Favoriser l’apprentissage du chinois et l’échange culturel, ce sera le rôle de l’institut Confucius. Faut-il y voir un vecteur du soft power de Pékin ou l’occasion de mieux comprendre 1,3 milliards d’humains ?
Non, ce n’est pas un institut de philosophie ou un centre de méditation. L’institut Confucius, inauguré ce jeudi sur le campus de Belval, est un centre culturel chinois comme il y en a désormais plusieurs centaines de par le monde. Vecteurs du « soft power » de la République populaire, ces instituts sont le plus souvent établis dans un cadre universitaire. « Promouvoir la langue et la culture chinoise », voilà ce que le directeur Jauffrey Bareille définit comme objectif.
Du chinois ?
Apprendre la langue pour pouvoir accéder à la richesse de la culture – cette recommandation, valable en général, l’est sans doute encore plus dans le cas de la Chine. Tout d’abord à cause de la différence considérable entre langue chinoise et langues indo-européennes qui rend difficile la traduction. Notons que l’invitation officielle est illustrée avec les caractères « ni hao », littéralement « bien à toi », ce qui se rapproche assez de notre « bonjour ». Le non moins commun « ni chile ma ? », par contre, ne doit pas être compris littéralement – « t’as mangé ? » – mais se traduit à peu près par « ça va ? ».
Les difficultés de la traduction conduisent évidemment à de nombreux quiproquos dans les deux sens. Le « chinglish » – résultat de traductions littérales dans un anglais approximatif – fait ainsi l’objet de railleries dans les guides de voyage occidentaux, tandis que les réflexions chinoises sur les bévues occidentales nous restent le plus souvent cachées – à cause de la fameuse politesse chinoise… ou parce qu’elles ne sont pas traduites.
Qui dit différence avec nos langues dit aussi apprentissage difficile – surtout s’il est entrepris de manière systématique. Les débutant-e-s doivent faire face, en plus du vocabulaire, à une écriture hautement complexe et à une prononciation basée sur les tons, notion pratiquement absente de nos langues. Il n’est pas surprenant que nombre d’entre elles ou eux abandonnent au bout d’un moment.
Au Luxembourg, l’offre de cours de chinois va actuellement de certaines classes de lycée jusqu’à l’enseignement au sein de l’Institut des langues, en passant par des cours organisés par des ONG et des écoles chinoises. L’institut Confucius mettra en place une offre pour débutant-e-s à l’automne 2018, qui intéressera en premier lieu des étudiant-e-s de l’Université du Luxembourg motivé-e-s par des programmes d’échange. Interviewé par Delano, Jauffrey Bareille souhaite mettre en place des cours d’un niveau plus avancé et devenir à terme un centre d’examen officiel. En effet, la République populaire a mis en place le standard « Hanyu shuiping kaoshi » (HSK), centralisé par le bureau « Hanban » lié au ministère de l’Éducation. Ce même Hanban gère et finance l’institut Confucius, avec l’Université du Luxembourg et sa partenaire académique, la prestigieuse « Fudan daxue » de Shanghai.
Vieux sage, jeune pays
La référence à Confucius, vieux sage souvent associé au traditionalisme, entretient une certaine confusion : elle pourrait laisser croire que les centres culturels en question émaneraient du gouvernement de Taïwan, établi en 1949 par le parti nationaliste-conservateur chinois réfugié sur l’île. Pourtant, c’est bien le gouvernement communiste de la Chine continentale qui, à partir de 2004, a commencé à établir des instituts sous ce nom. Certes, aux yeux des intellectuel-le-s progressistes des années 1910 comme des maoïstes des années 1970, Confucius symbolisait la Chine féodale et décadente. Mais depuis, les choses ont changé : les statues de Mao ont disparu de la plupart des campus universitaires, tandis qu’en certains endroits, comme à l’université des langues de Pékin, une statue de Confucius a été érigée à la place.
Le philosophe des 4e et 5e siècles avant notre ère a-t-il été choisi parce que ses enseignements favorisent la soumission à l’autorité, et donc la stabilité du régime en place, comme l’affirment des voix critiques ? Mais selon le point de vue, on peut aussi considérer Confucius comme un pionnier du principe de la responsabilité morale individuelle. Surtout, pour la plupart des Chinois-es, il est tout simplement « le plus grand des sages et des maîtres », et jusqu’à aujourd’hui, elles et ils visitent la première école qu’il a établie à Qufu au Shandong.
