Depuis le 1er mars, le système des chèques-service est officiellement opérationnel. La coalition gouverne-mentale le présente comme une grande avancée tandis que l’opposition, les communes et les éducateurs parlent de cadeau électoral… empoisonné.
Quel mauvais joueur ce Claude Meisch. Le jour même de l’introduction du fameux système de chèques-service, le président du DP, le Barack Obama de la Chiers qui ambitionne de ramener les libéraux aux responsabilités gouvernementales, gâche la fête en démontant le cadeau préélectoral de la coalition. Et le bourgmestre de Differdange de dessiner sa politique familiale, où la vie familiale serait conciliable avec la vie professionnelle, où les congés parentaux pourraient être modelés de manière flexible et où les infrastructures d’accueil pour enfants seraient, à terme, gratuites, et – évidemment – de qualité. Mais bon, tout cela, vous l’aurez si vous remplissez bien sagement et en nombre suffisant, la petite case au-dessus de la liste du DP le 7 juin.
En attendant, rien ne va plus. Après le registre « hope » et « yes, we can avoir de fantastiques infrastructures pour enfants », Meisch laisse la place à un de ses pitbulls. Marc Hansen est deuxième échevin de l’idyllique commune d’Useldange. Plus connu pour paraître sympathique sur les écrans de télévision, l’animateur d’RTL se montre particulièrement agressif : « Les chèques services ne sont même pas un cadeau électoral, ce n’est que du papier cadeau ». Et il doit le savoir, lui, ce responsable communal, qui estime que les communes sont en fait les « dindons de la farce » de cette opération. Les critiques qu’il émet à l’encontre des chèques services ne sont pas nouvelles : le projet a été introduit à la hâte et les communes vont être soumises à une pression difficilement soutenable, faute d’infrastructures suffisantes.
Fin février, les Verts avaient déjà sonné le tocsin (voir woxx 994). Camille Gira, député-bourgmestre de Beckerich prévenait que « certaines maisons relais sont déjà totalement surchargées ». Même son de cloche de la part de l’échevine et députée socialiste d’Esch-sur-Alzette Vera Spautz, qui expliquait à Radio DNR que les cinq maisons relais de la métropole du fer sont déjà toutes occupées par 450 enfants.
Mais les édiles communaux ne sont pas les seuls à se plaindre. Dans un communiqué de presse, l’Association professionnelle des éducateurs et éducatrices gradué-e-s (APEG), accumule les reproches : s’ils saluent le principe même des chèques services, ils pointent du doigt, à leur tour, le manque d’infrastructures, mais également une baisse des exigences de qualification du personnel socio-pédagogique de « 90 à 40 pour cent ». Une critique qu’ils avaient déjà émise lors des débats autour de l’introduction des maisons relais il y a trois ans. Selon eux, la loi sur la création des maisons relais constitue en réalité une « mesure cachée d’épargne de la part de l’Etat ». « Cette critique m’étonne », répond Marie-Josée Jacobs, ministre de l’Intégration et de la Famille (CSV), contactée par le woxx. Pour Jacobs, cette critique serait même sans fondement, car « fausse dans les faits ». « Il n’est pas possible d’engager du personnel avec des qualifications revues à la baisse pour la simple et bonne raison que cela serait en contradiction avec l’agrément », ajoute-t-elle. Plus loin, l’APEG critique que le « rush » occasionné par les chèques services conduira à ce que les communes et les différentes structures d’accueil seront débordées, ce qui aura pour conséquences une charge supplémentaire et donc une détérioration des conditions de travail du personnel.
La grande vague arrive
Le rush est évident : contactée par le woxx, Madeleine Kayser de la Ville de Luxembourg, confirme que dans la soirée du lundi, 1.400 cartes ont déjà été délivrées. Pour l’instant, l’administration de la capitale essaie de faire avec les moyens du bord. « Il est évident que si nous avions été prévenus à l’avance, nous aurions pu mieux nous organiser », concède Kayser. Qu’à cela ne tienne, les vaillants fonctionnaires communaux tâchent de proposer des « offres plus flexibles » aux nombreuses demandes. Ce qui peut se traduire, par exemple, par encourager certains parents qui n’ont pas vraiment besoin de laisser leurs enfants une journée entière dans une crèche, de laisser la place libre une demi-journée. La ministre est consciente des problèmes d’accueil et d’infrastructures dans les communes, mais ne laisse pas échapper l’occasion de tacler au passage les responsables communaux : « Evidemment, une commune qui, en l’an 2000, n’avait pas encore mis en place les infrastructures nécessaires, ne pourra pas les avoir d’ici à septembre de cette année ». Cela promet : les chèques services semblent inaugurer une belle partie de renvoi de ballon entre l’Etat et les communes.
