Alimentation et climat : Tout faux, le filet


Manger des légumes, c’est bon pour le climat aussi, tandis que la viande de bœuf a tout faux. L’auteur Jean-Luc Fessard invite à repenser le contenu de nos assiettes.

Jean-Luc Fessard lors de la conférence « Sauver le climat, ça passe (aussi) par nos assiettes ! » organisée par Etika asbl, 
Attac et Slow Food.
 (Photo : RK)

Pour sauver le climat, je prendrais bien le tram… sauf que là où j’habite, il n’y en a pas. Je rénoverais bien ma maison… sauf qu’il est interdit d’apporter des modifications dans notre quartier. Certes, les transports et le logement sont considérés comme secteurs prioritaires en matière de lutte contre le réchauffement planétaire par les pouvoirs publics. Mais ceux-ci peinent à mener des politiques conséquentes et à obtenir des résultats.

« Bientôt, ce sera la 23e conférence climatique, et en 23 ans, qu’est-ce qui a changé ? Pas grand-chose du côté de l’action politique », constate Jean-Luc Fessard. Le woxx s’est entretenu avec le journaliste environnemental juste avant sa conférence « Sauver le climat, ça passe (aussi) par nos assiettes ! » de mercredi dernier à l’Altrimenti. L’action que prône Fessard est individuelle plutôt que politique : « Je pense que face au peu de résultats des conférences internationales, chacun doit agir à son niveau. Ce qui n’exclut pas l’action collective », précise-t-il.

La fourchette qui agit

Le point de départ de sa démarche, c’est le constat qu’en termes d’empreinte carbone, à côté des transports et de l’habitat, l’alimentation constitue une source importante des émissions de gaz à effet de serre. Si on en parle moins, c’est que dans les bilans nationaux de CO2 sur lesquels on négocie au niveau international, l’alimentation n’apparaît pas directement. Les aliments se retrouvent dans les secteurs industriel, transport (de marchandises) et agraire – et sont comptabilisés dans ce type de calcul sur le lieu de production et non là où ils sont consommés.

Quand Jean-Luc Fessard explique que l’alimentation constitue un des trois piliers de l’action pour le climat, il se réfère à un autre calcul : celui de l’empreinte carbone du/de la consommateur-trice moyen-ne. En France, on arrive à 27 pour cent pour l’alimentation, devant les transports et le logement individuel. Notons aussi qu’on se réfère à des quantités exprimées en équivalent CO2, tenant compte des différents potentiels de réchauffement global des gaz produits. Ainsi, le méthane – considéré comme 28 fois plus puissant que le CO2 – joue un rôle important dans l’agriculture.

« L’alimentation est le domaine sur lequel l’individu a le plus d’emprise », insiste Fessard. « On peut agir sans attendre des décisions politiques. » À l’approche de la COP21, il avait lancé l’initiative « Bon pour le climat », afin que les restaurants et les hôtels prennent conscience de cet enjeu et proposent des menus bas carbone. Un écocalculateur mis au point par l’éco-ingénieur Shafik Asal permet d’évaluer, à partir des ingrédients du menu, l’empreinte carbone de celui-ci. La moyenne française pour un repas est de deux kilos et demi de CO2, et elle monte à 4,7 kilos pour un repas classique avec viande. L’écocalculateur est mis à disposition des internautes sur le site www.bonpourleclimat.org et permet, en plus de l’empreinte carbone, d’évaluer la teneur en calories et en protéines du repas.

Saisonnier, local, végétal

Pour obtenir le label « Bon pour le climat », un-e restaurateur-trice doit proposer au moins un menu dont l’empreinte carbone est en dessous de 2,2 kilos d’équivalent CO2. Il ou elle doit également s’engager à respecter trois critères qui limitent l’empreinte carbone sur le plan systémique : la saison, le local et le végétal. « Utiliser des légumes et fruits de saison a un grand impact : ils peuvent générer dix fois plus de carbone quand ils sont produits hors saison », expose Fessard.

Tandis que « local » veut dire à moins de 200 kilomètres de distance. « Bon pour le climat » considère tout de même qu’apporter à Paris certains ingrédients du sud de la France reste acceptable. Tout comme l’importation d’ingrédients comme l’ananas ou la mangue en petites quantités – après tout, on s’adresse à des chefs cuisiniers, traditionnellement considérés en France comme une sorte d’artistes.

