Le premier concert de l’année 2019 à la Philharmonie aura été marqué par la profusion rythmique. Retour sur la prestation du Bundesjugendorchester, conduit par Kirill Petrenko et accompagnant les timbales de Wieland Welzel.
Pour ses 50 ans, l’Orchestre des jeunes de la République fédérale d’Allemagne s’est offert une jolie tournée de début d’année, qui lui permettra entre autres d’effectuer sa première apparition dans la toute récente Elbphilharmonie de Hambourg. Mais le début de la tournée passe par le Luxembourg, et déjà un succès du point de vue de l’audience : ce 6 janvier, quelques mélomanes disposent de billets à revendre, mais la caisse du soir n’a plus guère qu’une poignée de places isolées dans les tours à proposer. Comment expliquer un tel engouement pour un orchestre de jeunes gens de 14 à 19 ans ? Certainement une combinaison de deux facteurs : une mobilisation exceptionnelle de la communauté allemande au grand-duché et la venue de Kirill Petrenko – le concert était annoncé par la Philharmonie dans le cycle « grands chefs ». Sans compter, évidemment, les qualités de l’orchestre, composé de jeunes instrumentistes qui débordent de talent et d’énergie.
Départ en fanfare donc, avec les « West Side Story : Symphonic Dances » extraites par Leonard Bernstein de sa comédie musicale et arrangées (superbement) par Sid Ramin et Irwin Kostal. Manifestement très à l’aise dans ce répertoire, l’orchestre propose des sonorités précises et syncopées, sous la direction très minutieuse de Petrenko. Le prochain directeur musical des Berliner Philharmoniker ne néglige aucune entrée et distribue les encouragements à la ronde. Quoiqu’il favorise la battue de la mesure, probablement pour aider une formation moins aguerrie que celles qu’il mène habituellement, il est loin cependant d’abandonner les gestes d’expressivité : c’est tout son corps qui se substitue à ses mains, dans un élan où le mambo donne une irrésistible envie de bouger. Quelle énergie dans cette symbiose entre chef et orchestre ! Certes, les passages plus doux, notamment le thème de Maria aux violons, manquent un peu de liant ; mais dans cette musique avant tout rythmique et percussive, la performance est à saluer.
Intéressante découverte ensuite, et excellente idée de continuité dans le rythme, que ce « Timpani Concerto no 1 » de William Kraft. Il permet de se reposer des habituels grands concertos pour violon, piano, voire violoncelle, et surtout d’explorer les possibilités souvent insoupçonnées des timbales comme instrument soliste. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, le timbalier, chef et compositeur William Kraft, né en 1923 et qui a passé 40 ans au Los Angeles Philharmonic, s’est attelé en 1983 à mettre en valeur son instrument dans cette pièce d’une vingtaine de minutes. Il y explore toutes les techniques de frappe à mains nues et à l’aide de divers types de baguettes, mêlant les timbales à l’orchestre dans un dialogue permanent avec l’effectif complet ou des instruments solos. Le deuxième mouvement notamment révèle, avec ses glissandos qu’alternent le soliste et les violons, une puissance évocatrice émotionnelle qu’on n’aurait pas prêtée aux timbales. Le percussionniste Wieland Welzel, soliste des Berliner Philharmoniker – après avoir justement joué dans le Bundesjugendorchester –, fait preuve d’une maîtrise hypnotique, placé au milieu de l’orchestre.
La belle cohérence du programme de la soirée s’achève après la pause avec « Le sacre du printemps » de Stravinsky, très rythmé également. Fidèle au style qu’il s’est donné pour diriger cette formation, Petrenko bat et montre les entrées avec régularité et précision. Les percussionnistes de l’ensemble sont toujours à la fête, programme oblige, et impeccables. Les vents fusent de sonorités, les violons glissent habilement ou tirent l’archet avec ferveur. Mais pour la première fois de la soirée, on a un peu l’impression d’une version scolaire : l’énergie primale de la partition a de la peine à ressortir, sous la difficulté technique monstrueuse d’une pièce célébrissime. Tout est en place pourtant, et l’enthousiasme est palpable dans les pupitres. Mais les instrumentistes n’ont qu’entre 14 et 19 ans, que diable, et quelle première partie déjà ! D’ailleurs, le bis, un interlude extrait de « Lady Macbeth de Mtsensk » de Chostakovitch, termine sur une note on ne peut plus brillante. Avec de tels talents pour intégrer les orchestres de demain, on ne peut qu’être optimiste pour l’avenir de la musique symphonique.