Que reste-t-il de nos amours ? (7/10) : D’une langue à l’autre

Kabirou Adjibade, plus connu comme Kabi, est bénino-togolais. Il réside au Luxembourg depuis 1998.

Photo : Paulo Lobo

J’ai déposé mes valises au quartier de la gare, rue Glesener. Mon projet professionnel était de continuer mes études, mais ma femme travaillait, nous avions une fille et j’ai dû me lancer dans la vie active. Tout d’abord, j’ai travaillé quelques mois dans un cabinet d’avocats, mais la vie de bureau n’est pas faite pour moi. Ensuite, je suis resté à la maison pour m’occuper de ma fille, en bénéficiant du congé parental, qui venait de se mettre en place au Luxembourg. En 2001, j’ai travaillé au Books and Beans, qui se trouvait sur l’avenue de la Liberté. En 2008, j’ai ouvert mon propre café : le World Café, au 12-14, boulevard d’Avranches. Le nom correspond à ma volonté de créer un cadre où chaque personne, quelle que soit sa nationalité, puisse se retrouver pour partager un café, un bon moment, pour pouvoir nouer des liens… La clientèle est variée : des habitants du quartier, des Belges ou des Français qui viennent travailler au Luxembourg et aiment s’arrêter avant de rentrer. Au début, elle était surtout autochtone. La composante africaine a mis un peu de temps à arriver, et maintenant elle est majoritaire.

En novembre 2019, Kabi a repris le bistrot de Bonnevoie, au 29, rue de Bonnevoie.


La philosophie reste celle de l’accueil, de la joie, de l’enthousiasme et de l’ouverture aux personnes de tous horizons. Quelques mois après, la covid a frappé. Mais nous avons tenu le coup ! La clientèle est plutôt nocturne, ce qui donne de l’animation et de la bonne ambiance au quartier. Je suis en bons termes avec le voisinage. Sinon, nous Africains parlons fort, et parfois c’est un peu trop. Nous sommes aussi très proches du « DropIn », et des fois nous voyons passer des personnes excitées, voire agressives. Mais cela fait partie de la vie et c’est cela qui fait le quartier. Tout est là, c’est vivant !

La transformation du quartier ?


Ces derniers temps, les trottoirs de certaines rues, comme la rue de Strasbourg et la rue Joseph Junck, sont devenus des terrasses. C’est vraiment sympathique, ça a donné un autre aspect au quartier, on le sent vivant, comme une grande maison de famille, où tout le monde se retrouve. Les gens se connaissent et se saluent, d’une terrasse à l’autre les gens se parlent. Tu passes d’une langue à l’autre. J’aime ce mélange où tout le monde est ensemble et les gens partagent un espace.

Mais il y a moins de petits commerces et, le soir, le quartier est vide…


En tant que cabaretier, je remarque que les gens ont pris l’habitude de rentrer vers 22h. Avant, même en semaine, nous devions souvent dire aux clients : « Allez, il faut partir ! » Ce n’est pas bien pour le quartier, que les rues se vident si tôt. La journée, c’est tellement mouvementé, et le soir, on a l’impression que personne n’y habite : magasins fermés, personne dans la rue, on se demande si on est dans une ville ou dans un village…

Que la vie revienne

À la fin des années 1990, quand je suis arrivé, on sortait jusqu’à 5h ou 6h et on pouvait aller manger un bout dans plusieurs endroits jusqu’au petit matin. Actuellement, l’autorisation de nuit blanche ne permet pas de dépasser 3h. Or, une ville est faite pour vivre et pas pour rester endormie. Les autorités doivent comprendre que le quartier de la gare doit redevenir vivant. Les gens ont besoin de sortir, de s’aérer, de vivre !

Un vœu ?


J’aimerais faire ressortir de cet entretien un appel aux autorités, pour qu’elles nous accordent plus de flexibilité pour pouvoir travailler. Les nuits blanches devraient se prolonger jusqu’à 6h. Cela ferait du bien au quartier et aussi aux commerces, surtout à nous, les cabaretiers, qui avons beaucoup souffert de la crise de la covid. Dans mon café, j’ai une machine pour mesurer l’alcoolémie, pour limiter les dangers sur la route. Pour le reste, la nuit, c’est toujours la nuit, partout.

Le quartier de la gare raconté par ses habitant-es

Le tram fonctionne, les travaux et la pandémie sont presque finis. Paca Rimbau Hernández repose la question qu’elle avait déjà posée – en 1999-2000 et en 2019-2020 – à des personnes qui résident ou travaillent dans le quartier de la gare : « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx).


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