Logement
 : Tous frontaliers

Dans le contexte de la crise du logement, la région frontalière pourrait devenir le laboratoire d’une solidarité nouvelle entre salariés locaux et expatriés.

« Le duché de Luxembourg divisé en françois et espagnol. Par le Sr. Sanson », 1689 (Bibliothèque nationale de France – domaine public)

En voyant la carte du Luxembourg projetée sur le mur ce soir-là, on pense à une catastrophe naturelle, au rayon de dévastation ou de contamination causé par l’éruption d’un volcan ou un accident nucléaire. Mais non, rien de tel : elle ne fait qu’indiquer que le « gradient du prix de l’immobilier en fonction de l’éloignement » du Luxembourg, comme le précise Samuel Carpentier, maître de conférences à l’université d’Aix-Marseille, lors d’une table ronde lundi dernier, intitulée : « Coût du logement : faut-il vivre en dehors du Luxembourg ? ».

S’appuyant sur des chiffres de 2012, le géographe note qu’environ 16.000 salariés résidents, dont beaucoup de jeunes ménages, ont déménagé de l’autre côté de la frontière pour des raisons pécuniaires essentiellement et souvent dans l’optique de devenir propriétaires. L’effet d’éviction qui caractérise le marché de l’immobilier local fait qu’un nombre croissant de personnes et ménages sont aujourd’hui prêts à prendre en compte 45 minutes de trajet en moyenne, tous les jours, pour rejoindre leur lieu de travail au grand-duché, la plupart du temps en voiture, mais avec un taux de satisfaction global assez fort et finalement très peu de retours.

D’autant plus que la situation au Luxembourg ne devrait pas changer de sitôt : entre 2010 et 2016, la population a augmenté de 15 pour cent, aggravant l’écart entre une demande moyenne de 6.000 et une offre de seulement 2.600 logements par an, et entraînant une véritable explosion des prix. Toutefois, avec un taux de 70 pour cent d’individus propriétaires de leur logement et un nombre toujours conséquent de jeunes salariés en mesure de s’endetter pour réaliser leur rêve de devenir propriétaires, Marc Hansen, ministre du Logement, a toutes les raisons de constater que beaucoup n’ont « pas de problème de logement au Luxembourg » – pays où le logement dit abordable ainsi que le nombre de terrains constructibles appartenant aux communes et à l’État constituent pourtant une denrée rare.

« Métropolisation de la Grande Région »

La notion même de logement abordable y reste d’ailleurs assez floue et peu connue. Pour Aline Rosenbaum, juriste de l’Union des consommateurs, elle désigne le logement « que je peux me permettre d’acquérir avec mon salaire ». Quant à Georges Krieger, président de l’Union des propriétaires, il affirme qu’« il n’y a pas un seul critère » pour définir le logement abordable, « il y en a 600.000 »… Selon une définition pourtant courante, il désigne le logement pour lequel un ménage dépense moins de 30 à 40 pour cent de son revenu. Au Luxembourg, où logement abordable rime avant tout avec logement « social », il en existe deux types : le logement subventionné ou la subvention à l’achat, avec un droit de préemption de l’État dans le dernier cas de figure. Aux yeux de Magdalena Gorczynska, chercheuse au Liser, le logement abordable n’a que peu à voir avec le logement social. Il désignerait d’abord le logement locatif destiné aux salaires modestes ou en accession abordable. Il présuppose aussi, en principe, une égalité de distribution sur le territoire national.

Pour accélérer la viabilisation de terrains constructibles, le Luxembourg dispose de plusieurs outils dont le contrat d’aménagement « Baulandvertrag », les taxes communales sur les logements vides ou encore le droit de préemption de l’État sur les terrains à vendre qui entrent dans le périmètre de l’agglomération. Toutefois et pour l’heure, le bilan aussi bien du Fonds du logement que de l’Agence immobilière sociale reste maigre. Le premier n’est d’ailleurs toujours pas sorti de la crise interne liée à l’épisode Nagel-Miltgen. Ensuite, les procédures prennent du temps, beaucoup de temps, notamment en raison de la complexité des dossiers. L’expropriation ne semble pas non plus une voie possible : « Exproprier pour donner à des particuliers, est-ce d’utilité publique ou privée ? », donne à penser Georges Krieger. Par ailleurs, il faut construire cher, selon les standards énergétiques les plus élevés, et les entreprises ont du mal à suivre, de même que les administrations communales qui ne disposent pas d’assez de personnel qualifié. Manque surtout le courage politique d’imposer un cadre législatif plus strict.

Par conséquent, le phénomène des départs ne fera que gagner en ampleur dans les prochaines années – d’où la question de notre rapport avec les régions voisines, soulevée par Claude Gengler, animateur de la table ronde. En France, qui est de loin la première destination de choix, après la Belgique et l’Allemagne, de ceux qui choisissent d’aller vivre à l’étranger, ces « frontaliers atypiques » constituent déjà une population « relativement exigeante en termes d’infrastructures et d’offre culturelle en raison de leur pouvoir d’achat », comme le note la fondation Idea dans un billet au sujet de la question des compensations fiscales. Aussi, la « métropolisation de la Grande Région place le Luxembourg au cœur d’un processus de décision qui affecte les individus au-delà des frontières administratives », analyse le groupe de réflexion.

Ne serait-ce que parce que la flambée des prix ne fait pas halte devant les territoires frontaliers, où vivent 47 pour cent des actifs du Luxembourg. Bien au contraire, si le marché immobilier local continue d’évoluer comme il le fait, avec l’apparition d’individus « high net worth » qui ne feront qu’appuyer la montée des prix, l’exportation de la crise du logement abordable toujours plus profondément dans la Grande Région est inéluctable. En même temps qu’elle serait la chance de réinventer le transfrontalier et de contenir les fractures économiques et politiques entre locaux et expatriés qui caractérisent la société luxembourgeoise actuelle – processus qu’une société nationale de construction du logement pourrait accompagner et penser. Encore faudrait-il qu’elle existe.


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