« Polindex 2023 »
 : « Étrangers et Luxembourgeois 
ont la même vision »


L’université de Luxembourg publie « Polindex 2023 », une étude qui passe au crible la composition de l’électorat, ses motivations, sa situation socio-professionnelle, ses attentes. Elle montre notamment un désintérêt plus marqué des étrangers-ères pour la politique par rapport aux nationaux. Directeur politique de l’Asti, Sérgio Ferreira commente les résultats de ce travail de recherche.

Aux législatives, le vote étranger serait quasiment identique au 
luxembourgeois et ne modifierait pas les équilibres politiques (Photo : Mohamed Hassan/Pixabay)

Le fonctionnement de la démocratie luxembourgeoise satisfait 70 % de la population en 2023 contre 82 % en 2018 ; 52 % des personnes interrogées éprouvent de la méfiance vis-à-vis de la politique ; la situation économique devient une préoccupation pour 51 % des résident-es… Ces données sont issues du « Polindex 2023 », réalisé par la Chaire de recherche en études parlementaires de l’université de Luxembourg, à partir d’un sondage annuel effectué en ligne par Ilres, auprès d’un échantillon représentatif de la population (1.000 Luxembourgeois-es et 500 étrangers-ères).

Commandée par la Chambre des députés et rendue publique le 17 juillet, cette étude quinquennale aligne chiffres et graphiques sur 228 pages et en livre à chaque fois une brève interprétation. Elle passe au crible la composition de l’électorat de chaque parti, ses motivations, sa situation socio-professionnelle, ses attentes et déceptions, etc. Le document est, à n’en pas douter, une source d’informations foisonnante pour les politiques, les journalistes, la société civile et plus largement pour les mordu-es de politique. Un livre de chevet estival pour les responsables des partis en vue des législatives du 8 octobre.

Avec la démographie particulière du Luxembourg, où près de la moitié de la population est étrangère, « Polindex 2023 » consacre une partie à la vision et aux attentes politiques des immigré-es. Le sujet a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois en raison de leur faible taux de participation aux communales (19,8 %), malgré l’assouplissement des conditions d’inscription sur les listes électorales. De façon générale, l’intérêt des étrangers-ères pour la politique luxembourgeoise est moindre que pour les nationaux. Le document livre quelques explications à ce désintérêt comme « la pratique dominante de la langue luxembourgeoise dans la sphère politique et l’entre-soi » qui s’y rattache, donnant le sentiment à cet électorat que les élu-es s’adressent avant tout aux Luxembourgeois-es.

Dans le secret de l’isoloir

Mais ce n’est pas la première chose que retient Sérgio Ferreira. Le directeur politique de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti) relève d’abord l’évolution des positions sur le référendum de 2015. « Ce qui s’est passé en 2015 reste fondamental et les résultats de l’étude tendent à faire penser qu’il y a aujourd’hui une plus grande ouverture de l’électorat, mais rien n’est moins sûr », estime-t-il. Dans « Polindex 2023 », 38 % des personnes sondées se disent désormais favorables au vote étranger à l’ensemble des scrutins alors qu’en 2015, le non avait emporté 78 % des suffrages.

S’il reconnaît là « un outil très intéressant, à décortiquer dans les semaines à venir », Sérgio Ferreira déplore néanmoins « l’absence de résultats bruts et des biais d’interprétation ». Sur le référendum de 2015, « l’étude s’affranchit du contexte de l’époque, avec un CSV qui était toujours le premier parti du pays et défendait le non. Pour la première fois aussi, on était en présence d’une coalition à trois au pouvoir, à laquelle l’électorat a voulu envoyer un message ». Il rappelle aussi qu’un sondage préalable au scrutin prédisait alors une majorité favorable au vote étranger. Il note que huit ans plus tard, l’électorat luxembourgeois y est toujours réticent, 48 % des sondé-es y étant opposé-es alors que 14 % ne se prononcent pas ou ne savent pas. « Les Luxembourgeois sont très conscients de l’importance de l’immigration pour le pays et savent qu’il n’y a pas d’avenir sans les étrangers. Dans un sondage, les personnes ont tendance à se montrer généreuses, ce qui n’est pas forcément le cas dans le secret de l’isoloir. »

Quant au désintérêt des étrangers-ères pour la politique, le directeur politique de l’Asti est convaincu que le taux d’abstention au Luxembourg atteindrait celui des pays voisins si le vote n’y était pas obligatoire. « Il y a une décrédibilisation de la politique. Elle est sans doute plus forte chez les Portugais et les Français, qui forment les deux premières communautés étrangères du pays. Il n’y a pas de miracle : ce n’est pas parce qu’ils franchissent une frontière qu’ils vont subitement s’y intéresser davantage. »

Dans les questions sur leur quotidien, les étrangers-ères se montrent plus préoccupés par le combat contre la hausse des prix que les Luxembourgeois-es (65 % contre 40 %). « Je n’aime pas dire que les étrangers sont motivés par le pouvoir d’achat, mais on ne peut pas nier que l’espoir de trouver une vie meilleure est la principale motivation de l’émigration. Les Portugais et Français qui viennent au Luxembourg ne le font pas pour la mer et la plage », ironise Sérgio Ferreira.

« Polindex 2023 » confirme que le vote étranger aux législatives ne changerait pas fondamentalement le jeu politique. Leur préférence va au centre droit, avec un léger avantage aux partis libéraux par rapport au vote des nationaux. Mais à peu de chose près, les grands partis occuperaient les mêmes positions. « Cela montre bien que les étrangers et les Luxembourgeois ont la même vision politique et pourquoi d’ailleurs serait-elle différente », interroge Sérgio Ferreira.

Appétence pour les référendums

En matière de nouveaux droits politiques, les immigré-es demandent en priorité de pouvoir initier et participer à tous les référendums, tant locaux que nationaux (78 %), de voter aux législatives (68 %), de devenir bourgmestre (55 %), parlementaire (54 %) ou ministre (51 %). Pour le directeur politique de l’Asti, la priorité donnée au référendum va de pair avec la défiance à l’égard du politique : « C’est une forme de démocratie directe et le résultat d’un référendum n’est pas interprétable, c’est oui ou c’est non. Pour les autres scrutins, la méfiance revient car les politiques ne respectent pas forcément ce qu’ils disent. »

Le manque de participation politique des immigré-es demeure un problème structurel pour le pays, selon l’Asti. « Il appartient aussi bien aux politiques qu’à la société civile de faire le job pour amener les étrangers vers la politique luxembourgeoise et cela commence par l’éducation », avance le directeur politique de l’association. Il regrette la persistance de stéréotypes qu’il illustre par la récente interview du nouveau maire de la commune fusionnée de Bous-Waldbredimus, Antonio da Costa Araujo, sur les ondes de 100.7 : « Le journaliste l’a plusieurs fois interrogé sur sa bonne connaissance du luxembourgeois alors qu’il est né au Luxembourg et qu’il a la nationalité du pays. Considérer la maîtrise de la langue comme un baromètre de l’intégration est une vision totalement dépassée et restrictive des choses ».

Cet exemple et les résultats du « Polindex 2023 » montrent, selon lui, « que les politiques ont encore du pain sur la planche pour assurer une meilleure participation des immigrés ». Rendez-vous dans cinq ans et la publication du prochain « Polindex » pour savoir si les politiques auront su mettre assez de cœur à l’ouvrage pour faire bouger les lignes.


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