CLIMAT: L’atmosphère n’est pas une marchandise

Quelques jours avant l’ouverture des négociations sur l’après-Kyoto, la stratégie de négociation européenne, basée sur le marché des quotas, a pris un coup. Et c’est tant mieux.

Lundi dernier, les négociations mondiales sur la réduction des émissions de CO2 après 2012 ont débuté à Montréal. L’objectif de l’Union européenne est d’inclure dans un nouvel accord des pays comme les Etats-Unis et la Chine, qui restent en dehors de l’actuel accord de Kyoto. Les 25 pays membre ont choisi de faire profil bas – afin de ne pas effaroucher leurs partenaires, affirme-t-on. L’Union européenne comptait surtout mettre en avant son modèle de marché de quotas d’émissions, symbole d’une politique écologique et efficace à la fois. Les autres pays seraient invités à s’y joindre pour aboutir à un „marché global du CO2“.

Or la success story du modèle européen vient de prendre un sacré coup. La Cour de justice européenne a concédé au Royaume-Uni le droit d’augmenter les quotas accordés à son industrie, ce qui ouvre la porte au dumping en matière de protection du climat. En effet, chaque pays membre doit établir un plan de réduction des émissions de CO2, puis déterminer la part d’émissions accordée au secteur des industries les plus polluantes. Les entreprises de ce secteur pourront négocier l’échange de leurs quotas et devront payer des amendes en cas de dépassement. En augmentant la part d’émissions pour son industrie, le Royaume-Uni lui procure un avantage compétitif, même si le pays devra recourir à des bricolages pour remplir le reste du plan de réduction. D’autres Etats risquent d’embrayer le pas et de ruiner le fonctionnement du système.

L’intérêt du marché de quotas d’émissions est qu’il permet de fixer un objectif de réduction, sans régler, entreprise par entreprise, les mesures à prendre. Mettre le marché au service de l’environnement est considéré comme la panacée par une large partie de l’élite politique européenne, obnubilée par l’idéologie libérale. Il est paradoxal que le gouvernement anglais, décrié comme libéral, ait cherché la faille dans le système de quotas. Les idéologues libéraux ont été mis en échec par les lobbyistes de la grande industrie et du secteur énergétique.

Faut-il s’en plaindre? Dans le cadre européen, le système d’échange de quotas peut apparaî tre comme un moyen parmi d’autres de combattre le réchauffement climatique. Mais le recours au marché prend une toute autre connotation lorsqu’on se place dans un contexte mondial. Et ce sont les populations du Sud qui, une fois de plus, feraient les frais du modèle de „marché global du CO2“ promu par l’Union européenne.

En effet, sous le nom de mécanismes flexibles, le protocole de Kyoto prévoit l’échange de quotas entre pays très inégalement développés. Le Luxembourg, par exemple, compte acquérir des „droits d’émission“ à hauteur de 500.000 tonnes à travers sa participation à un projet de biogaz au Salvador. Ainsi, les pays les plus riches pourraient conserver un niveau d’émissions de CO2 élevé, et les pays en développement fourniraient l’essentiel des efforts de rationnement. Cela restreindrait évidemment les perspectives de rattrapage économique et de convergence de niveau de vie pour les neuf dixièmes des habitant-e-s de la planète.

Bien entendu, dans ce modèle d’échange mondial, les droits d’émission initiaux sont accordés en proportion des niveaux atteints en 1990, et non pas en fonction du nombre d’habitant-e-s du pays. Or, en vertu du principe d’égalité, chaque citoyen-ne de la planète aurait droit à environ une tonne de CO2 par an. Un-e Luxembourgeois-e en „émet“ presque 30 fois plus. L’injustice est flagrante.

Les écologistes feraient bien de se démarquer d’un tel projet de préservation du climat, qui sacrifie l’idée de justice sociale mondiale. Leur engagement, fondé sur des valeurs humanistes et universelles, ressemblerait à une simple défense d’intérêts égoï stes. De plus, ce projet créerait de fortes tensions entre les populations pour lesquelles le niveau d’émission resterait élevé et celles sur le dos desquelles on ferait porter la lutte contre le réchauffement. Cela risque, à travers des guerres économiques, puis des guerres tout court, de ruiner la survie sur la planète bien plus rapidement et plus radicalement que ne le ferait le changement climatique.


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