Candidatures étrangères aux élections : « Le plafond de verre s’est brisé »

Cette année, 336 personnes étrangères se présentent aux communales, contre 268 il y a six ans. Ce saut quantitatif est aussi qualitatif, affirment les formations politiques interrogées par le woxx. D’importantes disparités se font jour entre partis, les plus grands d’entre eux étant aussi ceux qui alignent le moins d’étrangers-ères aux élections du 11 juin.

élections, urne, vote, communales, luxembourg

Seule une personne étrangère sur cinq s’est inscrite sur les listes électorales, tandis que les candidatures étrangères sont en hausse par rapport à 2017. (Photo : Unsplash)

Au petit jeu des classements, le Piratepartei décroche la première marche du podium avec 21,8 % de candidatures étrangères, soit 44 sur 202 candidat-es. Il est talonné par Déi Lénk, qui aligne 21,4 % d’étrangers-ères. En queue de peloton, les trois grands partis ferment la marche : LSAP, DP et, en bon dernier, le CSV qui n’en compte que 38 sur 602 candidat-es (6,3 %). En pourcentage, même l’ADR et Déi Konservativ, pour lesquels la question de l’identité luxembourgeoise est pourtant centrale, font mieux.

Le classement est certes à nuancer au regard du nombre total de candidat-es présenté-es par chaque parti. L’apport d’une ou deux candidatures peut vite faire grimper les pourcentages quand les listes sont restreintes. Avec 12 candidatures étrangères sur un total de 63, Fokus, par exemple, affiche un taux de 19,1 %. À l’inverse, les 49 étrangers-ères du DP sont noyé-es dans la masse des 623 candidat-es présenté-es par les libéraux. Mais cela n’explique pas tout, comme l’illustrent assez bien les écolos. En présentant 80 candidat-es de nationalité étrangère, sur un total de 521, Déi Gréng surclasse de loin toutes les autres formations en nombre absolu.

L’écologie n’a pas de nationalité

« Les sujets du climat et de la biodiversité concernent toutes les nationalités », reconnaît Djuna Bernard, vice-présidente des verts. « C’est dans notre ADN et on nous trouve donc facilement, alors que l’identité des autres partis est plus vague. » Si Déi Gréng attirent sur les questions écologiques, ils ont aussi construit leur relation avec les étrangers-ères sur la durée : « Tout est question d’organisation, de culture et de volonté. Cela fait longtemps que nous assurons les traductions vers le français et l’allemand dans nos réunions et, ces derniers mois, nous avons fait des efforts supplémentaires », cite la vice-présidente des écolos. Il s’agit de coller à la réalité du pays : « Dans ma commune, à Mamer, il y a 51 % d’étrangers et il est normal que nous allions vers eux. » Djuna Bernard note que la plupart des étrangers-ères qui s’engagent résident souvent dans le pays depuis au moins dix ans. Le constat est partagé par les autres partis, tout comme le sont les motivations des candidat-es qui se présentent cette année : on s’engage sur des revendications précises, par exemple sur l’école, le logement ou l’aménagement d’une piste cyclable. Mais surtout, « il s’agit de personnes qui veulent d’abord donner quelque chose au pays qui les accueille », conviennent-ils tous.

« Il n’y a plus de candidats alibis », tranche même Claude Wiseler. Pour le coprésident du CSV, le faible nombre d’étrangers-ères sur ses listes est un faux débat : « Notre comptabilité n’est pas la même puisque nous avons aussi 74 candidats ayant la double nationalité. » Il cite des exemples d’élu-es déjà installé-es, comme la bourgmestre CSV de Larochette, Natalie Silva, qui a des origines cap-verdiennes. Claude Wiseler fait état d’une stratégie du parti dans ce sens : « Nous sommes dotés d’une section internationale depuis 15 ans et nous avons fait ces derniers mois un grand travail en direction des communautés, en organisant des rencontres où nous étions à l’écoute des problèmes très concrets des gens. » Sur quelque 10.000 membres revendiqués, 1.000 sont de nationalité étrangère ou ont la double nationalité, affirme Claude Wiseler. Allemand-es, Français-es et Portugais-es sont les plus nombreux-euses, mais « il y a de plus en plus d’anglophones », précise-t-il. Disposant d’un ancrage local puissant, le CSV se définit comme un grand parti populaire dans lequel les étrangers-ères ont peut-être aussi plus de mal à se frayer un chemin que dans une petite formation.

