Almanach Caritas : démondialisation, fausse bonne idée

Une des leçons pour le monde d’après la crise est la mise en question de la mondialisation. Des idées progressistes sur ce sujet, comme celles reprises dans l’Almanach, risquent d’être récupérées et détournées.

Le monde interconnecté, une vision dépassée ?
(Pixabay ; Gerd Altmann)

En se concentrant sur l’après-crise, l’Almanach social de la Caritas écarte d’office l’idée d’un retour du virus dans les années à venir. Surmonter l’état d’exception afin de commencer et continuer à construire un monde meilleur, voilà une idée volontiers reprise par les auteur-e-s de l’édition 2021 (woxx 1636 : Quel avenir ?). Certes, l’évolution des données sanitaires en Europe peut faire nourrir un certain optimisme sur ce point, même si, au niveau mondial, des dangers peuvent couver. Surtout, n’oublions pas que l’état d’exception peut présenter des avantages pour la classe politique, et que certain-e-s seront tenté-e-s, en cas de doute, de favoriser son maintien.

L’attention concentrée sur les dangers du virus permet en effet d’excuser des échecs dans les autres domaines, notamment le social. L’égalité des chances scolaires, qui devrait actuellement se trouver en chute libre, sera présentée comme une « conséquence malheureuse » de la pandémie, ce qui évitera de s’interroger sur le rôle des inégalités structurelles. La facilité avec laquelle des mesures restreignant les libertés individuelles ont pu être prises risque également de donner de nouvelles envies à une partie des politicien-ne-s. Après tout, les manifs, les fêtes et les sorties, ce n’est pas bon pour la santé publique – moins il y en a, mieux c’est.

Le monde d’après sera-t-il pire ?

Au sein de l’Almanach, on relève surtout l’article de Beate Blättner, universitaire allemande spécialisée en promotion de la santé : « Nous faut-il un nouveau concept de santé après la pandémie ? » En effet, elle s’interroge sur la tendance à identifier « bonne santé » et « absence de maladie ou d’infection », ce qui va avec un État qui « protège » (online-woxx: Au-delà de l’almanach Caritas). Compréhensible en temps de pandémie, cette approche réductrice de la santé remet en question les avancées passées, telles que la définition multidimensionnelle de la santé comme bien-être par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, WHO). Pour Blättner, le risque est réel que, au contraire, à la suite de la pandémie se perpétuent « de nouvelles formes de ségrégation sociale ».

« Ma crainte, c’est que le monde d’après ressemble au monde d’avant, mais en pire », avait dit Jean-Yves Le Drian en avril 2020, au tout début de la crise, interviewé par « Le Monde ». Le ministre des Affaires étrangères français ne visait pas tant les inégalités sociales que l’ordre international, qu’il voyait déjà voler en éclats. Sur ce sujet, les dynamiques géostratégique et politique ont pu se renforcer mutuellement.

Sur le plan politique, la pandémie a évidemment fourni de nombreux arguments à ceux et celles qui voyaient d’un mauvais œil l’intensification des flux mondiaux, qu’il s’agisse de capitaux, de marchandises ou d’êtres humains. Sur le plan géostratégique, l’idée d’un découplage entre l’Occident et la Chine a récemment fait la une, mais les discours sur l’autonomie de l’Union européenne ou l’« indépendance » du Royaume-Uni relèvent de la même logique : la méfiance envers « l’autre ».

Démondialisation et populisme

Dans l’Almanach, deux textes expliquent pourquoi et comment s’attaquer au statu quo respectivement des chaînes de valeur et de l’agroalimentaire. Deux sujets sur lesquels les forces progressistes ont longtemps tenu des discours justes, comme ceux repris dans l’Almanach, mais peu écoutés par le mainstream. Désormais, une réflexion superficielle au sein du mainstream, voire la récupération par des mouvements populistes, font que des idées auparavant considérées comme sacrilèges (parce que « protectionnistes ») ont le vent en poupe. Hélas, une application irréfléchie du principe de découplage économique – plus on produit « nous-mêmes », mieux c’est −, risque de faire plus de mal que de bien, en déclenchant des effets pervers macroéconomiques.

Pire encore, la logique du découplage est populaire parce qu’elle se nourrit aussi de peur et de xénophobie. On échouera peut-être alors à bannir l’ensemble des produits « de camelote » chinois. Mais on réussira à renforcer les murs autour des forteresses occidentales face à des flux migratoires décriés comme « porteurs de criminalité et de virus ». La crise aura alors profité non pas au développement durable et à la nature, mais au maintien des acquis et à la nation.

 


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