Chambre des député-es : La démocratie est-elle plus forte quand on parle moins ?

Le nouveau président de la Chambre des député-es veut réduire le temps de parole des élu-es et retransmettre en direct les réunions des commissions, où s’effectue le gros du travail parlementaire. L’objectif est de renforcer la démocratie en donnant plus de visibilité à l’action des député-es. Ces propositions font l’objet d’un consensus relatif dans l’opposition.

Luc Frieden et Sam Tanson en discussion lors de la réception de Nouvel An de la Chambre. (Photo : Chambre des députés)

L’agenda politique reste léger en ces premiers jours de janvier. Il se décline surtout dans les traditionnelles réceptions de Nouvel An organisées par des ministères, institutions, partis ou communes. Entre petits fours et verres de crémant, les responsables politiques dressent le bilan de l’année passée, esquissent celle à venir, voire les cinq prochaines, alors que débute une nouvelle législature. Claude Wiseler s’est livré à l’exercice ce lundi 8 janvier dans les salons du parlement, lors d’une réception destinée en priorité aux 162 collaborateurs-trices qui administrent le Krautmaart et à laquelle les député-es n’étaient pas convié-es. Le discours du nouveau président CSV de la Chambre n’en était pas moins politique. Et, espère-t-il, porteur de changements à venir dans la façon de mener les débats et dans la transparence du travail parlementaire.

Ces réformes sont rendues nécessaires car l’heure est grave, selon Claude Wiseler. L’adhésion à la démocratie recule partout dans le monde, « qui compte aujourd’hui moins de démocraties qu’il y a 20 ans, alors que les régimes illibéraux progressent ». La confiance dans les politiques et institutions s’érode dangereusement, constate-t-il. Y compris au Luxembourg, pour lequel il cite des études et sondages parus ces derniers mois : « 52 % de la population ne fait plus confiance à la politique. S’il peut paraître réjouissant de voir que 56 % de la population fait confiance à la Chambre, on peut aussi relever que cela fait 44 % de personnes qui ne lui font pas confiance. » Or, pour Claude Wiseler, « la Chambre est la maison de la démocratie », car elle représente toutes les sensibilités, elle est le lieu « où se défendent et se construisent l’État de droit et les droits de l’homme ». Il convient donc de renforcer son rôle et de la placer au cœur du débat politique, affirme-t-il, sous le regard du premier ministre, Luc Frieden, et de sa ministre chargée des Relations avec le parlement, Elisabeth Margue, qui se tiennent à ses côtés.

(Photo : Chambre des députés)

L’objectif de Claude Wiseler est d’intéresser davantage citoyennes et citoyens au travail parlementaire, en les amenant notamment à suivre les débats sur Chamber TV. Pour les attirer vers la chaîne de la Chambre, Claude Wiseler imagine diverses pistes, dont certaines ne sont pas tout à fait neuves. En premier lieu, il veut voir les grands sujets qui préoccupent la population débattus au Krautmaart, qu’ils figurent ou non dans l’actualité ou qu’ils fassent ou non l’objet d’un projet de loi. Dans une interview, précisément diffusée sur Chamber TV dans la foulée de la réception, Claude Wiseler détaille sa pensée en citant l’intelligence artificielle, qui pose question à une large part de la population.

En attendant de définir les modalités d’organisation de tels débats, il a entamé, dès sa nomination en décembre, des discussions avec les fractions parlementaires et sensibilités politiques sur deux autres changements qu’il voudrait mettre en œuvre, ou au moins tester dans un premier temps : une réduction du temps de parole des député-es lors des séances plénières et la diffusion filmée des commissions parlementaires.

Le LSAP tient à son temps de parole

Les interventions en séance plénière sont actuellement balisées par des modèles de temps de parole définis par le règlement de la Chambre. Cela va de 5 à 80 minutes par groupe ou sensibilité politique, selon la nature des débats et le nombre de député-es dont dispose chaque parti. Dans certains cas, le parti le mieux représenté peut monopoliser le débat pendant huit heures, même si aucun groupe politique ne fait usage de cette possibilité. Dans ce système, les formations ont malgré tout tendance à vouloir épuiser leur temps de parole, quitte à répéter les mêmes arguments d’une intervention à l’autre. Résultat : la politique est souvent absente de longs discours techniques, dont le seul but est de meubler le temps imparti. Un nouveau modèle permettrait de dynamiser les débats, de leur rendre leur sens politique.