Autre solution : la commune négocie avec des crèches privées qui pourraient participer au délestage des structures publiques. « C’est une manière de financer les crèches privées », commente Thérèse Gorza, de déi Lénk. Car voilà, même si les crèches privées doivent se tenir à un taux plafonné à 7,5 euros de l’heure, elles sont en règle générale plus chères. Comme celles-ci ne sont pas conventionnées avec le ministère de la Famille, tout laisse à croire que c’est bien la collectivité qui devra financer le surplus des coûts.
Aussi, les services communaux sont-ils principalement attelés à expliquer aux éventuels bénéficiaires le système des chèques services. Car malgré la brochure colorée et agrémentée de dessins de l’auteur de Superjhemp, le système n’a pas encore été assimilé par tous. Lors de son discours sur l’état de la nation le 22 mai 2008, le premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV), déclarait que « plutôt que d’opter pour une augmentation globale des allocations familiales pour chaque enfant, nous introduirons l’année prochaine des chèques-service destinés aux familles avec enfants ». A première vue, le programme paraît alléchant : ainsi, les trois premières heures de garde hebdomadaires dans des structures d’accueil comme les crèches ou les maisons relais seront gratuites. A partir de la quatrième jusqu’à la 24e heure, le tarif « chèque-service » se veut modéré : trois euros de l’heure. Au-delà, et jusqu’à 60 heures, il faudra compter avec le tarif « socio-familial », plafonné à 7,5 euros de l’heure. De plus, des tarifs réduits sont prévus pour les activités culturelles et sportives. Le tout évidemment en fonction des revenus des parents.
Une mesure sélective
Et c’est là que le bât blesse. En tout cas, tout le monde ne partage pas l’avis que les chèques-service contribueront à rendre plus accessibles les infrastructures de garde d’enfants. Dans l’édition de février du bulletin de l’OGBL « Aktuell », le syndicat estime que « le chèque-service doit être considéré comme une autre forme de compensation pour la désindexation des allocations familiales ». Pire, et c’est ce que l’OGBL considère être une « différence de taille », le chèque-service constitue « une mesure sélective qui ne traite pas tous les enfants de façon égale ». En effet, ne sont concernés que les enfants âgés de moins de 13 ans ou scolarisés dans l’enseignement primaire. Et, surtout, résidant au Luxembourg. Ce qui, de fait, exclut les enfants des frontaliers. Il faut dire que l’OGBL avait déjà proposé, il y a quelques années de cela, l’introduction d’un système de chèques-service. Mais il en définissait les bénéficiaires de manière différente, notamment d’étendre l’âge des enfants à 18 ans, pourvu qu’ils soient encore dépendants financièrement des parents.
Mais d’autres mettent en doute le caractère de justice sociale du système. Ainsi, Thérèse Gorza, dans un article de l’hebdomadaire électronique Goosch.lu, établit certains calculs selon lesquels des familles aisées profiteront plus du système que des familles défavorisées, selon le principe du « qui gagne moins paye plus, qui gagne plus paye moins ». Ainsi, elle établit que « Mme X, femme de charge, famille monoparentale, gagne 1.400 euros bruts par mois. Elle a un enfant. Selon l’ancien système, pour une présence de cinq jours sur cinq, elle payait 110,24 euros par mois. Selon le nouveau système, comme son revenu est en dessous de 1,5 fois le salaire social minimum, elle devra payer, pour une présence de cinq jours sur cinq, dans une crèche qui est ouverte dix heures par jour, une somme de 146 euros ». Par contre, « Mme Y, cadre dans une banque, famille monoparentale, gagne plus de 4,5 fois le salaire social minimum. Elle a un enfant. Selon l’ancien barème, elle payait le maximum, soit 1.262 euros. Selon le nouveau système, elle paye 1.024 euros ». Confrontée à ce calcul, la ministre répond que ses services ont obtenu un résultat toutefois différent : selon elle, Madame X paierait désormais 104 euros, repas compris.
Bref, quoi qu’on en dise, le dispositif présenté en grande pompe, un peu comme autrefois le « Kannerbonus », reste un casse-tête. Marie-Josée Jacobs réfute toutefois l’argument du cadeau électoral : « Il s’agit des enfants et il faut bien commencer un jour, même si tout n’est pas encore parfait ». L’on verra lors des débats électoraux dans quelques semaines, si Juncker mettra en avant ce projet ou pas. Car s’il est considéré par de nombreux acteurs comme un cadeau empoisonné, il risque de rester en travers de la gorge de l’inamovible premier ministre.