Et pourquoi un institut Confucius au Luxembourg, alors qu’il y en a deux déjà pas très loin, à Trèves et à Metz ? Lors de l’inauguration (postérieure au bouclage du woxx), les officiel-le-s vont probablement ressortir l’histoire – passionnante en elle-même – des ingénieurs luxembourgeois présents en Chine tout au long du 20e siècle, et du haut fourneau qu’on a vendu là-bas. Plutôt que les relations industrielles, ce sont les nombreux restaurants établis par les immigrant-e-s de la première vague qui ont été le lieu de contact des Luxembourgeois avec la culture chinoise. Car comme en France, dans l’empire du Milieu, la gastronomie est considérée comme un art et fait partie du patrimoine national et régional.
Nombreux, les Chinois
Mais c’est la deuxième vague d’immigrant-e-s, celle liée aux banques et autres entreprises chinoises, qui sera sans doute à l’honneur des discours d’inauguration. Il est vrai qu’à côté du programme d’échange universitaire – surtout dans le sens Chine-Luxembourg –, ce sont les activités financières qui ont poussé à l’établissement d’un institut au Luxembourg même. En effet, depuis 2006, l’intense activité notamment du Luxembourg Trade and Investment Office à Shanghai a permis d’attirer au grand-duché de nombreuses entreprises chinoises, parmi lesquelles sept banques.
Aussi bien le contact avec ces acteurs économiques que les activités – plus modestes – des entreprises luxembourgeoises en Chine accroissent évidemment la demande de main-d’œuvre occidentale familiarisée aussi bien avec la langue que la culture chinoise. C’est pourquoi, dans les cours de chinois organisés au Luxembourg, la composition des élèves a changé ces dernières années : à côté des traditionnels sinophiles, attirés par une sorte d’exotisme, on trouve de plus en plus des étudiant-e-s et des professionnel-le-s pour qui la langue est un élément de leur plan de carrière. Cette orientation professionnelle est tout de même souvent liée en partie à la fascination pour la culture chinoise.
Au-delà des évidentes raisons pratiques qui motivent l’implantation d’un institut Confucius à Belval, il ne faut pourtant pas oublier la dimension politique. Tout comme Paris et Berlin mènent une politique de soft power, avec les Instituts français et les Goethe Institut, Pékin cherche à améliorer l’image de la Chine dans le monde. Cela constitue un défi, autant par la différence objective entre les cultures que par les nombreux préjugés qui se substituent à la connaissance de l’autre. Il faut prendre conscience que le soft power américain, le plus puissant au monde, n’a même pas besoin d’instituts culturels : il s’exerce à travers les références que constituent des personnalités et des événements de l’histoire des États-Unis, ainsi que par la culture pop et notamment le cinéma. L’histoire de la Chine, au contraire, nous est mal connue, la personnalité la plus connue – Mao – est très controversée, et les films chinois passent rarement dans nos salles.
Conflits et compromis
Pourtant, la nécessité de combler ce handicap en soft power ne veut pas dire que l’on procède toujours en douceur. En effet, une approche chinoise qui valorise moins la liberté scientifique et artistique que les Occidentaux a régulièrement conduit à des conflits au sein des instituts Confucius dans le monde. Un des cas les plus spectaculaires a été l’exigence de Pékin de supprimer des pages relatives à la contribution taïwanaise lors d’une conférence de l’Association européenne d’études chinoises en 2014. D’autres exemples de conflits sont plus douteux, tel le débat sur la représentation de la guerre de Corée qui a eu lieu au Royaume-Uni : certes, la vision chinoise d’une « guerre de résistance à l’agression américaine » est tendancieuse, mais les présentations qui en sont faites du côté occidental ne le sont en général pas moins.
Toujours est-il que ces conflits ont exposé les instituts Confucius à des campagnes de protestation et conduit parfois à des fermetures. Sans que l’on puisse savoir combien cela est dû à l’intransigeance des institutions chinoises et combien à la maladresse des interlocuteurs occidentaux – la différence culturelle concernant également la manière de gérer les désaccords. Il semblerait cependant que plus une université ou un pays a ses propres ressources en matière d’études chinoises, mieux elle peut éviter le scandale et négocier des compromis avec les instituts Confucius sur d’éventuels sujets sensibles.
Au Luxembourg, pays où le compromis est roi – pour le meilleur et pour le pire –, les deux partenaires sauront peut-être éviter de tels conflits. Et se consacrer à l’intensification des liens et des échanges. Pour ce qui est de la compréhension mutuelle, il ne faudra pas seulement miser sur la Culture avec un grand C, celle des brochures sur papier glacé, mais aussi sur la culture au quotidien. En amenant Chinois-es et Luxembourgeois-es à discuter, manger, boire ensemble, nous nous rapprocherons vraiment les un-e-s des autres.