JAY ROACH: Plus c’est gros, mieux ça passe

Dans « The Campaign », Will Ferrell et Zach Galifianakis s’affrontent sans pitié pour une place au congrès américain. Une comédie déjantée et transgressive qui aborde toutefois de vrais problèmes.

La vacuité de la vie politique américaine prise sous la loupe de la satire.

Cam Brady (Will Ferrell), député démocrate de la quatorzième circonscription de la Caroline du Nord est un animal politique. Armé d’une dentition immaculée et toujours impeccablement coiffé, amateur de gros cigares et d’électrices légères, de slogans bateaux et de phrases toutes faites à propos de Dieu, de la famille ou de la destinée manifeste, il a été réélu à quatre reprises. Il faut dire que personne ne s’était jamais présenté contre lui. Tout cela change lorsque Marty Huggins (Zach Galifianakis) reçoit l’investiture du parti républicain. Ayant à coeur de représenter les braves gens de sa « community », ce petit commerçant moustachu et rondouillard se lance dans la campagne. Il ne va toutefois pas tarder à comprendre que tous les coups sont permis dans l’arène politique.

Réalisateur de la série des « Austin Powers » et de « Meet the Parents », Jay Roach s’essaie à la satire politique avec cet esprit déjanté et la résilience au pipi-caca qui sont sa marque de fabrique. Il a su s’appuyer sur un solide casting, au premier rang duquel on retrouve Will Ferrell ainsi que Zach Galifianakis, dont le charisme de bouc dyonisiaque et le jeu à froid ont été pour beaucoup dans le succès de « Very Bad Trip » 1 et 2. Signalons également l’apparition des deux légendes de la comédie américaine que sont Dan Aykroyd et John Goodman.

On pourra reprocher beaucoup de choses à ce film, mais sûrement pas sa timidité face à toute forme de transgression ; comme dans cette scène d’anthologie où, tentant désespérément de dépasser son adversaire pour être le premier à tapoter la joue d’un bébé, Cam Brady, emporté dans son élan, finit par écraser son gros poing sur la joue gracile de l’enfant. Les moeurs politiques sont abordées avec le même manque apparent de nuance et de subtilité. Pourtant, n’était-ce pas précisément un prédateur d’isoloir comme Jacques Chirac qui avait pour habitude de dire : « Plus c’est gros, mieux ça passe » ?

Le propre de la caricature est de grossir le trait. Si certaines scènes peuvent paraître lourdingues et vulgaires à l’excès, n’est-ce pas parce que l’objet de moquerie est déjà profondément vermoulu par ces vices ? Dans une autre scène, Huggins accuse Brady du crime infâmant de communisme en exhibant un « manifeste » que ce dernier avait rédigé à l’âge de trois ans, dans lequel il rêvait d’un monde sans argent et sans autorité. Cela ne prête d’abord qu’à rire. On en vient ensuite à songer aux boules puantes que Barack Obama et Mitt Romney s’échangent mutuellement, pour constater que la fiction n’est finalement pas si distante de la réalité.

Les personnages principaux ne sont pas complètement dénués de complexité. Brady, sous ses dehors cyniques et gouailleurs cache un vieux fonds idéaliste. Huggins ne s’est pas lancé spontanément dans le combat politique. Plus ambitieux qu’il ne veut bien le montrer, ce fils puîné d’une vieille dynastie sudiste, s’y est laissé entraîner par les frères Motch. Ces deux multimilliardaires souhaitent implanter en Caroline du Nord une gigantesque usine, n’employant que des ouvriers chinois, afin de profiter du bas coût de cette main-d’oeuvre tout en réduisant leurs frais de transport. A leurs interlocuteurs en République populaire qui se plaignent du manque de stabilité causé par les élections, ils rétorquent que dans la vie politique américaine rien n’est impossible quand on y met la somme nécessaire. Les véritables méchants, bien sûr, ce sont eux.

Avec ses gros godillots, cette comédie évoque ainsi des sujets aussi sensibles, aussi actuels que l’émergence d’une classe d’hyper-riches qui se contrefiche des intérêts nationaux ou encore l’abaissement de la vie publique sous les flots d’argent corrupteur. Il est à la fois jouissif et libérateur de voir ces phénomènes, dont rien ni personne ne semble vouloir interrompre la progression, être traités avec humour. Disons que ce doit être ça la magie du cinéma.

A l’Utopolis et au CinéBelval.


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