Sur les planches : 1h22 avant la fin

Pour clore sa saison 2022-2023, le Théâtre ouvert Luxembourg mise sur une valeur sûre : « 1h22 avant la fin », de Matthieu Delaporte, a déjà fait les beaux jours de la scène parisienne. Une comédie un brin optimiste sur le suicide, où l’on retrouve la verve du célèbre coauteur du « Prénom »… tout autant que ses recettes humoristiques habituelles.

Pas facile de réussir son suicide : Hervé Sogne et Raoul Schlechter… (Photos : Bohumil Kostohryz)

Dans un appartement terne aux couleurs tirant sur le marron, Bertrand règle par téléphone les derniers détails avant son suicide : déclaration d’accident – parce qu’il ne veut pas que le conducteur qui l’a évité de justesse soit en faute –, résiliation de son abonnement à l’électricité et au gaz… Puis il se dirige vers la fenêtre de son logement du quatrième étage, hésite encore. C’est alors qu’on frappe à la porte. Surgit un drôle d’énergumène, pistolet en main, qui affirme être venu tuer le futur suicidé. Il s’avère bien vite que le meurtrier en puissance est aussi perdu que Bertrand, puisqu’il débute dans le métier.

Cette situation de départ cocasse est prétexte à une joute verbale dans le plus pur style de Matthieu Delaporte, c’est-à-dire avec une succession de bons mots qui cadencent un affrontement permanent entre personnages. Pourtant, ici, le rythme effréné que le dramaturge insufflait (avec son complice Alexandre de La Patellière) dans « Un dîner d’adieu » par exemple, représenté au TOL en 2019, n’y est pas. On ressent dans les phrases une certaine lassitude, qui se traduit par des hésitations, des longueurs. Est-ce volontaire ? La pièce évoque en tout cas l’« ultra moderne solitude » qui peut pousser quelqu’un à en finir avec la vie. Car Bertrand est un enthousiaste de la chanson française, et si cette expression introduite par Alain Souchon dans son album homonyme ne figure pas dans les répliques, elle reste présente en filigrane.

Au cours des dialogues, on découvrira ainsi des citations allant de Barbara à Juliette Armanet, comme de permanents clin d’œil à un public que l’auteur espère biberonné à cette musique pour instaurer une connivence. C’est aussi la limite du texte : les références à la chanson sont tellement répétées qu’on devine certaines blagues à l’avance, pour peu qu’on ait en tête les paroles ou les interprètes. Mieux vaut donc connaître ce répertoire… et surtout l’apprécier. Lorsqu’à un moment Bertrand et son meurtrier potentiel constateront qu’ils « tournent en rond », comme dans la chanson de Zazie, on ne pourra s’empêcher de penser que oui, c’est vrai, toute cette première partie en duo ronronne un peu dans un style que les théâtrophiles connaissent déjà bien, dans un milieu social souvent représenté, dans cette connivence précédemment évoquée. Nul doute qu’un public moins habitué ou versé dans l’humour en forme de vannes permanentes sera plus impliqué dans la pièce.

… ainsi qu’Aude-Laurence Biver dans « 1h22 avant la fin ».

L’amour en vingt minutes

Raoul Schlechter et Hervé Sogne donnent cependant beaucoup de chair à cet affrontement écrit en demi-teinte. Sur les planches, leur complicité est évidente ; ils savourent leur huis clos des opposés – en fait, pas si opposés que ça, mais chut ! – avec une gourmandise qui fait plaisir à voir.

Bertrand, en plus d’être sous la férule d’un chef « con » au travail, est encore puceau. Son visiteur va donc le persuader pour une raison qu’on ne révélera pas d’aller toquer chez sa voisine du dessus. Vient alors une transition plutôt maligne (annoncée dès le début de la représentation, avant que les lumières s’éteignent) et sympathique. On y apprendra par haut-parleur, de la bouche d’Aude-Laurence Biver, quelques détails sur la pièce et sur son auteur, avant la première réplique de la comédienne. Celle-ci fait de son mieux, dans un rôle étriqué qui ne lui accorde qu’une vingtaine de minutes de quasi-comédie romantique. Bien peu dans un spectacle qui, on l’aura deviné, dure environ une heure et vingt-deux minutes. La romance entre Bertrand et sa voisine semble donc une manière de conclure un peu à la hâte de façon positive, en flirtant avec les clichés sur l’amour qui sauve, une pièce dont le sous-texte est au fond assez noir malgré son traitement comique.

À la mise en scène, Pauline Collet (assistée de Julie Ohnimus), tire parti de la scénographie de Joanie Rancier avec sobriété, répliquant l’obsession du texte pour la chanson. On appréciera également les lumières de Manu Nourdin, notamment lors de la transition mentionnée plus haut, mais aussi dans les épisodes où les personnages s’approchent de la fenêtre vers laquelle leurs idées sombres les attirent. Épisodes pendant lesquels le travail sur le son de la régie technique, assurée par Myke Ismael, se révèle important. La pièce est ainsi servie par des choix artistiques tranchés et adéquats, tandis que les personnages sont bien campés. Assez pour passer un plutôt bon moment de théâtre, même si le texte, qui s’empare d’un sujet essentiel comme le mal-être dans une société d’abondance, cède à certaines facilités.

Au TOL, encore les 16, 17, 20, 21, 28, 29, 30 juin à 20h.

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