C’est le « Guernica » du maître espagnol qui a suscité sa vocation : Damien Deroubaix propose au Mudam une quarantaine d’œuvres qui instaurent un dialogue fructueux avec celui qui a nourri son art. Pas franchement réjouissant, mais diablement stimulant.
Pour certains, ce serait une filiation écrasante. Pour d’autres, se réclamer de Picasso, ce pourrait être une posture, de celles qui souvent de nos jours président à l’éclosion et à la reconnaissance d’un artiste sur une scène internationale souvent inféodée aux modes et aux tendances nouvelles. Mais chez Damien Deroubaix, rien de tout cela. Lorsqu’on entre dans les quelques pièces de « Picasso et moi », on sent littéralement le respect et l’humilité de l’artiste devant son illustre modèle. Il ne le copie pas ; il le renouvelle. Comme dans cette immense gravure sur bois encré qui reprend le fameux « Guernica » : un hommage appuyé et sans fioritures qui fait éclater l’actualité de cette peinture de 1937 dans le monde d’aujourd’hui, qui n’a rien à envier du point de vue de la cruauté à l’époque de la guerre civile espagnole.
Présentant, outre les pièces de Deroubaix, une quinzaine d’œuvres de Picasso, l’exposition a été dévoilée pour la première fois à la Fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence. Elle arrive au Mudam dans une version étendue, et tant mieux, car elle est passionnante de bout en bout. Deroubaix y emprunte maints thèmes à Picasso tout en se les appropriant. Ce faisant, il crée une œuvre personnelle et contemporaine dont les codes sont pourtant très accessibles, puisque les sources d’inspiration sont également proposées au spectateur.
L’artiste met cependant bien souvent son art au service d’un certain pessimisme : « World Downfall » est ainsi une tapisserie fabriquée dans les ateliers d’Aubusson qui remet au goût du jour l’éternel « Guernica » sur les thèmes de la Shoah. On y trouve la quintessence de l’iconographie picassienne de Deroubaix : vache décapitée, crâne d’animal en citation directe d’une gravure du maître exposée juste en face, miradors d’un camp de concentration… et ces figures squelettiques tout droit venues d’une danse de la mort médiévale qui hurlent « Yeah ! » en toute aliénation, plombées par des banderoles annonçant clairement l’ennemi (« Money »). Un ennemi que l’on retrouvera sur une toile évoquant l’austérité dans son titre, ou sur une autre, mordante, intitulée « Der neue Mensch ». Les références à la musique metal, nombreuses (woxx 1355), sont aussi importantes et soulignées pour les non-initiés par les panonceaux explicatifs.
Des compositions complexes donc, et des œuvres pour le moins combatives. Mais Deroubaix ne dédaigne pas non plus l’épure, en témoigne « Homo Bulla », une sculpture en verre produite au Centre international d’art verrier de Meisenthal, village où il a son atelier. Dans celle-ci se détachent sur des formes en verre soufflé des gravures encore empruntées à une danse macabre. C’est que l’artiste est un touche-à-tout, qui manie aussi bien le pinceau que le ciseau ou la colle. On trouvera d’ailleurs aussi dans l’exposition une sculpture de sirène dans sa version japonaise, pas franchement sympathique non plus.
Complète, envoûtante et actuelle, « Picasso et moi » est sans aucun doute une exposition qui vaut à elle seule le déplacement au Mudam. Attention, cependant : mieux vaut ne pas y entrer dépressif. Car la vision du monde de Damien Deroubaix, qui capture la complexité des choses et l’atmosphère délétère de notre époque, est décidément bien sombre.