La façon de désigner la nouvelle présidente de la Commission européenne n’a pas convaincu. Mais elle ne marque pas la fin d’une lutte qui dure depuis 1979.
Le Parlement européen (PE) a accepté – à une très courte majorité, il est vrai – le choix des dirigeant-e-s des États membres de l’Union européenne pour la présidence de la Commission européenne. Ce faisant, la majorité a aussi accepté que le système des « Spitzenkandidaten » ne soit pas appliqué. La règle selon laquelle cette présidence devait être attribuée à l’un-e des candidat-e-s mis en avant par les familles politiques avant même les élections n’était pas du goût du Conseil européen, c’est-à-dire des chef-fe-s d’État ou de gouvernement de l’Union.
Une lecture encore plus restrictive de ce système limite l’attribution du poste au « Spitzenkandidat » de la famille politique ayant obtenu le plus de député-e-s élu-e-s. Or c’est au Conseil européen que revient le droit de proposer un ou une candidat-e. Lui imposer un nom – celui de Manfred Weber (PPE) – était difficilement acceptable.
Finalement, aucune des personnalités pressenties n’a été retenue, un peu pour partager la frustration entre tous. Et pour respecter le traité de Lisbonne, qui veut que cette nomination tienne compte du résultat des élections, le Conseil a donc retenu une autre membre du PPE en la personne de Ursula von der Leyen.
Le PE aurait donc cédé sur un acquis important de la lutte qu’il mène depuis ses débuts avec les autres institutions européennes, et notamment le Conseil européen.
Le terme de « Spitzenkandidat » est parfois traduit en français par « tête de liste ». Or c’est doublement inexact : comme il n’y a pas de listes paneuropéennes, il n’y a pas de têtes de liste éligibles simultanément par tou-te-s les citoyen-ne-s. Au mieux, il y en aurait 28 par famille politique – ce qui en ferait plusieurs douzaines. Pas facile de s’y retrouver.
D’autre part, en 2014, Jean-Claude Juncker a été nommé président de la Commission européenne en tant que « Spitzenkandidat » du PPE sans être candidat aux élections nulle part, donc certainement pas tête de liste. Par ailleurs, Juncker n’avait jamais siégé auparavant au PE, mais bien au Conseil européen, duquel le PE affirme justement vouloir s’émanciper.
Si le terme de « Spitzenkandidat » s’avère intraduisible, un peu comme le « Waldsterben » des années 1980, il est également incompréhensible et de ce fait difficilement défendable. Se pose ainsi la question de savoir si la méthode est vraiment la bonne. Aux parlementaires donc de revoir le système et de trouver une façon de faire qui ne sera pas à nouveau outrepassée.
Avec 50,5 pour cent de participation aux élections, la représentativité du PE est loin d’être satisfaisante. Mais au moins elle a connu, cette année, une nette augmentation de huit pour cent. C’est en plus la première fois que la tendance a pu être inversée, depuis les premières élections européennes au suffrage universel en 1979, où encore 62 pour cent des Européen-ne-s s’étaient rendu-e-s aux urnes.
Le PE a peut-être perdu la bataille des personnes, mais il pourra d’autant mieux gagner celle des contenus.
Donc, en principe, le PE n’a pas de raison de minimiser son importance. Un autre signe réconfortant : la droite eurosceptique a été moins renforcée que prévu, tout comme l’extrême droite. Là non plus on ne peut pas être satisfait, mais il est nécessaire de bâtir sur ce résultat à l’avenir.
La nouvelle présidente de la Commission européenne s’est d’ailleurs félicitée du fait qu’elle n’avait pas besoin de votes venant des eurosceptiques. Et elle a concédé des ouvertures sur le climat, l’Europe sociale, l’État de droit… qui lui ont probablement coûté des voix dans ses propres rangs et diminué sa majorité. Mais les promesses ont été faites et les groupes politiques pourront ces prochaines années puiser dans son discours comme dans les courriers détaillés qu’elle leur a adressés avant les élections.
En remettant en question le choix du Conseil européen et en exigeant de la substance, le PE a peut-être perdu la bataille des personnes, mais il pourra d’autant mieux gagner celle des contenus – s’il se prend lui-même au sérieux.