Administration transparente : C’était la dernière des priorités

C’était une promesse de la coalition : doter le pays d’une loi qui ouvre largement l’accès aux documents administratifs à l’ensemble des citoyen-nes. Le gouvernement a attendu la fin de la législature, le 25 juillet, pour annoncer l’élaboration d’un avant-projet de loi dont les seuls bénéficiaires seront finalement les journalistes.

L’accès aux documents administratifs est restreint tant pour les journalistes que pour l’ensemble des citoyen-nes. (Photo : Gianluca Cinnante/Unsplash)

Il y a cinq ans, ça s’était joué sur le fil : un mois jour pour jour avant les législatives du 14 octobre 2018, la Chambre des députés adoptait « la loi relative à une administration transparente et ouverte » qui « consacre le droit de toute personne d’avoir accès aux documents administratifs détenus par les autorités publiques et autres organismes ». Cette année, pas de loi, mais l’assurance, formulée le 25 juillet, d’un avant-projet de loi pour améliorer la loi de 2018, qui n’avait pas atteint son objectif tant elle restreint l’accès aux dits documents administratifs.

Cette promesse d’ouverture plus large au public était inscrite dans le programme de coalition, en 2013 d’abord, en 2018 ensuite. Et par deux fois, il a fallu attendre la fin de la mandature pour voir Xavier Bettel, premier ministre et par ailleurs ministre des Médias, consentir à une avancée dans ce sens. Au-delà de cette loi, le DP, le LSAP et Déi Gréng étaient arrivés au pouvoir en 2013 avec la promesse d’une révolution en matière de transparence, après des années Juncker jugées particulièrement opaques. L’affaire des écoutes du Srel, l’imbroglio autour de la participation de Qatar Airways dans Cargolux ou encore les soupçons de corruption entourant la construction, jamais réalisée, d’un stade à Livange, avaient illustré cette gestion nébuleuse qui avait fini par précipiter la chute de l’ancien premier ministre chrétien-social.

Dix ans plus tard, force est de constater que les choses n’ont changé qu’à la marge, et même régressé si l’on considère une communication devenue plus tortueuse entre ministères et journalistes, les échanges avec l’administration passant désormais par le tamis d’une armée de communicant-es. L’opacité s’est imposée durant la pandémie de covid-19, au cours de laquelle l’information avait été soigneusement verrouillée par le gouvernement. Pour les médias, dix ans après le départ de Jean-Claude Juncker, l’accès aux documents administratifs s’avère toujours complexe malgré les engagements de la coalition. C’est pour pallier cela que le gouvernement veut désormais améliorer la loi de 2018. Celle-ci prévoit en effet de nombreuses restrictions, et les refus opposés aux journalistes tiennent parfois de l’arbitraire.

À la traîne dans l’Union européenne

Dans un communiqué diffusé le 25 juillet, le gouvernement réaffirme le « droit d’accès à l’information pour les journalistes professionnels » et veut prendre en compte les « besoins particuliers des médias », notamment en termes de temps de transmission des documents ou des réponses négatives, l’attente durant parfois des mois. « Les organismes devront fournir aux journalistes dans les meilleurs délais une réponse contenant soit l’information demandée, soit le délai nécessaire estimé à la communication de l’information dans le cas où l’information demandée n’est pas immédiatement disponible (…), soit les raisons légales pour lesquelles l’information ne pourra pas être fournie », précise le communiqué du ministère des Médias.

Il prévoit aussi de conférer davantage de pouvoir à la Commission d’accès aux documents (CAD), créée par la loi de 2018, que journalistes et citoyen-nes peuvent saisir si l’administration leur oppose un refus de communication. À l’heure actuelle, la CAD ne peut rendre que des avis consultatifs et ne peut pas accéder aux documents dont la communication est rejetée. À l’avenir, la loi pourrait « lui attribuer un pouvoir décisionnel et la possibilité d’un droit de recours non seulement par le demandeur, mais aussi par l’organisme ».

