Dessins : Flaques hivernales

L’Institut Camões expose depuis ce mois de décembre une série de dessins de João Jacinto, artiste ni égoïste ni altruiste.

Photos : Nuno Lucas da Costa

Avec une carrière de 30 ans au Portugal et après avoir exposé en Allemagne, en Belgique ou en Suisse, João Jacinto (né en 1966) se présente pour la première fois au Luxembourg. L’exposition « Nódoas » (« Taches ») réunit huit dessins émanant d’une période créative de 2010 à 2020. Sur ce qui a motivé l’artiste dans le choix du titre, Jacinto nous dit tout simplement se rappeler que lorsque cela lui a été demandé, le mot « nódoas » lui est presque automatiquement survenu, sans aucune explication particulière. « J’ai aimé la sonorité et le sens du mot », explique l’artiste portugais, qui dit également s’identifier à un des vers du poète catalan Jaime Gil de Biedma, qui clamait n’avoir certains jours que pour seule compagnie les taches de son costume. En même temps, Jacinto estime que l’on ne doit pas avoir ce « désir compulsif de demander pourquoi par rapport à tout » : « J’estime que beaucoup de choses n’ont pas de pourquoi. Elles surviennent simplement », conclut le créateur.

Néanmoins, on peut aisément dire qu’une certaine saleté de ses dessins, son côté sombre et une certaine tension et même parfois une certaine violence sont en phase avec l’intitulé de l’expo. Cherchant aussi une certaine cohésion entre les œuvres, on peut y déceler toute une aura passéiste, fédérée dans une ambiance décalée où les éléments représentés sont certes reconnaissables, mais nullement à leur place habituelle, causant une certaine impression d’étrangeté aux visiteurs. Nous avons ainsi des têtes dans des positions invraisemblables ou encore des paysages parfois parsemés de clous. Sur cette étrangeté potentiellement causée, l’artiste nous explique qu’il n’a aucune prétention à l’égard des personnes. Lui qui enseigne également à l’École des beaux-arts de Lisbonne dit concevoir ses travaux parce qu’il veut tout simplement les réaliser, et que quelque chose le pousse à le faire. Dans ce contexte, João Jacinto ajoute ne vouloir « rien dire au monde ou le convaincre de quoi que ce soit ». Lorsqu’il estime que ses travaux sont terminés, il « démissionne en tant qu’auteur, et seules restent les réalisations et les personnes qui les voient ». Selon ses dires, ces mêmes personnes sont la « postérité » de ses œuvres. Ces dernières n’existent qu’à travers le regard de ceux ou celles qui les voient. Pour lui, elles n’existent que lors de leur conception.

L’artiste portugais aspire toujours à ce moment inattendu où, lors de ses créations, surgit une déviation qui l’emmène dans des directions non planifiées et qui « boycottent » complètement tout processus de travail. D’ailleurs, ses dessins sont la conséquence de tels moments. « Comme des illuminations. » À titre d’exemple, Jacinto nous raconte que les clous qui apparaissent de manière surréelle dans plusieurs de ses dessins sont sans doute le résultat d’un mélange de « faits gardés dans sa mémoire » et de « mémoire gardée dans des faits », reliant cela à certains souvenirs d’enfance avec son père, à certains jeux avec son fils, ou encore parce qu’il apprécie beaucoup la peinture des dernières années de l’artiste américain Philip Guston. Globalement, entourés du blanc ubiquitaire de l’Institut Camões, les dessins se présentent en effet telles des taches dans une immense plaine enneigée, défiant toute notion de pureté et tout ordre esthétique préétabli. Comme si un certain infantilisme enfoui refaisait surface, voulant tout à coup gribouiller ou tout simplement sauter sur une bonne flaque d’eau boueuse.

Jusqu’au 3 mars 2021 au Centre culturel portugais – Institut Camões.

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