Planning familial
 : Tant qu’il y aura de l’amour et du sexe


Créé le 1er juin 1965, le Planning familial fête ses 50 ans cette année. Le woxx s’est entretenu avec la présidente de son conseil d’administration, Ainhoa Achutegui.

(Photo : woxx)

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woxx : Le Planning familial, dont vous présidez le conseil d’administration, fêtera ses 50 ans la semaine prochaine. A-t-il changé depuis 1965 et depuis l’ouverture de son premier centre en 1967 ? 


Ainhoa Achutegui : Le travail du Planning familial a complètement changé. Même si, au début déjà, c’était un endroit pour les couples, pour l’éducation sexuelle et affective, tout comme maintenant, la société autour a évolué. Le Planning a évolué avec elle. La clientèle a, elle aussi, changé. Au début, nous avions surtout affaire à une clientèle luxembourgeoise. Maintenant, nous avons des personnes de tous horizons, c’est la diversité qui prime.

Les activités du Planning ont-elles évolué également ?


Totalement. Au début, il était surtout pensé comme un lieu où pouvait se faire l’éducation sexuelle. Mme Molitor (la fondatrice, ndlr) a lutté pour pouvoir proposer une pratique gynécologique. Les activités sont devenues plus diverses : ainsi, depuis 2009, les IVG y sont pratiquées. Le champ d’action est devenu plus grand, plus ample.

Vous avez hérité de la présidence du Planning familial au moment où la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse venait d’être votée. Y a-t-il encore de grands combats à mener aujourd’hui ?


Le combat de Danielle Igniti pour la dépénalisation de l’IVG était probablement le plus important. Mais aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase : celle de l’éducation sexuelle et affective à une échelle nationale. Nous voulons qu’elle soit développée, qu’elle soit adaptée à tous les âges et à toutes les situations de vie. C’est un des combats que nous menons. Nous en menons aussi d’autres : par exemple, l’accord de coalition du gouvernement actuel prévoit que la contraception de longue durée sera remboursée. Actuellement, la contraception est remboursée aux jeunes femmes de moins de 25 ans et celle de longue durée ne l’est pas du tout. Pourtant, il y a des femmes à qui la contraception de longue durée convient mieux. Si on veut éviter les IVG, il faut mettre l’accent là-dessus. La deuxième chose est : pourquoi se limiter à 25 ans ? La précarité ne s’arrête pas à 25 ans. Pourquoi une femme de 35 ans en situation précaire n’aurait-elle pas droit au remboursement ? Aujourd’hui, les femmes peuvent avoir des relations sexuelles reproductives jusqu’à l’âge de 50 ans… Vous voyez, il y a encore beaucoup de combats à mener.

« Nous vivons dans une société encline à une double morale, entre hyperpudeur et hypersexualité. »

Vous avez parlé d’éducation sexuelle et affective. Cette éducation est-elle différente de celle d’il y a 50 ans ?


Bien sûr. Elle change sans arrêt. Les jeunes d’aujourd’hui ont un autre rapport à la sexualité que nous ne l’avions. Ils ont un accès très rapide à la pornographie, ce qui fait qu’ils peuvent avoir une vision décalée de ce qu’est la sexualité « réelle ». Chez nous, les gens qui s’en occupent se tiennent constamment au courant, connaissent les mots que les jeunes emploient. La vision de la sexualité, mais aussi de l’amour ou du corps, change sans arrêt. Par exemple, le « porno chic », que nous trouvons dans la publicité, mais aussi les films ont aujourd’hui une grande influence sur cette vision. Nous vivons dans une société encline à une double morale, entre hyperpudeur et hypersexualité. Et puis nous devons aussi traiter la thématique des personnes transgenres ou intersexuelles. Nos équipes travaillent beaucoup sur ça aujourd’hui, alors qu’avant ce n’était pas le cas.

Comment traitez-vous cette question de l’inter ou transsexualité ?


Au Planning, nous sommes formées par l’association « Intersex & Transgender Lëtzebuerg », qui fait un travail formidable sur le sujet. Il faut savoir que, dans la plupart des cas, les enfants acceptent le genre qui leur est attribué à la naissance. Mais, selon cette association, il y a environ 500 personnes au Luxembourg qui se perçoivent comme de l’autre genre. Il y a des enfants qui, à l’âge de deux ans déjà, choisissent l’autre genre. Alors il y a des pays où, à cinq ou six ans, on peut changer sa carte d’identité. Ici, on en est encore loin. Mais la question est la même que dans d’autres pays : est-on obligé d’attribuer un sexe sur l’acte de naissance par exemple ? Est-ce nécessaire de différencier ? En Allemagne, il y a d’ailleurs la mention « sexe neutre » pour les enfants intersexués, ce qui les protège contre d’éventuelles opérations, non nécessaires et prétendument « normalisatrices ».