« Dans une période où la presse se voit confrontée à de multiples défis, le Luxembourg aura ainsi un cadre légal d’accès à l’information exceptionnel en Europe », a commenté Xavier Bettel dans le communiqué de son ministère. En réalité, le grand-duché est aujourd’hui le seul pays de l’Union européenne, avec Malte et Chypre, à ne pas être doté d’une telle loi. « Au contraire de presque tous les autres pays européens, les médias luxembourgeois ne disposent pas d’un droit d’accès aux informations. Beaucoup de recherches de nos collègues européens ne seraient pas possibles sans ce droit essentiel qui oblige l’État à leur livrer des réponses et cela dans des délais vivables pour la publication dans un média », note d’ailleurs le Conseil de presse, l’organisme paritaire réunissant éditeurs et journalistes, notamment chargé de la délivrance des cartes de presse. L’organisme a été étroitement associé aux discussions avec le gouvernement dans l’élaboration du futur texte, insiste le ministère des Médias.

Les journalistes attendent de voir

Pour le président du Conseil de presse, Roger Infalt, l’annonce du 25 juillet est « un grand pas vers un droit d’accès aux informations digne de ce nom, en espérant que ce droit sera très bientôt ancré de préférence dans la loi sur la liberté d’expression dans les médias sinon dans la loi relative à une administration transparente et ouverte », selon le communiqué du gouvernement.

Le Conseil de presse a également confirmé son satisfecit dans un communiqué diffusé dans les minutes suivant l’annonce gouvernementale. Il se montre néanmoins nuancé et prudent sur la suite qui sera donnée à cette promesse. Chat échaudé craignant l’eau froide, l’organe de représentation des médias rappelle le long cheminement, les coups d’éclat, les revirements et tergiversations gouvernementaux face à une revendication que la profession porte avec force depuis 2004. Soit depuis presque 20 ans, pendant lesquels les journalistes ont souvent eu le sentiment de se faire promener par les gouvernements successifs, qui cherchaient surtout à gagner du temps pour maintenir une communication a minima.

« Si une évolution positive se produisait dans ce domaine, elle serait bien entendu la bienvenue », car « la presse joue un rôle extrêmement important dans les démocraties et, par conséquent, son accès à l’information », salue également le Mouvement écologique (Méco), pour qui l’accès aux documents administratifs est devenu un cheval de bataille ces dernières années. Tout comme le Conseil de presse, le Méco a réagi dans la foulée de l’annonce gouvernementale, mais de façon bien plus critique, estimant que le compte n’y est pas.

Pour le Méco, le compte n’y est pas

L’ONG voit tout d’abord dans l’annonce du ministère une tentative de manipulation, car elle « donne l’impression que l’amélioration de l’accès à l’information par les journalistes est implicitement synonyme d’amélioration de l’accès à l’information pour les citoyen-nes et la société civile ». Bien que Xavier Bettel se targue de « défendre et renforcer le principe d’une administration ouverte et transparente et le droit de chaque personne d’avoir accès à des informations et documents publics », le fait est que le futur texte ne prévoit aucun droit supplémentaire pour le citoyen ou la citoyenne lambda. « Or, les citoyen-nes ont un droit intrinsèque − même en dehors du droit de la presse − à un accès approprié à l’information », tranche le Méco. L’organisation écologique demande dès lors au gouvernement d’associer la société civile et l’ensemble de la population à un projet rendant l’administration transparente pour tout le monde. « L’accès à l’information est plus important que jamais, notamment à l’époque des fake news, d’une certaine perte de confiance dans les processus démocratiques et politiques et de la nécessité de prendre au sérieux les citoyens responsables », affirme l’ONG.

En promettant davantage de clarté aux médias, le gouvernement cherche incontestablement – et tardivement − à caresser les journalistes dans le sens du poil, à seulement quelques semaines des élections législatives du 8 octobre. Mais comme en 2018, il démontre par ce timing que l’exigence d’une administration plus transparente était bien la dernière de ses priorités.


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