Racisé-e et queer : « Les stéréotypes sexuels et raciaux sont constamment renforcés »

De l’hypersexualité à la violence sexuelle : comment l’intimité et la sexualité des personnes racisées sont-elles perçues dans la culture ? Sandrine Gashonga, présidente de Lëtz Rise Up, livre des réponses dans un entretien avec le woxx.

« Moonlight » de Berry Jenkins s’interroge sur ce que signifie être un homme noir et homosexuel. (SOURCE: imdb.com)

woxx : Sandrine Gashonga, mercredi, Lëtz Rise Up et ses partenaires ont invité à la projection de « Moonlight » (2016), entre autres un film sur la relation romantique entre deux hommes afro-américains. Cette projection a été suivie d’une table ronde intitulée « Exploration de la masculinité et de l intimité : Hypermasculinité, homophobie intériorisée et intersection des masculinités non blanches et queer ». Quels sont les éléments qui ressortent lorsque la sexualité et l’intimité de ce groupe de personnes sont traitées dans des productions culturelles ?

Sandrine Gashonga : La façon dont les identités de genre et raciales sont représentées dans les films influencent notre société et peuvent amplifier le sexisme et le racisme. La diversité parmi les acteur-ices, les réalisateur-ices, les producteur-ices, les scénaristes et les autres collaborateur-ices fait défaut depuis les débuts de l’industrie cinématographique. En outre, depuis sa création, elle a été utilisée pour justifier les hiérarchies raciales et soutenir la suprématie blanche.

À quel point?

Les stéréotypes sexuels et raciaux sont constamment redéfinis et renforcés à la télévision, au cinéma, dans les magazines et sur le web, dans les jeux vidéo – pratiquement partout. Ils façonnent les perceptions et renforcent les préjugés envers les anciens colonisés, les « indigènes ». Dans le même temps, des données récentes suggèrent que le public souhaite que les films soient plus diversifiés.

En quoi consistent les préjugés à l’égard des « anciens colonisés » que vous mentionnez ?

Les sexualités racialisées ont été produites par la colonisation en Afrique, en Asie et dans les Amériques. Les discours européens ont défini les sujets colonisés comme des êtres raciaux et donc sexuels – comme des êtres humains différents ayant des pratiques érotiques déviantes. Les fondements coloniaux et racistes de la religion, du droit et de la science ont produit des idées préconçues omniprésentes, par exemple l’avidité sexuelle des peuples autochtones et africains, ou encore la soumission sexuelle des peuples asiatiques.

Quel est l’impact de ceci sur la représentation dans le monde culturel ?

Ces stéréotypes ont eu un impact durable sur les représentations des subjectivités sexuelles des personnes racialisées dans l’art et les médias, ainsi que sur la production de connaissances universitaires. Les représentations de l’insatiabilité et de la fougue sexuelles des femmes noires et latines ; de la soumission sexuelle des femmes asiatiques ; des défaillances sexuelles des hommes asiatiques et de la sexualité prédatrice des hommes noirs découlent de siècles de circulation de ce discours dans des domaines allant de la biologie à l’anthropologie, qui ont à leur tour façonné la manière dont ces idées préconçues ont été reprises et reproduites dans la production culturelle.

« Les rôles stéréotypés attribués aux acteurs issus des minorités ethniques et raciales sont le fruit des discriminations structurelles et systémiques qu’elles vivent dans notre société luxembourgeoise. »

L’organisation antiraciste Lëtz Rise Up a participé au projet européen « Erasmus+ Sexpowerment ». (SOURCE : letzriseup.com)

La table ronde de mercredi s’est principalement concentrée sur les hommes racisés, donc en quoi leur représentation diffère-t-elle de celle des femmes racisées ?

L’hypersexualisation des femmes noires à travers les médias est une réalité. Cela ne contribue en rien à l’effacement des expériences partagées par toutes les personnes noires, voire racisées. Des études relatives au contenu de la pornographie suggèrent que, non seulement les femmes noires sont plus souvent la cible d’agressions que les femmes blanches, mais les hommes noirs sont plus souvent présentés comme les auteurs d’agressions contre les femmes et sont décrits comme étant nettement moins intimes avec leurs partenaires que les hommes blancs. Notamment, les scènes d’agression envers les femmes sont plus nombreuses dans les passages mettant en scène des couples noirs que dans toutes les autres combinaisons raciales, y compris les combinaisons interraciales.

Quelles sont les conséquences de cette hypersexualisation et de cette représentation des hommes noirs comme auteurs de violence ?