Candidatures par partis

Piratepartei : 21,8 % (44/202 candidat-es)
Déi Lénk : 21,4 % (29/135 candidat-es)
Fokus : 19,1 % (12/63 candidat-es)
Déi Gréng : 16,3 % (80/491 candidat-es)
ADR : 15,6 % (26/167 candidat-es)
Déi Konservativ : 13,2 % (5/38 candidat-es)
Kommunisten : 12,2 % (6/49 candidat-es)
LSAP : 9,3 % (49/529 candidat-es)
DP : 7,9 % (49/623 candidat-es)
CSV : 6,3 % (38/602 candidat-es)

Course aux postes dans les grands partis

Sérgio Ferreira, directeur politique de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti), y trouve aussi d’autres raisons : « Le CSV, le DP et le LSAP sont des partis de pouvoir et la concurrence pour les postes y est donc plus forte. Ces élections se jouent beaucoup sur la notoriété des candidats et, dans les petites et moyennes communes, les grands partis privilégient les plus connus, ceux qui ont une chance de gagner, et ce sont souvent des Luxembourgeois. » Il balaye d’un revers de la main la recension des binationaux car, « au Luxembourg, ils sont exclusivement luxembourgeois ».

Également interrogé sur sa faible proportion de candidatures étrangères, le DP n’a pas donné suite à nos questions (ce qui est aussi le cas de l’ADR). Côté LSAP, pas de contact direct, mais un courriel signé du coordinateur général du parti, Ben Streff : « Effectivement, le taux des candidat-es non luxembourgeois-es du LSAP pour les communales semble inférieur à nos attentes. Or, il faut relativiser et contextualiser ces chiffres. D’un côté, on a un certain nombre de candidat-es qui ont la double nationalité. De l’autre, on a un grand nombre de candidat-es luxembourgeois-es qui ont un contexte migratoire. » Soit, peu ou prou, les mêmes justifications que le CSV.

Photo : Arnaud Jaegers/Unsplash

Chez les pirates, en revanche, le conseiller politique Tommy Klein ne se fait pas prier pour commenter le bon score du parti : « Il n’y a pas vraiment de stratégie pour cibler les étrangers. C’est notre programme, le travail d’équipe, la façon dont nous communiquons et le langage utilisé, plus facile à comprendre pour un étranger. » Il reconnaît que la petite taille de la formation – 700 adhérent-es revendiqué-es – facilite leur intégration, mais cela ne suffit pas : « Il faut qu’ils s’identifient à nos programmes, qui portent sur des points très concrets de leur vie de tous les jours. On leur laisse la place là où ils sont à l’aise : ils peuvent s’impliquer à fond ou y aller plus lentement. » Les yeux déjà rivés sur les législatives d’octobre, Tommy Klein veut croire que les sondages, qui donnent six députés aux pirates, ont également créé une dynamique favorable.

Les sections locales décident

Pour sa part, Déi Lénk ne cache pas une volonté de s’ouvrir aux étrangers-ères. « Nous voulons être plus diversifiés, tant par nos membres que par nos candidats », dit Gary Diderich, coporte-parole du parti. « Mais ce sont les sections locales qui ont chacune décidé de leur approche. Elles ont choisi des personnes qui sont des relais dans les communautés, des gens qui sont en dehors de la bulle purement luxembourgeoise. » Déi Lenk n’a pas réalisé d’analyse sur les nationalités représentées, « mais ça suit plus ou moins la démographie du pays, avec sans doute une majorité de Portugais qui sont résidents depuis déjà un certain temps », indique Gary Diderich. Il cite néanmoins des étudiants guinéens, arrivés récemment, qui tenaient à s’engager en politique. De façon générale, il estime qu’il y a « un saut qualitatif, tant chez les candidats que dans les partis, où cette question avait été longtemps négligée ».

