Dans le cadre de la série « Art au parc de Merl » sont présentées jusqu’au mois de juin 16 photographies de Laurent Sturm consacrées à l’atoll de Hao. De 1966 à 1996, celui-ci a abrité une base militaire liée au programme nucléaire français dans le Pacifique.
Si le programme d’essais nucléaires de Paris en Polynésie française s’est attiré tout au long de son déroulement les foudres des antinucléaires ou d’organisations de protection de l’environnement, il n’a pas eu, pour celles et ceux qui peuplent l’atoll de Hao, dans les Tuoamotu, que des conséquences négatives. Comme l’indique le panonceau explicatif, « la présence militaire française a engendré une croissance socioéconomique importante avec des opportunités lucratives pour les habitants, [notamment] à cause d’un nouvel accès gratuit à l’électricité et à l’eau potable. Ce développement a mené la population vers une vie quotidienne vibrante avec par exemple des boîtes de nuit et le tout premier cinéma sur le territoire polynésien ». Il est peu de dire que cette période désormais révolue continue d’attiser les passions et imprègne l’ensemble des relations entre la France et « sa » Polynésie, un territoire maritime immense offrant un avantage stratégique considérable dans le Pacifique. On pense notamment aux débats sur l’indépendance et les nécessaires réparations des préjudices subis, le « pays d’outre-mer » ayant été inscrit en 2013 sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU − même si pour l’instant la majorité de la population semble privilégier la voie de l’autonomie dans la République française.
Pas si paradisiaque
L’exposition « Nuclear Paradise » présente 16 clichés répartis en trois thèmes, dans trois emplacements différents du parc de Merl. Tout d’abord, Laurent Sturm explore la vie quotidienne sur l’atoll. La bénédiction des tombes, la pêche au thon, une cérémonie de mariage : les images, saturées de couleurs vives et joyeuses, dépeignent une existence presque rêvée, à l’exotisme voulu. C’est dans le contraste, évidemment, que se situe l’enjeu : pollués quasi à jamais (à l’échelle humaine) par des déchets radioactifs, les terres ou le lagon, si beaux à contempler, portent en eux toute une puissance destructrice invisible. On en vient à frémir pour ce pêcheur au rayonnant sourire ; le thon qu’il rapporte dans sa barque est-il bien propre à la consommation ?
Dans la deuxième partie nous sont proposés des portraits d’hommes et de femmes habitant sur l’atoll : historienne locale, ex-employé du site nucléaire de Moruroa, etc. Ici, on s’attarde sur le portrait de Bubu, présenté comme un vétéran de l’armée. Seul Blanc parmi les Polynésien-nes, il se montre dans un treillis constellé de médailles et de décorations, un insigne de colonel sur la poitrine… mais de caporal-chef de la Légion étrangère sur les manches, avec un fourreau d’épaule d’un régiment de transmissions ! Déroutant prestige de la chose militaire en Polynésie.
Consacrée aux paysages post-militaires − l’évacuation n’a eu lieu qu’en 2000 −, la troisième partie de « Nuclear Paradise » est peut-être la plus évocatrice de l’empreinte écologique et économique du programme militaire français. La nostalgie est bien là, avec cette « salle de mémoire » de l’école où trône en bonne place un portrait du général de Gaulle en visite, ou bien avec le salon de l’ancienne maison du médecin militaire. Mais le présent entaché par le passé y figure aussi, avec ce conteneur à l’abandon entouré de végétation, lequel stockait des abris anticycloniques. Excellent cliché qui, à lui seul, plante le décor dans un contexte historique qu’il ne faut jamais oublier.
En un nombre ramassé de photographies, l’exposition « Nuclear Paradise » permet de capturer le quotidien d’un atoll à première vue paradisiaque, tout en évoquant les menaces et les doutes actuels qui prennent leurs racines dans son histoire. De quoi réfléchir pendant une promenade hivernale ou printanière à Merl.
Au parc de Merl jusqu’en juin.
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