Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne pourrait changer la donne dans le monde des réseaux sociaux. Le transfert de données entre l’UE et les États-Unis devra être réadapté de façon drastique.
En 2012, alors que le monde découvrait avec effroi les méthodes de la NSA américaine et l’étendue de sa surveillance suite aux révélations d’Edward Snowden, le combat de l’Autrichien Max Schrems semblait un mélange de Don Quichotte contre les moulins à vent et de David contre Goliath.
À l’époque, le woxx avait interviewé le jeune activiste pour un article sur la protection des données, et ce qu’il disait faisait froid dans le dos : les grandes plateformes de réseaux sociaux comme Facebook, mais aussi des firmes comme Microsoft ont ouvert l’accès à leurs données aux services secrets américains. Et ne peuvent pas communiquer là-dessus, à cause des « gag orders » (obligations de silence) qu’elles doivent signer. Une pratique inexistante en Europe,sans laquelle des succursales européennes de firmes américaines auraient pu avoir à indiquer quelles données elles stockent et quels services de renseignement peuvent y accéder.
Du port au bouclier
Un état de fait que l’activiste ne voulait pas accepter. Il s’est lancé dans une première bataille juridique contre Facebook Ireland – où de nombreux serveurs du réseau se trouvent – et la commission de protection des données irlandaise. Avec un premier succès retentissant en automne 2015 : les accords « Safe Harbor » sur les transferts de données entre l’Europe et les États-Unis ont été délégitimés par la CJUE. Malheureusement, la Commission européenne n’a rien trouvé de mieux que de négocier de nouveaux accords pas forcément mieux : l’« EU-US Privacy Shield » – un document élaboré début 2016 par les commissions nationales de protection des données (donc aussi la CNPD luxembourgeoise). Les critiques ont été vives il y a quatre ans, avec Edward Snowden twittant de son exil moscovite : « Ce n’est pas un bouclier pour la sphère privée, mais bien un bouclier qui empêche les services secrets de devoir rendre compte. » Tandis que Schrems considérait la mise en place de ce « bouclier » comme une invitation à retourner devant la CJUE.
Ce qui est désormais chose faite. Dès que le règlement général sur la protection des données (RGPD) a été mis en place, Schrems, avec sa nouvelle plateforme – l’ONG NOYB –, a refait le coup et gagné devant la CJUE. En détail, la cour du Kirchberg a jugé que « les personnes dont les données à caractère personnel sont transférées vers un pays tiers sur le fondement de clauses types de protection des données doivent bénéficier d’un niveau de protection substantiellement équivalent à celui garanti au sein de l’Union par ce règlement ». En bref, que le « bouclier » ne protége pas assez les citoyen-ne-s européen-ne-s de l’intrusion des services secrets américains. Les conséquences seront multiples et complexes. D’abord, elles ne présagent rien de bon pour les relations entre les États-Unis et l’Europe, même si Donald Trump devrait quitter la Maison Blanche après les élections de novembre. Rappelons que le scandale Snowden est tombé sous la législature Obama, et que le lauréat du prix Nobel de la paix n’a rien entrepris pour empêcher ses services de s’abreuver de données personnelles afin de garder leurs avantages stratégiques en matière de défense et d’espionnage économique. Gageons qu’avec un Joe Biden à la Maison Blanche, il ne sera pas tellement plus facile de faire valoir les droits des citoyen-ne-s européen-e-s.
Puis, comme l’écrit le cabinet d’avocats DLA Piper dans un communiqué sur l’affaire : « Les autorités européennes responsables de la protection des données auront la tâche peu enviable de déterminer la suffisance des garde-fous [des mécanismes de transfert de données] », c’est-à-dire leur conformité au RGPD. Reste à voir si l’Europe politique va encore une fois se mettre à genoux devant les exigences américaines ou si, cette fois, elle exigera et obtiendra les protections nécessaires. En tout cas, les activistes de NOYB lui ont procuré une belle occasion de renforcer sa position.