Dans les salles : Il sol dell’avvenire

Nanni Moretti livre dans son nouvel opus un autoportrait fictif doux-amer, piqueté d’humour et gonflé d’amour du cinéma. Un film réjouissant, même si reparti bredouille de Cannes.

Le cinéma est mort, vive le cinéma ! Nanni Moretti s’envole vers de nouvelles images. (Photo : Sacher Film/Fandango/Le Pacte/France 3 cinéma)

Et si croire encore au cinéma pouvait être placé en parallèle avec croire encore au communisme ? C’est ce que semble se demander un Nanni Moretti dopé à l’autofiction lorsqu’il se met en abyme dans la peau d’un cinéaste : Giovanni, son personnage, tourne un film d’époque. Un cirque hongrois y est accueilli par une section romaine du Parti communiste italien, juste avant la sanglante répression soviétique à Budapest en 1956. À l’enthousiasme militant bientôt rafraîchi des années 1950 s’oppose la désillusion contemporaine de Giovanni, réalisateur peu prolifique − il se plaint de ne tourner que tous les cinq ans − et enfermé dans des schémas mentaux désormais révolus. Le temps a passé, et même Paola, son épouse (excellente Margherita Buy), n’arrive pas à lui dire qu’elle veut le quitter tant la force de l’habitude s’est installée entre eux. Alors elle le trahit en quelque sorte, en produisant pour la première fois le film d’un autre, un thriller violent d’un jeune espoir du cinéma italien, cofinancé par la Corée du Sud.

On aurait pu reprocher à Nanni Moretti de proposer une énième réflexion de type « c’était mieux avant ». Après tout, dès le début, il moque l’inculture politique des générations actuelles lors d’une réunion de production où un membre de l’équipe est surpris d’apprendre qu’il existait des communistes en Italie : « Je croyais qu’il n’y en avait qu’en Russie. » Mais le regard que le cinéaste porte sur l’époque contemporaine, même s’il s’y sent décalé, n’a rien de condescendant ; au contraire, c’est avec beaucoup de tendresse et de compréhension qu’il documente le temps qui passe, les modes qui vont et viennent ou les mentalités qui changent. Clin d’œil appuyé à ses déambulations dans Rome en vespa dans « Caro diario » (1993), une scène illustre son acceptation de la modernité : Giovanni et son producteur français véreux (Mathieu Amalric en fait des tonnes dans le film, peut-être le seul petit défaut) roulent de nuit en… trottinette électrique. Les cinéphiles reconnaîtront et apprécieront la citation, mais nul besoin de connaître son Moretti sur le bout des doigts pour sentir dans ces images l’envie d’un bientôt septuagénaire de s’ancrer dans son époque.

Cinecittà, Netflix et le grand écart

La scène clé est cependant celle où Giovanni essaie d’empêcher le tournage du dernier plan du film de son « concurrent », le jeune réalisateur produit par Paola. Un homme à genoux, une arme braquée sur sa tête, va bientôt être tué. Mais tout ça fait bien trop cliché, s’insurge le cinéaste expérimenté venu en visiteur. Et de se lancer dans un discours théorique interminable, convoquant même, au téléphone ou sur place, des connaissances pour étudier la signification profonde de ces images dans l’histoire de l’art, tentant en outre d’en appeler à Martin Scorsese, spécialiste reconnu de la violence à l’écran, pour obtenir son avis (aucun divulgâchage ici, c’est dans la bande-annonce !). Beaucoup de traits d’humour fusent dans cette action un peu désespérée, mais ils laissent l’impression d’un humour un brin tragique, lequel caractérise le film dans son ensemble. Au terme d’une journée et d’une nuit de blocage du tournage, la scène est enfin filmée. Giovanni repart chez lui sans la regarder, comme si le devenir d’un cinéma nouveau ne le concernait plus. La preuve en est le rendez-vous chez Netflix pour obtenir un financement, à la suite de la défection prévisible du producteur français louche. Se confirme alors l’écart désormais trop grand entre la vision d’un Giovanni biberonné à Cinecittà et celle d’une entreprise transnationale qui a besoin d’un moment « what the fuck » dès les premières minutes. Il faut bien abreuver un public consommateur dans 190 pays, ce que ne manquent pas de rappeler maintes fois les « executives ». Amer, « Il sol dell’avvenire » ? Oui, un peu, certes. Mais aussi lucide.

Alternant dialogues franchement comiques et rires jaunes, notamment au moyen d’une habile utilisation des personnages secondaires, Nanni Moretti imprime un rythme bienvenu à un film concis et efficace. Sa prestation d’acteur est magnifique ; on remarque entre autres un débit de parole très ralenti par rapport à ses partenaires, comme si son Giovanni se rêvait en oracle à l’expression lente et incontestable. Un oracle, d’ailleurs, qui serait capable de revenir sur ses décisions. Car « Il sol dell’avvenire » est aussi l’histoire d’une transformation improbable, où un cinéaste qui avait mis dans son film un désir refoulé de mort renonce à l’ultime moment à sa scène finale pour la remplacer par une autre, porteuse d’espoir. Et défilent alors les acteurs et actrices du film, du film dans le film, mais aussi celles et ceux qui ont figuré chez Moretti dans d’autres opus, au son d’une musique de fanfare circassienne. Parce que comme ses personnages des années 1950 croient encore au communisme, envers et contre tout, malgré une Union soviétique qui s’en réclame tout en réprimant dans le sang les velléités de liberté, il croit encore au cinéma en 2023. Et nous avec lui. Cela quasiment sans violence ni hémoglobine à l’écran, juste avec des rôles attachants, des dialogues bien écrits, une musique maligne et quelques clins d’œil à ce septième art toujours magique.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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