Le Planning familial n’a pas toujours été vu d’un bon œil par certains secteurs de la société. Aujourd’hui, ressentez-vous encore une attitude hostile par rapport à vos activités ?


Non. Même le Luxemburger Wort, qui s’est tu sur le Planning familial pendant longtemps, ne le boude plus. Le Planning familial est respecté, et ce jusque dans les cercles très chrétiens. Bien sûr, il y a des exceptions, comme lors du vote sur la dépénalisation de l’IVG en 2014, où des groupes anti-avortement ont protesté devant la Chambre. Mais la plupart des gens ont un avis très positif sur notre travail.

La dépénalisation de l’IVG, décidée en 2014, a-t-elle facilité la vie aux femmes ?


Ce n’est pas une question de facilitation de la vie, mais de principe. Quand c’est dans le Code pénal, ça veut dire que c’est perçu comme un crime. Cela a un effet normatif. Mais l’IVG reste toutefois pénalisée à partir de la douzième semaine et nous contestons cela. Une chose qui a changé avec la loi de 2014, c’est qu’il n’y a plus de deuxième consultation obligatoire. Une femme a toutes ses capacités. Elle vient, elle dit qu’elle veut faire une IVG et n’a plus besoin de se justifier par la détresse ; elle choisit, selon le principe « my body, my choice ». À ce moment-là, elle a déjà un entretien avec une personne compétente. Elle a droit à une deuxième consultation, mais elle n’y est plus obligée. Et beaucoup de femmes en font usage !

Comment l’IVG est-elle perçue aujourd’hui ?


Il y a des gens qui reprochent aux femmes ayant recours à une IVG d’utiliser cela comme un moyen de contraception. Ce n’est pas vrai. Si ça arrive, c’est que la personne en question a d’autres problèmes qu’il faut résoudre. Mais aucune femme n’a envie de procéder à une IVG. La plupart des femmes viennent parce que la méthode de contraception utilisée n’a pas fonctionné. Un autre préjugé, c’est que ce sont surtout les jeunes femmes qui sont concernées. Ce n’est pas vrai non plus. Souvent, ce sont des femmes qui ont déjà des enfants et qui sont en situation précaire.

Certains pays sont allés plus loin dans la libéralisation de l’IVG. Aux Pays-Bas, elle est possible jusqu’à la 22e semaine de grossesse, alors qu’ici, elle ne l’est que jusqu’à la 12e semaine. Faut-il aller plus loin ici aussi ?


La législation luxembourgeoise est une des plus libérales au monde. Mais nous restons pour la dépénalisation totale, ce ne sont pas les restrictions qui font baisser les IVG mais la prévention et la contraception. L’exemple des Pays Bas, avec un des taux d’IVG les plus bas du monde, le montre. Si on voit par la pratique qu’il s’avère nécessaire de lutter pour un allongement des semaines, nous le ferons ; mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Au Planning, la plupart des IVG se font avant la septième semaine d’aménorrhée, donc très tôt.

« Aucune femme n’a envie de procéder à une IVG. »

Parmi les grandes réformes qui sont actuellement discutées, il y a celle du droit de filiation, introduite en 2012. Plus de distinction entre enfants nés d’un mariage ou hors d’un mariage, une clarification de la législation en matière d’accouchements anonymes, ou encore des changements en matière de procréation médicalement assistée (PMA) : est-ce que cette réforme représente un progrès ?


Absolument. Il n’y a pas de différence entre un enfant né d’un mariage et un enfant né en dehors d’un mariage – c’est clair. En tant que Planning, on soutient aussi à cent pour cent l’accouchement anonyme. Si une femme arrive à une situation où elle a le sentiment qu’elle doit faire ça, alors elle doit en avoir le droit. C’est un peu comme pour l’IVG. Pareil pour le don de sperme et d’ovocytes : nous sommes pour l’anonymat et la gratuité, comme le prévoit le projet de loi. Bien sûr, nous nous opposons à la commercialisation du corps de la femme. Si une femme le fait, ça doit être un choix, et ça doit être anonyme.

Dans ce contexte, la question de la gestation pour autrui (GPA) a été soulevée…


Nous sommes contre la GPA, parce que l’enfant n’est pas une marchandise. Il n’y a pas un droit absolu à l’enfant et la femme ne peut être vue comme un moyen pour y arriver. On ne peut pas utiliser un corps comme une marchandise en général. C’est un peu comme pour la prostitution. Je n’achète pas un enfant. Il faut veiller à la législation cependant : il y a des enfants qui sont nés ainsi à l’étranger, et ils ont le droit d’être reconnus.