Moins de temps de parole pour plus de démocratie : est-ce vraiment possible ? Claude Wiseler relève l’ironie de la question : « Il ne s’agit pas d’avoir une chambre Facebook, mais de rendre les débats plus dynamiques, de les mener sur le terrain des opinions politiques en rendant compte de toutes les nuances, car rien n’est jamais tout à fait blanc ou tout à fait noir. » Sur un plan pratique, il s’agira de trouver un équilibre permettant à chaque parti de s’exprimer de façon équitable. Il n’est ainsi pas question, aux yeux du président, d’accorder moins de cinq minutes de temps de parole aux plus petites formations, qui ne devraient donc pas voir leur temps de parole diminuer.

Tenu à la neutralité, Claude Wiseler ne peut décider seul de ces changements. Ils devront être approuvés par les député-es. Lundi matin, les seul-es parlementaires invité-es à la réception de Nouvel An étaient les membres du bureau de la Chambre. Ancienne ministre et désormais présidente de la fraction parlementaire LSAP, Taina Bofferding convient que les interventions sont parfois redondantes et de peu d’intérêt, « chacun expliquant à son tour la loi qui est soumise au vote ». Pour autant, l’élue du Sud ne se prononce pas clairement, ce qui présage peut-être de négociations serrées pour parvenir à un accord : « Nous ne voulons pas perdre de temps de parole maintenant que nous sommes dans l’opposition. »

Également ancienne ministre siégeant désormais sur les bancs de l’opposition, l’élue Déi Gréng Sam Tanson est d’avis qu’il faut réduire le temps de parole « pour rendre les débats plus attractifs, car il est inutile de répéter les mêmes choses d’un député à l’autre, juste parce qu’il y a 20 minutes à remplir ». Avec seulement quatre parlementaires reconduits lors des législatives d’octobre, les verts ne forment plus un groupe, mais une sensibilité politique. Ils échapperaient, de ce fait, à une réforme du temps de parole. Autre opposant présent lundi à la Chambre, Fred Keup, de l’ADR, considère l’initiative d’un bon œil : « Plus un discours est long, moins il est écouté, et il sera bien mieux entendu si on réduit le temps de parole », résume-t-il au woxx.

Le CSV pris à son propre jeu

« Personne n’a envie de perdre de temps de parole et nous tenons au nôtre », ironise David Wagner. Le député Déi Lénk partage cependant l’avis de ses collègues. « Il y en a qui parlent pour ne rien dire, ils se contentent de lire un discours technique qu’ils n’ont pas écrit et dont on peut se demander s’ils le comprennent réellement », tance l’élu du Centre qui, n’étant pas membre du bureau, n’était pas convié à la réception de lundi. « L’idée serait que seul le rapporteur fasse la présentation technique du projet de loi, pour passer ensuite à un débat plus politique », dit-il dans un échange avec le woxx. David Wagner constate par ailleurs que les modèles prévoyant le plus de temps de parole ne sont pas utilisés par les grands partis : « À vrai dire, ils vont perdre un temps qu’ils n’exploitent jamais. » L’élu de la gauche est favorable à cette mesure qui n’entamera pas la liberté d’expression des petits partis. Il juge néanmoins que, dans cette affaire, le CSV est pris à son propre jeu : « Avec les deux autres partis de gouvernement (DP et LSAP), ils ont transformé la Chambre en caisse enregistreuse des volontés du gouvernement pendant des décennies, avec des députés qui évitaient la critique car ils convoitaient un poste ministériel. Le CSV en a payé le prix pendant dix ans dans l’opposition et veut donc maintenant changer les choses. »

Autre projet sur les rails : la retransmission en direct des commissions parlementaires, lieu où les député-es effectuent le gros de leur travail d’élaboration des lois. Ces commissions sont déjà filmées dans la plupart des démocraties et permettent de mieux comprendre la procédure législative ainsi que les arguments et rapports de forces à l’œuvre. Dans une phase de test, un nombre limité de commissions seraient retransmises. Pour le LSAP, Taina Bofferding se montre favorable à cette mesure qui « donne plus de transparence ».

