Récompensé par la Palme d’or au dernier festival de Cannes, « Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives », du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, est un voyage hypnotique dans un univers où la mort n’est pas une fin mais un nouveau départ.
Atteint d’une grave maladie, l’oncle Boonmee s’est retiré sur ses terrres, dans une campagne quasiment vierge, cernée par la jungle. Entouré de ses ouvriers agricoles et de sa belle-soeur, il se prépare à la mort. Au soir de sa vie le spectre bienveillant de son épouse vient le chercher, suivi de son fils qui, disparu lui aussi bien des années auparavant, réapparaît sous la forme d’un grand singe noir aux yeux rouges.
« Uncle Boonmee Who Can Recall His Past Lives », d’Apichatpong Weerase-thakul, peut au premier abord paraître hermétique. Ce film aborde les plus universels des sujets – ceux de la maladie et de la mort -, mais il le fait d’une manière qui s’oppose presque violemment aux conceptions matérialistes de l’Occident. La condition humaine y est décrite comme une étape et son expiration comme un passage, conformément à une tradition bouddhiste fortement mâtinée d’animisme.
Il faut donc pouvoir lâcher prise pour entrer pleinement dans cet univers onirique où les morts cohabitent avec les vivants et les hommes avec les animaux; dans lequel l’invisible importe tout autant que le visible. Le grand talent du réalisateur thaïlandais est de savoir le saisir et l’illustrer par la grâce d’un langage cinématographique simple et inventif, avare de grands effets vuisuels, autant poétique qu’espiègle.
Pourtant ce monde d’une luxuriance infinie, dans lequel n’existe point de tragédie individuelle mais seulement le cycle immuable de la nature, est lui même menacé. Métastasé par le progrès, il s’étiole, perd peu à peu de son enchantement. Plutôt que de craindre sa propre disparition, c’est la perte de cet univers qui lui donne sens que vient hanter Boonnmee dans un rêve final annonciateur d’une ère de dictature implacable et d’aliénation de l’homme par sa propre technologie.
Ses proches, qui finalement ne le sont pas tant, participent eux-mêmes à cette décomposition. Sa belle soeur, cette citadine soudainement privée du confort de la ville, qui ne supporte ni les moustiques, ni la chaleur étouffante, ou bien ce neveu, novice en mal de haut débit qui, la nuit suivant l’enterrement, quitte discrètement son couvent pour pouvoir prendre une douche chaude et regarder la télévision.
Il reste à souligner que si les a priori spirituels du film demandent une certaine disponibilité, il en va de même du rythme de la narration. « Uncle Boonmee » n’est pas un film linéaire mais plutôt une rêverie, un voyage hypnotique qui se joue du temps, s’en empare, le distort ; une oeuvre qui impose son propre rythme. En bref, mieux vaut savoir à quoi s’attendre pour ne pas vivre un long moment de solitude au fin fond d’une salle obscure.