En parlant de prostitution : le Planning familial français s’est exprimé en faveur du modèle dit « nordique », qui dépénalise les prostituées et pénalise les clients. Le Planning luxembourgeois a-t-il une position sur la question ?


Ce qui est clair, c’est que, pour nous, le corps de la femme ne peut jamais être une marchandise. La position du Planning est la défense des droits et la protection des prostituées, leur permettant des choix libres sans contraintes économiques. Il faut proposer et développer de vraies mesures de sortie de la prostitution. On s’aligne sur un modèle de dépénalisation de la femme au niveau international. Là où nous n’avons pas encore de position, c’est quant à l’éventuelle pénalisation du client. En tant que Planning, on ne peut pas voir la prostitution comme un business comme un autre. Il y a des études qui sont faites, on trouvera une position en fonction des résultats de ces études. Personnellement, je suis en faveur d’une pénalisation du client, mais je ne peux que parler en mon nom pour l’instant.

Vous participez, à titre personnel, aux préparatifs pour la Journée internationale des femmes. Pourquoi le mot d’ordre « images de femmes » cette année ?


L’année dernière, le sujet était les lieux publics en tant que lieux de femmes. Avec ce qui s’est passé à Cologne, on peut dire qu’on avait bien choisi ! Cette année, le thème principal, c’est vraiment l’image de la femme – mais aussi de l’homme. Cela fait référence aux publicités, au « porno chic ». Regardez les publicités : des femmes dont on dirait qu’elles ont treize ans sont photographiées dans des positions lascives et avec des expressions qui font penser à un orgasme. Est-ce que c’est vraiment ce que nous voulons pour la société ? Est-ce que nous trouvons ça sexy ?

« Les attouchements, les agressions verbales, ça arrive tout le temps. Sauf que, d’habitude, personne n’en parle. »

Vous avez mentionné les événements de Cologne. Les agressions sexuelles sont-elles un problème importé ?


Absolument pas. Les agressions sexuelles font partie de l’histoire européenne. Le problème a de nombreuses facettes. En ce qui concerne Cologne, je pense que ça a beaucoup à voir avec des problèmes sociaux : dans la plupart des cas, les responsables étaient des personnes sans papiers, qui se trouvent déjà au bord de la société, qui ne respectent pas les lois – parce qu’elles ne sont pas incluses dans les lois. Alors, jamais je ne me permettrais de dire que c’est un problème qui ne concerne que les Arabes ou les immigrés. C’est surprenant de voir tellement de féministes – et j’ai eu des discussions très violentes à ce sujet – avoir des propos racistes après ces événements. Ce qui s’est passé est très grave, et ça s’est passé de façon très concentrée. Mais ce que les concernées ont vécu, aucune femme ne peut dire qu’elle n’a jamais vécu ça. Les attouchements, les agressions verbales, ça arrive tout le temps. Sauf que, d’habitude, personne n’en parle.

Comment y remédier ?


Là, on en revient à nouveau à l’éducation sexuelle et affective. Dans ces cours, on explique des choses aussi simples que « les filles et les garçons ont les mêmes droits ». Nous avons produit un film pour les 50 ans du Planning. Dans une scène d’un cours d’éducation sexuelle et affective, on voit notre formatrice qui demande : « Qu’est-ce qui se passe quand le garçon veut du sexe oral et que la fille ne veut pas ? » La réponse est : « Il ne se passe rien. » C’est aussi simple que ça. Ces messages sont très importants. Il faut aussi arrêter de faire des différences entre l’éducation des filles et des garçons, car tout commence là.

Où voyez-vous le Planning familial dans 50 ans ?


Dans cinquante ans, j’espère qu’on aura une offre encore plus grande et peut-être des horaires encore plus flexibles. À part ça, je pense que tout ce qui a trait au sexe et à la santé sexuelle continuera de nous occuper. Les droits sexuels et reproductifs, ça fait partie de la santé. La santé sexuelle et reproductive est aussi importante que la santé physique et la santé psychologique, et chacun ou chacune doit pouvoir vivre sa vie sexuelle comme il ou elle l’imagine, tant que ça n’occasionne pas de dégâts pour une autre personne. Je pense que le Planning existera aussi longtemps qu’il y aura de l’amour et du sexe.

Née en 1978 à Caracas, au Venezuela, 
Ainhoa Achutegui a grandi à Vienne. Après avoir été directrice artistique du Werkstätten- und Kulturhaus de Vienne, elle a dirigé le Centre des arts pluriels (Cape) à Ettelbruck. Depuis 2014, elle est directrice de Neimënster. Parallèlement, en 2015, 
elle a succédé à Danielle Igniti à la tête du Planning familial.

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