Peinture : Anatomie d’une cuirasse

Après sa fermeture pour cause de pandémie, l’institut Camões rouvre ses portes et nous présente « Lux in tenebris ». L’artiste lisboète Miguel Telles da Gama y dissèque des armures de chevalier à travers six images en peinture acrylique.

Si la version brechtienne de « Lux in tenebris » (« La lumière dans les ténèbres ») mettait en évidence l’ironie et l’appât du gain, la version de l’artiste lisboète Miguel Telles da Gama (né en 1965) nous semble à première vue banale. Six images circulaires aux tonalités noires sur des feuilles en papier blanc rectangulaires mettent en scène les parties qui composent une armure. À première vue, car plus on se rapproche, plus le casque, la cuirasse, la spalière, la cubitière, le gantelet ou encore la genouillère de la carapace guerrière nous retiennent et interpellent notre inconscient. Pour fuir cette expérience optique frôlant le lugubre, nos pupilles doivent s’élargir et trouver refuge dans le blanc virginal autour des cercles noircis. Et ainsi la lumière fut dans les métaux belliqueux de Telles da Gama.

L’armure décomposée de la tête aux pieds et dessinée avec des lignes presque microscopiques nous engouffre dans des périodes ancestrales ténébreuses. Déconfinée de tout être, elle semble revenir d’un long empêtrement rempli de narrations, les unes héroïques, les autres déchirantes. A priori, le métal nous évoque plutôt une imagerie allant de l’âpreté à la corrosivité. Ici, il apparaît presque comme un accessoire esthétique lié à un art à lui tout seul. Cela dit, l’aspect sombre des dessins de l’artiste portugais passe comme lettre à la poste face au blanc immaculé de l’Institut Camões et son habituel minimalisme. S’il est de bon ton de moquer le climat luxembourgeois pour son manque de soleil, cette fois-ci, on aurait préféré une météo plus automnale au détriment de l’actuelle lumière printanière. Cela créerait une ambiance plus gothique et plus en harmonie avec les métaux guerriers de Telles da Gama.

En parlant de minimalisme, on sort quelque peu rassasié de l’expo, mais on aurait voulu voir d’autres approches autour du même thème, afin d’éviter la répétition. Néanmoins, les six dessins valent la peine d’être vus : désormais, on regardera les armures sous un autre angle. Plus jamais nous ne visionnerons un film ou contemplerons une peinture mettant en scène des épisodes chevaleresques de la même façon. Plus que protéger le corps des chevaliers, la manufacture des armures obéit à tout un art. Et l’œil aiguisé de Telles da Gama, dissimulé sous une nonchalance apparente, nous le démontre avec limpidité.

Aucun dessin n’est titré. Sur ce penchant habituel de l’artiste, celui-ci signale que titrer une œuvre, « c’est comme aller se confesser et tout révéler en sortant ». Dans sa jeunesse, Miguel Telles da Gama abandonna des études de philosophie pour se consacrer corps et âme à la peinture. Individuellement, il expose essentiellement au Portugal. Dans des expositions collectives, l’artiste est passé par Madrid, Santiago du Chili, Brasília ou encore par le Musée national d’Éthiopie. Il expose pour la première fois au grand-duché et y offre un déconfinement libérateur de tout syndrome de la cabane. Finalement, le visiteur et la visiteuse se rendront compte que si l’habit ne fait pas le moine, on reconnaît un chevalier à son armure.

Jusqu’au 30 juin au Centre culturel portugais – Institut Camões.

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