Dans les salles : The Fabelmans

L’hommage autobiographique de Steven Spielberg au cinéma n’a jusque-là récolté qu’un succès d’estime dans les salles, malgré critiques unanimes, récompenses et nominations. C’est que la magie des images qu’il célèbre a désormais du plomb dans l’aile, maintenant que celles-ci sont omniprésentes. Et pourtant…

Des émotions en partage devant la table de montage. (Photo : Universal Pictures)

C’est une scène clé : le jeune Sam (très bon Gabriel LaBelle) passe et repasse les images d’un week-end de camping avec sa famille sur sa table de montage, afin d’en tirer un film souvenir pour consoler Mitzi (impressionnante Michelle Williams), sa mère endeuillée. Pendant que lui fait avancer et revenir la pellicule, fige les clichés pour mieux les examiner, elle, au piano, joue la transcription de Bach du « Concerto pour hautbois en ré mineur » de Marcello. Un peu plus tôt, Mitzi avait déclaré son amour pour le compositeur allemand, dont elle disait « s’abandonner à la partition ». Et c’est un abandon que découvre Sam. Un secret qu’il a filmé à son insu, mais que le montage dévoile. Au fond, nous dit Spielberg, le cinéma sait nous révéler des secrets insoupçonnés, alors même que nous croyons tout voir et tout interpréter. Mais pour cela, un regard est nécessaire. Pas une déferlante d’images permanente, mais la subtile médiation de celles et ceux qui savent trousser un récit à l’écran. Un tel discours est-il toujours audible à l’époque des plateformes et des courtes vidéos sur les réseaux sociaux ? Peut-être faut-il y chercher la raison du relatif insuccès du film.

Les deux heures et demie de « The Fabelmans » ne sauraient se résumer à cette séquence pourtant déterminante. Dans cette trajectoire autobiographique qui mène Sam de sa première sortie au cinéma avec ses parents au New Jersey – pour voir « The Greatest Show on Earth » de Cecil B. DeMille – vers la Californie – où il rencontrera John Ford –, Steven Spielberg (dont le scénario est cosigné par Tony Kushner) propose nombre d’autres scènes mémorables. La première partie, notamment, acte la passion du protagoniste pour le cinéma dans un crescendo très habile, pour utiliser un vocabulaire musical. On l’a vu, la musique est ici un élément important de la narration, et les morceaux composés par un John Williams plutôt discret se mélangent astucieusement avec les reprises de compositeurs classiques ou de chansons. La tension est servie par l’opposition entre Mitzi, favorable à la vocation artistique de Sam, et Burt, le père informaticien (impeccable Paul Dano), qui persiste à croire que les images sont pour son fils un hobby. Mais rien n’y fait : le cinéma est une vocation inarrêtable, les caméras seront de plus en plus perfectionnées et les tournages, de plus en plus complexes. La Californie, où Burt décroche un poste à la mesure de son talent, devrait donc représenter un eldorado.

Ce serait cependant trop facile, car c’est dans cet État où la machine à rêves fonctionne à plein que Sam fera la découverte de l’antisémitisme et de la déception amoureuse. Après un début tonitruant, le film se prend à patiner pour épouser le genre du « high school movie », avec ses harceleurs obligés et sa romance inévitable. Que vient faire Spielberg dans cette galère ? Peut-être mieux duper spectateurs et spectatrices, puisque cette tranche de vie un peu longuette sera conclue par une excellente scène de renversement des pouvoirs entre harceleur et harcelé. Un renversement provoqué justement par un film, celui que Sam réalise lors du « ditch day », une journée passée à la plage par tous les camarades de lycée. Vraiment fort, ce cinéma ! On accorde alors le bénéfice du doute au réalisateur, malgré le coup de mou qu’on a senti à cette évocation des années d’adolescence.

La pellicule, ce trésor

Film testament aux multiples lectures, « The Fabelmans » ne se concentre pas uniquement sur Sam, l’alter ego de Steven Spielberg. Il brosse aussi le portrait de Mitzi, la mère, qui voue un amour sincère à ses enfants et à son mari, mais qui en même temps se trouve trop à l’étroit dans ce carcan familial orthodoxe. D’ailleurs, ce personnage au grain de folie palpable est bien plus mis en valeur que celui du père : dans l’opposition entre art et science, le cinéaste a fait son choix. La composition de Michelle Williams, souvent bouleversante de déséquilibre mental contenu, tire ainsi le film vers le drame psychologique. Pas toujours sans éviter des moments un brin psychologisants, mais cette complexification des enjeux permet une lecture plus riche que ne l’aurait été celle de la simple ascension vers un destin de cinéaste populaire. On n’en attendait pas moins de Spielberg, qui, à 76 ans, a derrière lui plus de cinq décennies d’expérience.

On l’a déjà évoqué : comment un tel film, où la pellicule est présentée comme un trésor qu’il faut développer, couper, coller, voire percer pour assurer des effets spéciaux maison, peut-il résonner à l’époque actuelle, où tout smartphone permet des captures animées immédiates et quasi infinies ? Sans images numériques tonitruantes, sans esbroufe, « The Fabelmans » est l’histoire d’une passion dévorante racontée par l’objet même de cette passion. Hommage à l’artisanat d’art que représente le cinéma, il est lui-même confectionné avec tout le soin qu’on attend d’une production sérieuse. Voilà ce qui le rend pertinent pour les cinéphiles, mais aussi celles et ceux qui visitent les plateformes toutes-puissantes ou consomment des vidéos sur les réseaux sociaux : il sait d’où il vient. La fabrique des images a une histoire, qu’il convient de ne pas oublier, évoquée ici au travers d’un destin personnel. D’autres longs métrages l’ont fait, évidemment. Tout comme on a pu pointer plus haut quelques faiblesses dans le rythme, quelques imperfections. Mais si « The Fabelmans » n’est pas un chef-d’œuvre, c’est du moins un beau film, qui célèbre l’acuité du regard dans un foisonnement des images qui s’accélère.

Dans toutes les salles.
 Tous les horaires sur le site.

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