Union européenne : La droite qu’on supporte

Le discours sur l’état de l’Union d’Ursula von der Leyen nous rappelle les mérites de la culture du compromis bruxelloise. Et ses limites dans un contexte de plus en plus sinistre.

Discours sur l’état de l’Union. Ursula von der Leyen devant le Parlement européen à Strasbourg. (Photo : EPA-EFE/Julien Warnand)

Ursula von der Leyen est incontournable. C’est ce qu’elle vient de rappeler à travers son discours sur l’état de l’Union européenne. D’une part, en se montrant à l’écoute des lobbys de l’industrie et de l’agriculture, elle consolide sa position au sein du Parti populaire européen, regroupant les partis de droite nationaux traditionnels. La présidente actuelle de la Commission européenne prépare ainsi sa nomination comme « Spitzenkandidatin » aux élections européennes à venir − même si elle devrait se déclarer le plus tard possible. D’autre part, en ménageant les sensibilités des groupes écologiste et social-démocrate au sein du Parlement européen, von der Leyen a tenté de tuer dans l’œuf l’idée de monter un front antidroite pour les élections de juin 2024.

La politicienne allemande incarne en effet la continuité d’une politique de « grande coalition », mais aussi la manière dont celle-ci a évolué au fil des décennies. Historiquement, la droite, souvent d’inspiration chrétienne, et la social-démocratie ont géré ensemble la construction européenne depuis ses débuts. Cela a abouti aux institutions et traités actuels, souvent progressistes sur le plan sociétal, mais libéraux sur le plan économique et social. Enfin, signe de l’influence des partis verts ou de la clairvoyance des élites européennes, la Commission a œuvré en faveur de programmes de protection du climat ambitieux – plus ambitieux en tout cas que ne l’aurait été la somme des ambitions des États membres. Le European Green Deal concocté par Ursula von der Leyen et Frans Timmermans représente le sommet de cette démarche. Mais entre-temps, le vent a tourné. Le Parlement joue de moins en moins le rôle d’avocat des avancées environnementales et sociales, à cause du renforcement des droites radicales et de l’affaiblissement de la social-démocratie. Le récent départ volontaire du socialiste Timmermans pourrait accélérer ce glissement à droite au sein des institutions européennes.

Le Green Deal représente à la fois un compromis aux mille défauts et un geste courageux.

Par rapport à ces évolutions, von der Leyen peut apparaître comme garante de la continuité de politiques modérées, fussent-elles insuffisantes aux yeux des groupes écologiste et social-démocrate. Sur les questions sociétales, elle a toujours défendu des idées relativement progressistes, freinée par sa propre famille politique sur des sujets comme les droits humains ou le devoir de vigilance. Quant au Green Deal, il représente à la fois un compromis aux mille défauts et un geste courageux face à l’option d’en faire le moins possible. Enfin, le temps des avancées sociales européennes est sans doute révolu, mais au moins von der Leyen a-t-elle temporisé face aux fanatiques de la stabilité monétaire et de l’austérité.

Cela dit, elle a aussi contribué à ruiner les idéaux humanistes et universalistes européens. La politique migratoire européenne continue à tuer sous prétexte de protéger – mais cette xénophobie qui considère les réfugié-es comme une menace à « gérer » est en train de devenir consensus bien au-delà des partis et médias de droite et d’extrême droite. Le renforcement de « l’Europe de la défense » voulu par von der Leyen ressemble plus à un préparatif de guerre froide qu’à une affirmation de valeurs universelles. Enfin, avec elle, pas de grand tournant en matière de politiques publiques d’industrialisation ou d’investissement (car pas de modification des traités) – juste des mesures protectionnistes, notamment contre la Chine, et qui arrangent aussi bien les industries européennes que l’allié étasunien.

Alors, von der Leyen est-elle la fossoyeuse de l’Europe ? Au contraire, elle semble utiliser ses marges de manœuvre pour mener des politiques de droite modérées, alors que plane la menace d’une alliance européenne de la droite et du centre, nourrie d’un Kulturkampf continental et poursuivant des politiques extrêmes. Sauveuse ? Non plus, car les compromis de moins en moins progressistes qu’elle peut encore négocier risquent de finir par étrangler le projet européen.


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