Deux éléments récents en matière d’intégration ont interpellé l’ancien président de l’Asti Serge Kollwelter. Dans sa contribution, il détaille les lacunes de l’intégration au grand-duché.
D’une part la mise au point d’un vaccin contre le COVID 19 de la firme allemande BIOTECH par Ugur Sahin. L’instituteur allemand de ce chercheur d’origine turc, élevé et scolarisé en Allemagne, avait prévu pour lui ce qui correspond au Luxembourg à l’enseignement modulaire (Hauptschule). Bien entendu cela n’arriverait pas chez nous: si les cas semblables que je connais ne permettent certes pas d’établir une règle, il s’avère que les non-Luxembourgeois-e-s atterrissent très souvent dans pareille filière. Dans le cas de Sahin des voisins de la famille l’ont poussé vers un lycée et vive le vaccin
PISA 2018 nous apprend que nulle part ailleurs dans l’OCDE le lien entre statut socio-économique et performances scolaires n’est aussi prononcé. «The link between socio-economic status and performance in PISA is stronger in Luxembourg than in any other PISA-participating country. Advantaged students in Luxembourg outperformed disadvantaged students in reading by 122 score points in PISA 2018 – a difference 33 points larger than the OECD average difference of 89 score points. »
L’école et le logement constituent les principaux défis en matière d’intégration des différentes couches sociales, les origines nationales ne nous renseignant guère, puisqu’’il y va aussi bien d’expats et de cadres internationaux que des nombreux travailleurs et travailleuses au salaire social minimum et de près d’un cinquième de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté.
Deuxième élément lié à l’actualité : un volumineux sondage récent nous a appris ce que pense un échantillon de 1039 résident-e-s de tout un éventail de sujets. 1039 résident-e-s luxembourgeois-e-s âgé-e-s de plus de 18 ans et ayant le droit de vote pour les élections législatives, précise le site de ILReS. L’avis de l’autre moitié de la population ne valait pas la peine, en tout cas il n’intéressait pas nos deux principaux médias qui avaient commandé le sondage. Et hop, nous voilà en plein dans les dégâts du référendum de 2015 !
L’idée généreuse de soumettre aux Luxembourgeois-e-s la proposition du droit de vote des résident-e-s me fait penser à la naissance d’un bébé. Dans ce cas, les parents politiques tout fiers, l’abandonnent immédiatement après l’accouchement. Manifestement ils ne se sentent plus responsables de son devenir, ni des dérives et tabous qui en découlent. Quelques éléments de mauvaise conscience subsistent.
C’est ainsi que l’accord de coalition du gouvernement actuel affirme dès son préambule que « L’intégration et l’inclusion socio-culturelle seront au cœur de l’action gouvernementale. » On cherchera longtemps dans les 235 pages pour en trouver une seule (!) consacrée à l’intégration. Cela donne à penser que le cœur n’y est pas ou alors qu’on n’a pas d’idées. Il y a certes le catalogue des bonnes intentions du Plan d’Action National Intégration adopté le 13 juillet 2018 et pour lequel un appel à projets a été lancé récemment, ce dont il faut se féliciter.
Où en est le plan en question après deux ans ? Le Ministère de la Famille pourrait s’inspirer du plan de développement culturel (KEP) qui joue la transparence : sur internet on peut suivre ce qu’’il en est de la mise en œuvre des différents points du KEP.
Quand on parle de transparence, autant aborder la gouvernance de la politique d’intégration. Pas moins de treize ministères font partie du comité interministériel, mais on ne trouve aucune trace des travaux de cet organe! Le programme gouvernemental stipule à la page 53 que le Comité interministériel à l’intégration procédera à l’organisation de réunions communes avec la société civile. Apparemment, deux ans plus tard, une première réunion de ce type est prévue sous peu: tant mieux! Reste à savoir si, comme pour le comité interministériel de la coopération, les compte rendus seront publiés.
Et si les organisations de la société civile se concertaient elles aussi plutôt que de se positionner plus ou moins docilement pour se voir garantir conventions et subsides ! Une plate-forme dédiée pourrait faire l’affaire !
En déshabillant Joao pour habiller Abdullah on a éliminé les foyers pour travailleur-e-s et laissé ce marché aux chambres de café.
Toujours en matière de transparence : la consultation lancée par le ministère de l’Intégration pour « repenser et redessiner la politique d’intégration au Luxembourg » est de bonne augure. Souhaitons que les nombreuses contributions sollicitées seront publiées pour être utiles de cette façon, non seulement au ministère, mais aussi au débat public et aux parlementaires appelés à organiser un débat d’orientation à la Chambre des député-e-s début 2021.
La situation alarmante dans le secteur du logement est connue, et ce depuis longtemps. Tout ou presque a été dit : un fossé gigantesque sépare les paroles et les actes. Un détail est pourtant passé quasi inaperçu tout en ayant une incidence directe sur l’intégration – à savoir la transformation des foyers de travailleur-e-s en foyers pour demandeur-e-s d’asile : en déshabillant Joao pour habiller Abdullah on a éliminé les foyers pour travailleur-e-s et laissé ce marché aux chambres de café.
La situation dramatique d’une famille capverdienne évoquée il y a quelques jours dans la presse est une autre illustration de la pénurie de logement qui frappe les familles à bas revenu – étrangères comme luxembourgeoises. Dans notre grand-duché les inégalités se creusent. Le dernier rapport du Statec «Travail et cohésion sociale» note que le coefficient Gini s’est encore détérioré durant lapériode de confinement. Ne nous disputons pas pour savoir si le seuil de pauvreté comprend 15 ou 20 % de la population. Trop c’est trop !
Avant de conclure, je voudrais me référer à Walter Benn Michaels et son petit livret « La diversité contre l’égalité » paru chez Raisons d’agir. « Il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de l’explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez qu’une proportion correcte d’entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n’avez pas généré plus d’égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe. »
On ne peut s’empêcher de penser que les moyens pour promouvoir la diversité au Luxembourg permettent aussi et surtout d’escamoter le débat sur le creusement des inégalités économiques. Mesurer la politique d’intégration dans les textes de loi, c’est le rôle des chercheurs. L’index MIPEX a noté une légère amélioration du score du Luxembourg, due notamment à l’assouplissement de la naturalisation et à l’introduction de la nationalité comme critère de discrimination. L’intégration est, d’après la loi du 16 décembre 2008, une tâche que l’État, les communes et la société civile accomplissent en commun. Si les lois ont une certaine incidence, les politiques ayant une implication sur le terrain sont essentielles. Une démarche commune des différents acteurs a besoin d’un lead, une politique d’intégration a besoin d’un lead politique.
Serge Kollwelter