Politique culturelle
: Demi-teinte(s)

La présentation du budget a aussi eu son impact sur la scène culturelle, qui après des années de dèche néolibérale, s’attendait à de nouveaux signaux. Le résultat est couci-couça.

Un peu plus de thune, mais pas encore la révolution copernicienne – le budget culturel réserve déceptions et bonnes nouvelles. (©Axelle_B_publicdomainimages)

Pour commencer, la mauvaise nouvelle pour les amatrices et amateurs de politique symbolique : la barre fatidique du un pour cent du budget annuel n’a encore une fois pas été atteinte. Pourtant, cela n’empêche pas que les investissements dans la culture progressent, pour atteindre 0,73 pour cent. D’ailleurs, ce un pour cent serait atteint si l’on y ajoutait les 37 millions prévues en 2019 pour le Filmfonds (Fonds national de soutien à la production audiovisuelle) qui dépend toujours du ministère d’État, une particularité bien luxembourgeoise.

Le budget du Filmfonds va en tout cas connaître une belle progression selon la prévision pluriannuelle – jusqu’à 41 millions d’euros en 2020 y sont inscrits. Un peu curieux si l’on pense aux multiples audits qui se sont abattus ces dernières années sur cette structure, où manifestement tout ne tourne pas rond. En plus, si on compare cette somme aux 22 millions d’euros qu’aurait coûté l’implantation de l’industrie cinématographique à la Neischmelz à Dudelange, on doit pouvoir se demander si ce n’est pas aussi une question de politique – sachant que le Filmfonds est dans le giron politique du premier ministre. Ce dernier a d’ailleurs argumenté, devant le Parlement ce mercredi, face au lâchage du projet dudelangeois  – qui était pourtant dans la pipeline depuis 2007 – que c’était le secteur privé qui ne serait pas intéressé à investir du côté des friches d’Arcelormittal et que lui, en tant que gestionnaire en bon père de famille, ne pouvait pas verser des millions dans un projet en PPP (partenariat public-privé) dont le secteur ne voudrait pas. Même si les frais de fonctionnement s’élèveraient certainement aussi à quelques millions par an, il reste curieux qu’un projet pour lequel tellement de travail en amont a déjà été réalisé soit annulé du jour au lendemain.

Sinon, l’évolution du budget culturel montre aussi que certaines innovations semblent désormais acquises. Comme la ligne budgétaire « Mise en œuvre du plan de développement culturel » par exemple, qui dispose d’un crédit de 300.000 euros pour cette année 2019 où il a été lancé, mais dont le budget va se diviser presque par deux dans les années à venir (155.000). Heureusement que le plan de développement culturel dispose d’un crédit non limitatif sans distinction d’exercice. Mais de toute façon, ce n’est pas le financement du plan lui-même qui importe, mais bien ce qu’il en ressortira. Selon ce que le woxx a pu entendre, les négociations autour du « Arts Council » (qui se voit aussi doté de 100.000 euros à partir de 2020 – « en charge de sa préfiguration ») se présenteraient plutôt bien et une réelle nouvelle culture du dialogue serait en train de restaurer un tant soit peu la confiance perdue durant les années DP.

Vers un peu plus de professionnalisation

Autre bonne nouvelle, à prendre avec des pincettes bien sûr, l’augmentation conséquente des conventions avec les associations. Après la mise-à-plat totale sous l’ex-ministre Maggy Nagel, celles-ci passeront de 8,2 millions d’euros en 2019, à 10,8 en 2020 – atteignant même les 11,3 en 2023. Le secteur associatif avait fait de l’augmentation de ces conventions un de ses chevaux de bataille – arguant aussi de la professionnalisation du secteur voulue tant par les responsables politiques que par le secteur lui-même.

Mais attention, cette augmentation contient aussi sa part cachée : car quatre associations qui disposaient de leur propre ligne budgétaire avant ce budget y ont été incluses – dont la plateforme de promotion musicale luxembourgeoise à l’étranger music:lx, le Luxembourg City Film Festival et l’institut Pierre Werner. Reste donc à voir ce qu’il en sera de l’augmentation réelle des conventions existantes. Selon nos informations, le ministère de la Culture serait pour l’instant encore peu friand de communiquer sur le sujet.

Une autre mesure de professionnalisation a tout de même faite son apparition dans ce budget : les « frais de formation du personnel des associations œuvrant dans le domaine culturel » seront désormais sponsorisés par le ministère à hauteur de quelque 75.000 euros par an. Un geste qui montre qu’au niveau de l’administration on a compris que le milieu ne se professionnalisera pas par lui-même et qu’on y arrivera plus vite en donnant un coup de pouce. D’ailleurs, une « enquête statistique nationale sur le secteur culturel » est en train d’être réalisée par le Liser, que le ministère comptabilise avec 371.000 euros pour 2019 et 44.000 pour 2020 – espérons que l’enquête fournira aussi des chiffres pour le PIB culturel du pays.

Sinon, les financements des grandes institutions culturelles ne connaissent pas d’augmentations hors normes, mais une progression dans les règles. Toujours aux premier rang, on retrouve la Philharmonie avec ses 21,4 millions, suivie de la fondation privée qui gère le Mudam avec 8 millions, du Centre culturel de rencontre abbaye de Neumünster avec 3,9 millions, de la Rockhal avec ses 2,7 millions et du Casino engrangeant 2,3 millions.

500.000 euros pour Dubaï

Parmi les nouveaux venus, on note la participation du ministère de la Culture à l’exposition mondiale de Dubaï (500.000 euros répartis sur 2020 et 2021) – que les activistes de Richtung 22 ne sont pas seul-e-s à vouloir voir investis dans des projets culturels locaux et durables au lieu de les planter dans le désert au cours d’une orgie de Nation Branding dans un environnement où les droits de l’Homme sont un mot inconnu.

Parmi les abandonné-e-s du champ de bataille budgétaire, on compte désormais la Halle des Soufflantes à Belval, qui dispose certes de la mention d’un crédit non-limitatif, mais d’aucune somme fixe. La décision prise par la ministre Sam Tanson de ne pas mettre à disposition ce bâtiment au projet Esch 2022 se voit donc reflétée ici. Mais du moins l’équipe de l’année culturelle peut compter sur la part étatique dans son budget, qui reste gravée dans le marbre (4 millions par an jusqu’en 2021 et 21,1 pour 2022).

En guise de conclusion, on peut observer une planification budgétaire qui prend quelques pas dans la bonne direction, celle aussi bien revendiquée par le secteur que promise par la politique. Néanmoins, il est trop tôt pour parler d’une réelle approche révolutionnaire (pas au sens politique du mot) du secteur culturel, dont la valeur – qui n’est pas pécuniaire – n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur pour la société. Bref, la libéralisation rampante du secteur semble ne plus s’accélérer, mais la partie n’est pas encore gagnée.


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