu’en termes d’émission de gaz à effet de serre. Reste à voir dans quelle mesure la campagne citoyenne de désinvestissement permettra d’atteindre ce même objectif – qui aurait clairement dû faire partie d’un « accord ambitieux et crédible ».

Double langage européen

Le sujet des énergies fossiles met également en évidence les contradictions d’un pays comme le Luxembourg en termes de cohérence de sa politique climatique. En effet, le grand-duché est l’un des pays qui subventionnent le plus ces énergies, du fait de l’aide indirecte que représentent les taxes relativement basses sur les carburants. Si la fameuse réforme fiscale ne devait apporter aucune avancée significative en la matière, cela constituerait une des grandes déceptions de la participation gouvernementale verte.

Le Luxembourg est aussi un digne représentant de l’hypocrisie des pays du Nord expliquant au Sud ce qu’il faut faire. Que répondre quand, au bar du « PlaceToB », une militante bolivienne affirme que son pays devrait imiter les Européens qui auraient compris qu’il faut protéger les forêts ? On se retrouve à avouer que les Européens aiment bien protéger les forêts boliviennes, mais que le Gréngewald a été sacrifié pour une route qui ne sert à rien, et que les fameuses mesures de compensation, 25 ans après avoir été décidées, ne sont toujours pas réalisées. Mes amis français à « PlaceToB », qui ne peuvent réprimer une pointe de fierté quant à l’efficacité diplomatique de leur gouvernement, sont également gênés, tant par la persistance du recours à l’énergie nucléaire que par le retard subséquent en matière de développement des renouvelables.

Enfin, pour ce qui est de l’Union européenne dans son ensemble, il n’y a pas de quoi être fier. Certes, l’UE, à la tête de la « high ambition coalition » qu’elle a formée avec les États insulaires, a réussi à inscrire le chiffre de 1,5 degré dans le traité. Mais saura-t-elle en tirer les conséquences ? « Si l’Union prend au sérieux l’objectif d’accroissement de température qu’elle a défendu à la COP, elle doit aller bien au-delà de ses objectifs en termes de réduction des émissions carbone », prévient Claude Turmes. Actuellement, elle s’est engagée à une réduction d’au moins 40 pour cent en 2030 par rapport à 1990. Or cette tâche collective n’a pas encore été répartie parmi les États membres. « Si, de toute façon, il faut aller plus loin », constate le député européen, « la Commission devrait formuler un objectif plus ambitieux avant de commencer à négocier la répartition. » Il rappelle que « la Pologne n’a acquiescé aux 40 pour cent que du bout des lèvres ». Alors, avec un nouveau gouvernement bien plus eurosceptique, on se demande comment l’Europe arrivera à tenir ses promesses climatiques. Et, si elle n’y parvient pas, cela ne donnera-t-il pas déjà le signal pour une première débandade de la « nouvelle dynamique » soi-disant lancée avec l’accord de Paris ?


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