L’hypersexualisation des hommes noirs a, historiquement, conduit à une surveillance et à une intervention intense sur leurs corps. Au XIXe siècle, l’eugéniste anglais Francis Galton affirmait de manière pseudo-scientifique qu’il existait des « sauvages », avec des « différences anatomiques » entre les hommes noirs et les hommes blancs, telles que la taille du pénis et du bassin. Les hommes blancs étaient donc moralement supérieurs aux hommes noirs parce qu’ils étaient mieux contrôlés sexuellement. Les hommes noirs étaient considérés comme une menace majeure pour la santé publique, la castration étant même recommandée comme méthode de traitement préventif pour protéger la sécurité et la dignité sexuelle de la population blanche.

Comment percevez-vous la situation sur la scène culturelle luxembourgeoise ?

L’annonce raciste de casting permise par Samsa en mars 2021, cherchant « 5 hommes africains pour jouer des dealers » (woxx 1624, ndlr), a bien montré le manque de représentativité des minorités dans le cinéma, qui est en grande partie imputable aux décideurs et décideuses du milieu qui ont une lecture de notre société qui n’est plus en phase avec sa réalité diverse et multiculturelle.

À quoi attribuez-vous cela ?

Les rôles stéréotypés attribués aux acteurs issus des minorités ethniques et raciales sont le fruit des discriminations structurelles et systémiques qu’elles vivent dans notre société luxembourgeoise. Le plaidoyer en faveur d’une meilleure inclusion des minorités ethniques et raciales dans le milieu du cinéma doit s’accompagner d’une destruction des stéréotypes raciaux et ethniques.

(imdb.com)

Revenons à « Moonlight » : comment se porte la représentation des hommes racisés et queer dans les productions culturelles ?

Je parlerai des hommes noirs, dont l’expérience est plus familière pour moi. Les discours hégémoniques sur la masculinité imposent des modèles de comportement fixes dans la vie des individus. En conséquence, les hommes noirs queer sont souvent victimes d’ostracisme social en raison de leur race et de leurs pratiques non normatives, ce qui les pousse parfois à recourir à des représentations hypermasculines pour justifier leur masculinité.

« L’annonce raciste de casting permise par Samsa en mars 2021, cherchant « 5 hommes africains pour jouer des dealers », a bien montré le manque de représentativité des minorités dans le cinéma. »

Cela s’exprime-t-il pour vous dans « Moonlight » ?

Oui, « Moonlight » se concentre justement sur la marginalisation de son personnage principal, Chiron, en raison de son homosexualité et sur la construction ultérieure de son identité hypermasculine. Les comportements hypermasculins de Chiron, sont motivés par le rejet dont il a fait l’objet de la part de son environnement social en raison de ses préférences sexuelles non normatives. Pour moi, le film est un exemple positif dans le sens où, malgré les abus émotionnels et physiques infligés à Chiron, qui sont difficiles à regarder, le film traite d’un sujet que beaucoup de films de réalisateur-ices noir-es évitent, et, dans ce sens, il envoie un message clair d’espoir.

Avez-vous d’autres films à recommander ?

Il y a aussi « Get Out » (2017), un film d’horreur américain avec Daniel Kaluuya : le film oppose un personnage noir à un ennemi blanc et ceci dans un genre où les personnages noirs ont tendance à être stéréotypés, à disparaître dès les premières minutes, ou à jouer des rôles de méchant-e-s.

L’événement de mercredi, qui a donné lieu à cette interview, s’est déroulé dans le cadre du projet « Erasmus+ Sexpowerment » : ce projet, financé par la Commission européenne et récemment reconnu par la Chaire Unesco santé sexuelle et droits humains, a été conçu en synergie avec cinq organisations européennes « afin de fournir aux professionnel-les de la jeunesse des outils pratiques pour traiter du thème de la santé affective et sexuelle dans un contexte interculturel, et dans une perspective inclusive et intersectionnelle », comme l’expliquent les organisations participantes. Pendant deux ans et demi des associations belges (Comme un lundi), françaises (Élan interculturel et Brûlant-e-s) et luxembourgeoises (Lëtz Rise Up et 4Motion) ont développé du matériel pédagogique, dont l’un des objectifs est « de favoriser l’épanouissement des jeunes dans leur vie affective et sexuelle, quelles que soient leurs identités sociales et culturelles ». Pour plus d’informations sur le projet et les publications déjà parues, consultez letzriseup.lu et @sexpowerment_project sur Instagram. La projection et la table ronde ont également été soutenues par WeBelong Europe, Byborg enterprises, Le SHAW – International Sexual Health And Wellness Research Institute, Cigale, Rainbow Center et Ciné Utopia.


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