Élections européennes : Têtes prisées

Au niveau national, les élections ont montré que les enjeux européens comptent bien moins que les enjeux personnels. Le vote luxembourgeois est tactique plutôt qu’idéologique.

© Ralph Roletschek/wikimedia

Ce n’est pas un phénomène cantonné au Luxembourg, mais tout de même : les programmes comme les slogans pour ces élections européennes présentaient la particularité d’être pratiquement interchangeables. Mis à part l’ADR, qui avec sa préférence pour une « Europe des nations » s’est aligné sur les thèses des formations populistes et nationalistes comme le Rassemblement national français, et Déi Lénk, la propagande électorale des partis a peiné à vraiment produire une vision européenne apte à dépasser les phrases vides de sens et qui n’engagent presque à rien. Parions que si on s’était amusé à échanger les slogans du DP et du LSAP sur les affiches, pas grand monde ne s’en serait aperçu.

Alors que ce serait aux partis – et surtout aux grands – d’éveiller les consciences et de communiquer une vision européenne à leur électorat, ces derniers semblent donc estimer que communiquer sur l’Europe est trop complexe. Et surtout, ils renforcent l’image néfaste d’institutions européennes verrouillées, à l’abri de tout contrôle démocratique et soumises à l’influence des lobbys. Cela dit, il n’est pas étonnant du tout que le match principal des européennes au Luxembourg ne se soit pas déroulé sur les votes de liste, mais sur les votes nominatifs. Le grand gagnant de cet exercice est sans conteste le libéral Charles Goerens. Avec 76.009 voix personnelles et 21.436 voix de liste, son score total de 97.445 voix dépasse celui de Christophe Hansen du CSV, deuxième vainqueur du scrutin, de 34.823 voix. Cet écart inhabituel s’explique d’abord par l’image de l’eurodéputé de longue date. Non seulement il était le seul expérimenté de la liste, avec une personnalité qui inspire une sympathie dépassant les clivages politiques, mais les électeurs-trices critiques du DP sous Xavier Bettel pouvaient aussi voter pour lui, car Goerens incarne l’antidote au premier ministre. À la volatilité et à la superficialité de celui-ci, il oppose l’image d’un homme aux convictions stables, qui n’a jamais perdu le contact avec les citoyen-ne-s – le fait que l’agronome diplômé se présente toujours comme agriculteur aidant beaucoup dans la construction de cette image. C’est donc moins le double mandat du premier ministre DP que l’image de renégat sympathique de Goerens – n’oublions pas qu’en 2013, il s’était prononcé contre la constitution de la coalition contre le CSV – qui lui a apporté des voix. De plus, avec Monica Semedo, politicienne sortie de l’étable RTL et qui n’avait donc aucun problème à se faire connaître du public, la combinaison était gagnante.

Une répétition des élections d’octobre 2018

Or, si cette combinaison de têtes de liste a permis au DP de dépasser le CSV dans le total des votes (de 0,34 pour cent), c’est ce qui a manqué aux conservateurs pour remporter ces élections. La cuisine interne, avec un nouveau président du parti Frank Engel qui n’a pas réussi à réunir assez de troupes pour affronter le scrutin, y est sûrement pour quelque chose. Le CSV continue donc sa dégringolade amorcée aux dernières législatives. Ce qui le place dans la même situation que ses partis frères européens, le CDU-CSU allemand ayant aussi connu des pertes, sans parler des Républicains français qui ont connu la bérézina annoncée.

© Corentin Béchade/Wikimedia

Pourtant, deux partis défient un peu la logique du vote nominatif : le LSAP et Déi Gréng. Si les socialistes doivent se contenter d’être la quatrième force politique du pays (et avec leurs 12,19 pour cent, ils sont plus proches de l’ADR que les Verts), ils doivent aussi se rendre à l’évidence : leur candidat de tête Nicolas Schmit n’est pas un grand aimant à sympathie. Arrivé à la dixième place du scrutin, il ne compte que 23.696 voix personnelles, devançant certes sa colistière Lisa Kersch de 14.651 voix – mais cette dernière était aussi une parfaite inconnue. Avoir réussi à stopper la saignée socialiste ne suffira donc pas à assurer un avenir stable à ce parti. Chez Déi Gréng en revanche, l’effet de la crise climatique et la prise de conscience écologique ont permis le décollage de la candidate Tilly Metz, qui avait tout de même à se mesurer au lourd héritage laissé par un Claude Turmes bien plus connu et plus populaire.

Chez les petits partis, le drame personnel de Gast Gibéryen est la première chose qui frappe. Avec 30.535 voix personnelles, il est en troisième position nationale (et sixième cumulée avec les votes de liste), mais à cause du système de scrutin luxembourgeois, il n’arrive pas à décrocher un siège à Strasbourg. Il pourra donc prendre sa retraite du parlement national et laisser sa place à Fred Keup, qui n’est arrivé qu’en 28e position nationale.

Gibéryen victime du système

La gauche n’a pas non plus réussi à tirer son épingle du jeu et reste même derrière les Pirates (avec un écart de 2,87 pour cent). Si le candidat David Wagner peut revendiquer un bon score personnel (12.705 voix et 11e position), le cumul avec les voix de liste le place 27e. Une campagne européenne qui a manqué de panache et surtout de clarté n’a certainement pas aidé Déi Lénk à tirer profit de la déroute socialiste. Ainsi, ils continuent de rester stables, mais se font devancer par les Pirates, qui ne semblent pas avoir souffert des récents scandales et flirts prononcés avec le populisme. Leur candidat Daniel Frères est même avec 9.888 voix personnelles en 12e position nationale et 28e au total. Pactiser avec les tabloïds et remplacer les contenus politiques par des toutous et des matous semble donc une stratégie payante.

Finalement, Volt, le mouvement paneuropéen, affiche un succès d’estime avec 2,11 pour cent des votes – ce qui pour un parti fondé quelques mois avant les élections n’est pas mal. Se pose pourtant la question de l’avenir de ce mouvement, les prochaines élections n’étant pas pour demain. Les dernières positions se partagent entre le KPL et Déi Konservativ qui – surtout ces derniers – confirment leur non-pertinence sur l’échiquier politique du grand-duché.

Bref, le scrutin européen n’a en général que confirmé le glissement des plaques tectoniques électorales amorcé ces dernières années : le CSV doit battre en retraite, le DP domine, les Verts montent, le LSAP descend et le reste se partage les miettes.


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