À la fin de la semaine dernière, une perquisition a eu lieu dans les collections du Musée national d’histoire et d’art (MNHA). Vu le silence assourdissant qui l’entoure, on ne peut que spéculer sur l’ampleur de cette affaire.
« Mais d’où est-ce que vous sortez ça ! Qui vous l’a raconté ? Je veux savoir ! » Visiblement énervé, le directeur du MNHA, Michel Polfer, pensait que la présence policière dans sa maison, vendredi 15 février dans la matinée, serait passée inaperçue. Et il semble même que son agacement lui ait fait oublier que la presse dispose d’une protection des sources. En tout cas, Polfer n’en dira pas plus : « Je suis tenu au secret de l’instruction, comme j’ai dû le promettre au juge d’instruction devant plusieurs témoins. On m’a dit de la fermer, et c’est ce que je vais faire », explique-t-il.
Que s’est-il passé ? Selon les sources dont dispose le woxx, une perquisition aurait eu lieu au MNHA dans le cadre d’une enquête judiciaire et une collection dormant dans les caves du musée aurait été saisie. Cela contredit du moins les affirmations du directeur à notre collègue qui s’était fait dire dans le cadre d’une enquête sur la restitution éventuelle de biens culturels africains qu’« aucun sang ne coulait des vitrines » de son musée et qu’il n’y avait pas de cadavres dans le placard. Des cadavres peut-être pas, mais une collection appartenant à quelqu’un ayant des démêlés avec la justice suffisants pour que la police la saisisse, apparemment oui.
Car l’existence de ladite perquisition nous a bien été confirmée par le service de presse du parquet luxembourgeois. Celui-ci détaille qu’il s’agissait d’une commission rogatoire internationale en provenance de Belgique, et qu’il s’agissait d’une « saisie par équivalent d’avoirs ». Une telle saisie veut dire que la collection (ou du moins une partie, le parquet n’ayant pas voulu entrer dans les détails) n’a pas quitté les réserves du musée, mais qu’elle a été immobilisée et « qu’il a été fait en sorte que le propriétaire ne puisse pas la réclamer dans l’immédiat ».
Une collection immobilisée sur ordre de la justice
Ne pouvant pas en dire plus, le parquet nous a renvoyé aux « autorités requérantes », le parquet belge donc. Contacté par le woxx à plusieurs reprises, ce dernier nous a promis de faire sa propre enquête et de « revenir vers nous ». Cette piste semble donc temporairement suspendue dans notre petite enquête. Et c’est là où interviennent encore une fois nos sources : selon elles, ladite collection aurait été entreposée au MNHA vers le milieu des années 1990, probablement en 1995 ou en 1997. Ce qui ouvre une autre porte, celle des rapports d’activité du MNHA, où sont listés année par année les acquisitions et les dons de collections.
Invoquant la nouvelle loi sur une administration transparente et ouverte, le woxx a donc contacté le ministère de la Culture afin de demander tous les rapports d’activité du musée pendant la décennie 1990. Après une relance, ce dernier nous a signifié que notre demande avait bien été prise en compte et communiquée au service concerné. Confirmant au passage que ces documents, comme nous l’avions indiqué dans notre demande, ne relevaient pas des nombreuses exceptions incluses dans ladite législation.
Le problème principal du ministère serait une question d’archivage « pour retrouver les documents demandés ». Entre-temps, nous pouvons nous rabattre sur la plateforme data.public.lu où les rapports du ministère de la Culture (qui comprennent ceux du MNHA) sont en téléchargement libre – même si, comme avertit le ministère, il y aurait « un manque de cohérence dans les archives » et que les rapports ne seraient pas complets.
Rapports manquants sur le portail public
Après un épluchage en règle des données, plusieurs constats s’imposent. Premièrement, les rapports conservés sur le portail de la nouvelle culture de transparence voulue par le gouvernement ne commencent qu’en 1993, et deuxièmement il y a effectivement des rapports incomplets. Et comme par hasard, il s’agit exactement de ceux qui nous intéressent. Pour les années 1997 et 1998, les parties concernant le MNHA (mais pas uniquement) manquent à l’appel. Sans nous lancer dans d’éventuelles conjectures conspirationnistes, il faut tout de même se demander pourquoi justement il y a des blancs dans ces documents. Pour être fair-play : il n’y a de pages blanches que dans un des rapports, et celles-ci ne concernent pas que les parties destinées au MNHA, tandis que dans l’autre, c’est carrément toute la partie qui manque. Les autres rapports complets listent bien les acquisitions, donations et prêts (par usufruit) reçus par le musée, mais aucune de ces collections ne semble assez importante pour attirer l’attention de la justice belge – surtout que, dans la plupart des cas, les larges donations étaient des legs de personnes décédées. Il faudra donc attendre que le ministère de la Culture retrouve les documents et nous les transmette – ce qui, vu les délais mentionnés dans la loi sur la transparence, peut encore prendre un bout de temps.
En attendant, une question se pose : comment est-il possible qu’une personne privée stocke ses œuvres d’art aux frais du contribuable pendant des décennies et ne paie donc rien pour le dépôt et rien pour les assurances – alors qu’en fin de compte ladite personne avait manifestement quelque chose à cacher (même si la présomption d’innocence joue ici aussi) ? Affaire à suivre…