Mais Claude Wiseler dit aussi entendre les arguments de celles et ceux qui estiment que cela affectera la liberté de parole des député-es. Fred Keup est ainsi nuancé : « L’ADR est favorable à plus de transparence, mais il y a le risque de voir des discussions moins ouvertes, moins directes. Et il y a aussi ceux qui en profiteront pour se mettre en valeur, alors qu’ils savent qu’ils sont filmés. »

Commissions : c’est le DP qui bloquait

Le raisonnement fait soupirer Sam Tanson : « C’est le vieil argument qu’on nous ressert, mais cela ne vaut pas, parce qu’on parle d’un débat politique dans lequel chacun donne sa position. » Elle rappelle que la retransmission des commissions est une revendication déjà ancienne des verts, mais qu’elle s’était jusqu’à présent heurtée au refus du DP. « Les gens font déjà attention à ce qu’ils disent, et si ça peut parfois finir en gueulante, c’est aussi le cas dans les séances plénières », relève, pour sa part, David Wagner. Également favorable de longue date à cette mesure, Déi Lénk y voit un autre avantage : « Certains députés seront peut-être plus assidus si les commissions sont filmées, et les ministres s’y rendront peut-être plus souvent quand ils y sont invités, au lieu d’envoyer de hauts fonctionnaires qui, par leur devoir de réserve, ne peuvent pas exprimer de position politique. » Même si la formule ne va pas attirer les foules en direct, il y voit un moyen pour les médias et les partis d’informer le public par la reprise d’extraits à l’antenne ou sur leurs sites internet.

Le député Déi Lénk appuiera ces changements. « Mais cela ne résoudra pas tous les problèmes », ajoute David Wagner. Il voudrait voir la Chambre se doter de plus d’élu-es et voir augmenter le nombre d’attaché-es parlementaires par député-e. « Le Luxembourg est un État souverain et il doit légiférer sur les mêmes sujets que les autres États. Nous devons faire ce travail à 60 députés, là où ils sont plusieurs centaines dans d’autres parlements. Nous avons aussi besoin de plus de collaborateurs pour nous seconder dans ce travail qui comporte souvent des aspects très techniques. » L’élu de la gauche préconise un parlement à 70 élu-es, ce qui, selon lui, serait aussi à même de rééquilibrer la représentation régionale en renforçant par exemple la circonscription Est.

Sam Tanson reconnaît que la composition de la Chambre n’a pas suivi la hausse de la population, mais elle estime qu’une réforme plus urgente s’impose sur le statut des député-es. « Il n’est plus possible d’accepter des postes de député à mi-temps, c’est un travail à plein temps. » Autrement dit, les parlementaires qui poursuivent parallèlement une activité professionnelle – souvent libérale – devraient choisir entre leurs intérêts privés et leur fonction publique.

Quoi qu’il en soit, tant Sam Tanson que David Wagner saluent l’esprit d’ouverture du nouveau président de la Chambre. « Nous apprécions son approche, sa recherche du dialogue et son énergie », affirme l’élue verte. Le député Déi Lenk dit « la confiance » qu’il porte « à son intégrité ». Pour donner au pouvoir législatif le poids qui s’impose, notamment face à l’exécutif, Claude Wiseler veut désormais avancer vite et trouver un accord avec les partis représentés à la Chambre : « Nous espérons fixer au moins une direction d’ici fin janvier et commencer les phases de test dans les prochains mois », a-t-il dit lundi.

 

LSAP : les anciens au second rang !

Dans un échange en aparté avec des journalistes, lors de la réception de Nouvel An à la Chambre, Taina Bofferding est revenue sur la dynamique dont a bénéficié son parti lors des législatives. Bien que renvoyé-es dans l’opposition, les socialistes ont inversé la tendance baissière de la dernière décennie en augmentant leur nombre de député-es et en redevenant la deuxième formation du pays en nombre de suffrages. Exit l’image de parti de « vieux messieurs » que véhiculait le LSAP il y a encore cinq ans. Les socialistes ont rajeuni et féminisé leur état-major, comme en témoignent la candidature de Paulette Lenert et la place prise par Taina Bofferding, devenue présidente de fraction du premier parti d’opposition. Un changement physiquement visible à la Chambre : « Les jeunes sont assis au premier rang et les plus anciens au second rang, c’est un choix politique de notre part », explique la quadra. Et qu’en est-il de l’inoxydable Jean Asselborn, qui a décidé de ne pas siéger ? Son expérience ne manque-t-elle pas au parti ? Taina Bofferding élude : « Pour l’instant, je me concentre à fond sur mon travail de cheffe de l’opposition… »


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