Dans les bacs : Hôtel à insectes

Les hôtels à insectes fleurissent en ville et dans la campagne, pour la survie et la reproduction de ces animaux pollinisateurs. Et voilà que le concept se trouve décliné dans un album par le compositeur Claude Lenners : intrigué, le woxx s’est embarqué pour ce voyage multilingue et ludique dans un monde captivant de crissements et bourdonnements, parfaitement adapté à un cycle musical contemporain.

Le compositeur Claude Lenners s’est plongé dans le monde des insectes et des langues. (Photo : Yves Kortum)

Fasciné par le monde « extraordinairement foisonnant des insectes », comme il l’avoue dans le livret de ce CD à paraître bientôt chez Neos et dont on a déjà pu entendre les pièces lors d’une présentation à Neimënster le 20 septembre dernier, Claude Lenners a concocté un programme fort original. Le compositeur luxembourgeois a placé en parallèle la multiplicité des ptérygotes et aptérygotes – selon qu’ils sont pourvus ou dépourvus d’ailes – avec celui des langues, rétablissant en quelque sorte le lien entre culture et nature au moyen de l’art musical. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’insectes et langues, à cause de pressions distinctes mais bien réelles, sont sur le déclin. Lenners a en tout état de cause écrit un cycle de 24 miniatures pour soprano, clarinette et guitare, auxquels s’ajoutent des percussions jouées par les mêmes interprètes ; chaque pièce évoque les insectes dans une langue différente. Les genres littéraires mis en musique vont de la poésie à la prose descriptive, en passant par la sagesse populaire et la fiction à caractère fantaisiste, voire surréaliste. Un grand écart qui reflète bien la diversité des espèces et des idiomes, même si par rapport à celle-ci « ce cycle s’avère évidemment fort modeste ».

À tout seigneur tout honneur, c’est avec un poème de Lambert Schlechter que commence l’album. Habile, Claude Lenners utilise, en bon musicien contemporain, toute une palette acoustique qui sort des sentiers battus, ce qui transforme sa petite formation en un grand réservoir de sonorités éclectiques. Normal, quand on évoque les insectes. À cela s’ajoutent les envolées lyriques ponctuées de chuchotements et de voix parlée de la soprano. L’ensemble Noise Watchers Unlimited, à formation variable et composé pour la circonstance de Max Mausen à la clarinette, Hany Hesmat à la guitare et Marie-Reine Nimax-Weirig au chant (une brève apparition de Netty Glesener au balafon et au temple block aura lieu pour le morceau en zoulou), impulse une belle énergie au morceau. Des insectes, Schlechter affirme que « leurs antennes sondent / les astres mieux que nous ». Le compositeur, lui, sublime les vers du poète en présentant des notes qui imposent, dans leur étonnante pluralité, une perception inhabituelle à nos oreilles.

Beker/Neos Music

Vivacité et concision

Le calme et la tempête s’invitent ensuite avec un extrait de « The Tempest » de Shakespeare, puis un haïku japonais de Chiyo-ni (« Papillon / à quoi rêves-tu / à frémir ainsi des ailes ? ») est l’occasion d’une longue introduction aux percussions. Claude Lenners parle « d’accepter l’infiltration ethnologique », « sans toutefois qu’il soit question d’entrer en compétition avec les traditions existantes ». S’opère dès lors une fusion très moderne entre écrits et notes, où l’inspiration se puise à la fois dans le texte et sa langue et dans la musique qui y est habituellement associée (ou pas : le morceau en islandais revendique justement l’absence de toute influence du pays). Foisonnement toujours des sources, diversité des formes, variété dans l’exécution.

Comme pour rendre encore plus intriqués tous les fondements de son projet, le compositeur n’a pas hésité à recourir à des moteurs de recherche pour dénicher son matériau textuel et à utiliser des traducteurs automatiques pour atteindre les langues choisies. Le texte chanté en hindi, par exemple, a été trouvé en anglais sur un site qui répertorie des proverbes asiatiques, puis traduit par Google Translate. La démarche peut faire froncer les sourcils – lorsqu’on connaît les approximations de ce service, en particulier pour des langues aux structures assez éloignées –, mais semble finalement bien en accord avec l’esprit du projet. En effet, l’aspect ludique revêt une importance particulière : si le propos est fort et le thème, très actuel, la réalisation s’autorise, tant dans les textes (« la puce pue / même assise sur la robe de la tsarine », est-il écrit en russe) que dans la musique (entre autres grâce à l’espièglerie naturelle de la clarinette), des pointes d’humour. Heureusement, car il ne faudrait pas sombrer dans la morosité : on le sait, insectes comme langues disparaissent à un rythme soutenu.

Au fil des morceaux, Claude Lenners adapte des figures littéraires (outre Shakespeare évoqué ci-dessus, citons encore Kafka, Neruda ou Grass), des auteurs ou autrices moins illustres, ainsi qu’un grand nombre de textes d’Ernest Colbach, inspirés là aussi de lectures variées sur la Toile et traduits automatiquement par la suite. Le dynamisme et la vivacité prévalent, tandis que la concision des plages permet une plongée variée dans des atmosphères aussi nombreuses que les bruits des insectes dans un champ fleuri l’été. À noter que plusieurs extraits de partitions, dans le livret, permettent une immersion sur papier dans la poésie des portées, la musique contemporaine usant souvent de signes et d’indications à l’attractivité visuelle non négligeable.

« Ech hunn eng Flou / awer ech weess net wou / oh Marie-Ännchen ! » : ludique toujours, le cycle se termine comme il se doit en luxembourgeois. La soprano chuchote, la clarinette gambade, la guitare est flanquée sur ses six pattes (euh… cordes !)… pas de doute, cet « Hôtel à insectes » a de quoi séduire amateurs et amatrices de musique contemporaine, par la cohérence de son projet et la finesse de son exécution.

Sortie le 20 octobre chez Neos.

Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.