Le buffet « vert » offert par Etika et élaboré par « Délice végétal ». Photo : RK

Cela rappelle certaines discussions autour de la notion des « produits régionaux » au Luxembourg. Lors du débat à la Chambre sur la qualité de l’alimentation dans les cantines, la promotion de produits luxembourgeois avait été présentée comme démarche écologique. Au contraire, l’équipe restauration de Mesa, la maison de la transition à Esch, a fait le choix de privilégier les produits de la Grande Région, raisonnant en termes de distance plutôt que de nationalité. Enfin, le principal acteur du bio au Luxembourg, Oikopolis, explique qu’il peut être plus économe en énergie d’importer des pommes fraîches sur une longue distance que de conserver des pommes de la région dans des hangars réfrigérés. « Cela peut être le cas, surtout si le transport des fruits se fait par navire », confirme Fessard. Il remarque que la qualité nutritive peut cependant en prendre un coup si les fruits sont cueillis avant maturité. De toute façon, en appliquant les deux premiers critères, manger des pommes en été n’est pas une option.

Des chiffres et des recettes

Le troisième critère exige de réduire la consommation de viande, un produit dont l’empreinte carbone dépasse largement celle des fruits et légumes. « Moi, j’ai arrêté les mammifères », confie Fessard. Pour lui, il ne s’agit pas de convertir l’humanité au véganisme intégral, mais de modérer la consommation de produits issus de l’élevage en considérant l’empreinte carbone de ceux-ci. Et là, c’est le poulet qui se révèle bien moins nocif que le bœuf, la viande de porc se situant entre les deux. Notons aussi que les produits laitiers, considérés comme acceptables par les végétarien-ne-s, ont une empreinte carbone non négligeable. Enfin, parmi les végétaux, la carotte reçoit une bonne note, tandis que le riz fait figure de cancre. Ce sont les émissions de méthane – considérables pour les ruminants et pour les rizières – qui expliquent en partie ce classement.

Un classement sur lequel on peut en apprendre plus dans le livre « Ça chauffe dans nos assiettes » de Jean-Luc Fessard et Yves Leers. Sur une bonne centaine de pages, la publication fournit une intéressante introduction à la problématique de l’impact de l’alimentation sur le climat. En bonus, on y trouve 18 recettes d’entrées, de plats et de desserts présentées à la manière d’un livre de cuisine, avec listes d’ingrédients et photos en couleurs pleine page. Les recettes proviennent de chefs français-es affilié-e-s à « Bon pour le climat », et vont de la crème d’épinards au moelleux au chocolat, en passant par le filet de canette – avec, respectivement, une empreinte carbone de 313, 672 et 1.252 grammes d’équivalent CO2.

Nous avons interrogé Fessard sur l’absence d’un quatrième critère, à savoir la certification bio. « Bien sûr que je suis en faveur de l’agriculture biologique », assure-t-il, « même si le bilan carbone n’est pas toujours meilleur que dans le conventionnel. » Selon son expérience, les restaurateurs ont du mal à trouver des fournisseurs. « L’agriculture bio s’intéresse plutôt à la restauration collective, qui achète des quantités de produits importantes », explique Fessard.

Et puis, de plus en plus de petits producteurs renoncent à la certification tout en respectant des contraintes environnementales : c’est le cas notamment des « vins naturels ». Cela correspond d’ailleurs à la démarche des bons chefs cuisiniers, qui tiennent à connaître les filières dont sont issus leurs produits plutôt que d’avoir recours à un produit certifié bio mais anonyme.

Le refus de faire du label bio un critère absolu rappelle la méfiance articulée par le penseur politique Paul Ariès lors de son passage au Luxembourg. Certes, le regard qu’Ariès porte sur l’alimentation est plus philosophique et plus politisé à la fois. Mais l’idée qu’il faut donner envie de changer aux gens est présente chez Fessard aussi : « Les menus bas carbone dans nos restaurants doivent être délicieux, sinon les clients reviendront à leur steak frites. » Certes, « Bon pour le climat » n’agit que sur un segment très particulier de l’alimentation – la restauration « de qualité »… Un truc de bobos, diront certains. Mais quand il s’agit de sensibiliser à la grande transition, tout ce qui invite à la réflexion et au débat est utile. Tandis que le buffet « vert » à la fin de la conférence tout comme les recettes dans le livre ou sur le site devraient attiser notre envie de changement.


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