Que reste-t-il de nos amours ? (8/10) : Le flair de la grande ville

Dans les années 1976-1977, Germain Bintz quitte Howald et s’installe dans le quartier de la gare, rue Origer.

Photo : Paulo Lobo

C’était un appartement très chouette. J’aimais bien les autres résident-es de l’immeuble : Mme Jeanne, qui tenait le magasin de lingerie en bas, très gentille mais très énergique, une autre vieille dame qui me disait qu’elle priait pour moi chaque soir, une famille portugaise et, surtout, Johnny Glesener, l’un des pionniers de la musique swing et jazz au Luxembourg, pianiste et arrangeur, qui a consacré toute sa vie à la musique. Avant la guerre, il avait tourné dans toute l’Europe. C’était un personnage exceptionnel et incontournable dans le quartier. Si l’on avait la chance de s’asseoir près de lui, à une terrasse de la place de Paris, c’était merveilleux, car il avait tellement de choses à raconter ! En 1986, j’ai déménagé à la place de Paris, où j’habite actuellement. Ce qui me plaît dans ce quartier, c’est que l’on peut avoir une vie privée à l’abri des regards indiscrets et rester incognito. Vous pouvez vous mêler à la foule et, bien sûr, il y a des gens qui vous connaissent, mais personne ne vous épie. C’est le flair de la grande ville.

Depuis 1986, il y a eu beaucoup de changements.


Je suis très nostalgique d’une certaine époque. Quand on va en ville, après le pont, on est dans un autre monde. En ville, on ne va jamais voir des personnes qui appartiennent à une classe populaire, tout comme des gens qui travaillent en ville ne seront dans ce quartier que de passage vers la gare… Pourtant, autrefois, les gens venaient faire les magasins ici. Le quartier a perdu tout son attrait, et, en ville, les magasins de luxe ont remplacé les enseignes nationales.

Il y a du pain sur la planche…


L’avenue de la Gare est très sale et négligée. À qui la faute ? Aux services de nettoyage de la ville ? Aux gens ? Le centre-ville est bien mieux entretenu. Depuis quelques années, la dégradation du quartier ne cesse de s’aggraver. Pendant les travaux du tram, la place de Paris était devenue la plaque tournante du trafic de drogues. Encore maintenant, chaque nuit c’est le carrousel des dealers et des drogués qui obstruent régulièrement notre hall d’entrée pour se shooter ou fumer et le parsèment d’immondices.

« Choquée »

Lorsque, il y a quelques mois, une délégation de la commune de Luxembourg est venue dans le quartier avec Lydie Polfer, celle-ci s’est dite « choquée » par ce qu’elle avait vu. Eh bien, nous les habitants du quartier avons dépassé ce stade depuis longtemps, les scènes abjectes que nous côtoyons quotidiennement nous exaspèrent et nous révoltent, mais ne nous choquent plus.

Autrefois, il y avait des cabarets…


Ah, oui ! Il y avait des bars montants, rue du Fort Wallis, rue Joseph Junck et surtout rue du Fort Neipperg ! Avant de venir habiter dans le quartier, je fréquentais parfois Le Trocadéro, rue de Bonnevoie. Comme les discos fermaient à 1h du matin, si on voulait encore prendre un verre, on s’y retrouvait. Le prix était abordable et c’était ouvert jusqu’à 3h.

« Autrefois » s’applique au commerce, à la vie nocturne, à quoi d’autre ?


Aux cinémas ! Place de la Gare, il y avait l’Europe et l’Eldorado, rue de Bonnevoie, le Victory, rue Dicks, le Marivaux, rue de la Grève, le Yank et avenue de la Gare, le Capitol. Plus de traces… C’était prévu que la façade du Marivaux soit conservée, mais finalement elle a été démolie.

Une anecdote qui s’est produite dans le quartier ?


Le jour du mariage de Maria Teresa et Henri, le propriétaire du magasin de musique Edy Noël avait installé un téléviseur pour que ses employées puissent voir la transmission en direct de la cérémonie. Je suis arrivé et ai demandé à une jeune vendeuse un disque qu’elle a dû aller chercher dans le sous-sol. Quand elle est remontée, les jeunes époux s’étaient déjà dit « oui ». La pauvre, elle avait les larmes aux yeux. Je m’en veux encore !

Le mot de la fin ?


Place de Paris : j’y suis et j’y reste.

Le quartier de la gare raconté par ses habitant-es

Le tram fonctionne, les travaux et la pandémie sont presque finis. Paca Rimbau Hernández repose la question qu’elle avait déjà posée – en 1999-2000 et en 2019-2020 – à des personnes qui résident ou travaillent dans le quartier de la gare : « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx).


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