Le constat est partagé par Sérgio Ferreira : « C’est positif et il faut en faire davantage, notamment à l’école, pour diffuser l’idée que nous sommes tous acteurs de nos vies. » Il voit un réel effort des partis pour aller vers les autres. « Les candidats étrangers sont même devenus un argument électoral, c’est en phase avec la réalité de la société », relève-t-il. « Même l’ADR s’y met, ça montre que le plafond de verre s’est brisé. Pour eux, c’est fantastique de pouvoir mettre en avant leurs membres étrangers qui, à leurs yeux, sont évidemment les bons étrangers. » Cela va de soi.

Le bilan très mitigé de « Je peux voter »

« On peut toujours regarder le verre à moitié plein ou à moitié vide », a lancé Corinne Cahen le 19 avril, lors de la présentation du bilan de la campagne « Je peux voter », pour l’inscription des personnes étrangères sur les listes électorales. Assurément, la ministre de la Famille et de l’Intégration l’a vu à moitié plein et a mis l’accent sur le bond du nombre d’inscriptions enregistrées entre février et l’échéance du 17 avril, jour où était clôturé le processus en vue du scrutin communal du 11 juin. Au total, 50.084 personnes étrangères sont inscrites sur les listes, contre 34.634 en 2017. Cette progression spectaculaire est à relativiser, car le nombre d’électeurs-trices étrangers-ères potentiel-les a considérablement augmenté avec la suppression de la clause de résidence de cinq ans, en vigueur auparavant. Résultat : exprimé en pourcentage, seulement 19,8 % des étrangers-ères éligibles sont inscrit-es contre 22,8 % en 2017.

« Il faut trouver des solutions nouvelles, c’est la qualité de la démocratie et la légitimité des élus qui est en jeu », assure Sérgio Ferreira, directeur politique de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti). L’exemple de Luxembourg, où le taux d’inscription n’est que de 15 %, est à ses yeux édifiant : « Avec 70 % d’étrangers, les élus ne seront désignés que par 30 % des résidents. » L’Asti s’est montrée sévère ces derniers mois à l’encontre de « Je peux voter », critiquant notamment la pauvreté de la campagne d’information.

L’association préconise l’inscription automatique sur les listes électorales au moment de l’installation dans la commune. « La directive européenne l’autorise dans les pays où le vote n’est pas obligatoire. Mais elle ne stipule pas que c’est interdit dans des pays comme le Luxembourg, où il est obligatoire », rapporte Sérgio Ferreira, qui demande une clarification juridique sur ce point. Il constate aussi des inscriptions plus nombreuses dans les communes organisant régulièrement des consultations publiques sur des questions concrètes comme le stationnement ou les écoles, une façon d’impliquer les résident-es d’autres nationalités et de montrer que leur voix compte.

Avec près de 50 % d’étrangers-ères, « le Luxembourg a une responsabilité accrue, car cette situation est assez unique dans les démocraties », poursuit le directeur politique de l’Asti. Le problème dépasse, selon lui, l’échelon local et doit à nouveau être abordé sur le plan national, autrement dit : il faudrait permettre le vote des étrangers-ères aux législatives. « N’ayons pas peur de nous ouvrir davantage. Il y a ceux qui pensent que les étrangers ne connaissent rien à la politique locale : c’est exactement le même genre d’argument entendu contre le droit de vote des femmes. Mais cet exemple montre aussi que le vote n’est pas la solution à tout, car les discriminations se poursuivent. »


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , , , , , , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.