Des compositrices radicalement contemporaines

« Figures radicales », c’est le titre du concert qui a eu lieu samedi 24 novembre dans le cadre du festival de musiques nouvelles « rainy days ». Un programme alléchant pour amatrices et amateurs de musique classique contemporaine, avec trois grandes premières, et qui a tenu toutes ses promesses.

Francesca Verunelli, compositrice italienne, dont l’œuvre « Tune and Retune » a été jouée pour la première fois lors du concert. (Photo : Julian Hargreaves)

Le festival « rainy days » mérite décidément son nom : ce soir, une pluie fine et glaciale arrose le Kirchberg, et l’arrivée dans le grand hall de la Philharmonie est un soulagement. Mais où est passée l’agitation coutumière d’avant-concert ? À une dizaine de minutes du début de la représentation, le large espace semble quasi vide et les bars bien désertés. Le jour (un samedi) ou l’horaire (19 heures) sont certes inhabituels, mais il faut bien se rendre à l’évidence : lorsque de la musique contemporaine est proposée, l’affluence est moindre que pour la énième exécution d’une symphonie de Beethoven ou du concerto pour violon de Tchaïkovski. Non pas que ces morceaux ne soient pas des chefs-d’œuvre à réécouter, évidemment, mais la curiosité du public classique pour des sons moins « harmonieux » n’est pas pour ainsi dire légendaire.

L’impression est confirmée à l’entrée dans la salle, puisque celle-ci est emplie à un petit tiers environ. L’orchestre, lui, est pléthorique. C’est que la première pièce est « Hétéromorphie » de la compositrice québécoise Micheline Coulombe Saint-Marcoux, créé en 1970 à Montréal et… jamais rejouée depuis. Première européenne et deuxième exécution donc, ce qui franchement devrait suffire à attirer la curiosité des mélomanes. D’autant que le morceau, fortement inspiré par la musique électroacoustique que la compositrice avait étudiée et contribué à répandre, joue autant sur les sons que sur la spatialisation. Ainsi, l’orchestre n’est pas disposé traditionnellement, mais en quatre formations qui se répondent, conformément à la partition. Le chef d’orchestre de 1970 avait voulu se faciliter la tâche et n’avait pas respecté la volonté de Micheline Coulombe Saint-Marcoux, qui avait qualifié le concert de « sabotage ». Cette exécution luxembourgeoise est donc, finalement, la première « correcte » de l’œuvre. La Québécoise, morte en 1985, ne l’entendra pas.

Ce soir, c’est le chef suisse Baldur Brönniman qui officie à la tête de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg. Pour une musique qui demande une précision rythmique impeccable, ce spécialiste de la musique contemporaine bat la mesure scrupuleusement, sans baguette, avec de grands gestes, laissant les circonvolutions raffinées de ses homologues classiques ou romantiques dans la loge. Tant mieux : la pièce est difficile, mais l’orchestre suit parfaitement, déroulant dans l’espace des sonorités à la fois modernes et familières. Les notes de Coulombe Saint-Marcoux passent particulièrement bien, grâce à une écriture raffinée qui fait la part belle aux percussions et une concision qui évite le vagabondage d’attention. Il s’y passe toujours quelque chose. Étonnant que cette pièce contemporaine d’excellente facture ne soit jouée que pour la deuxième fois.

Baldur Brönniman, le chef de la soirée (Photo : François Zuidberg)

Deuxième grande première de la soirée, arrive ensuite un morceau commandé par la Philharmonie pour le festival (avec l’association Milano Musica, à la tête d’un festival contemporain également). Deuxième compositrice de la soirée aussi, puisque c’est « Tune and Retune » de l’Italienne Francesca Verunelli qui est au programme. Pendant que les pupitres sont déplacés – on revient à une disposition plus traditionnelle –, la jeune femme s’entretient sur scène avec le chef d’orchestre et avec Lydia Rilling, la directrice artistique du festival. L’orchestre qui, d’ailleurs, est son « instrument préféré » : dans « Tune and Retune », elle a souhaité travailler sur la notion de timbre, élargissant à tous les instruments l’expérimentation sur les conditions de production du son. Le début, mystérieux à souhait, est un beau prélude à l’exploration des possibilités non orthodoxes des cordes, des cuivres ou des bois, avec là aussi une variété de percussions importante. On navigue ensuite dans différents plans sonores, alternant les périodes de calme et de tempête, peut-être un peu lentement parfois.

La diversité des timbres s’étale sur une vingtaine de minutes, manquant de la concision précise de la pièce précédente. Il y a véritablement une science de l’orchestration moderne chez Verunelli, mais une notion du temps peut-être trop élargie, en tout cas dans cette pièce. L’exécution, tout aussi difficile que la précédente, est là encore bien cornaquée par Brönniman qui ne laisse rien dans le flou, permettant d’apprécier les expérimentations sonores.

Après l’entracte, il faut un bon quart d’heure avant que le concert ne reprenne : les responsables de scène semblent avoir oublié des pupitres ou des chaises et errent sur le podium, provoquant quelques applaudissements ironiques de mélomanes à la patience usée. Une preuve, s’il en fallait, que la disposition de l’orchestre est elle aussi un art bien particulier pour la musique contemporaine. Enfin arrive la troisième grande première de la soirée : l’exécution luxembourgeoise de la « Sinfonia » de Luciano Berio. Nous voilà dans le contemporain « classique » : cette œuvre est probablement la plus connue du compositeur et a déjà été jouée, certes à l’étranger, de nombreuses fois. Huit voix de l’ensemble Synergy Vocals rejoignent l’orchestre, mais pas des solistes à proprement parler. La « Sinfonia » n’est en effet pas une symphonie, mais plutôt une pièce dont le nom se veut une stricte allusion étymologique à la production simultanée de divers sons par diverses sources. Peut-être que, sans elle, le public serait encore plus clairsemé ?

Photo : François Zuidberg

En tout cas, dans la lignée des exécutions précédentes, la précision est au rendez-vous, assurée par un Brönniman et un OPL décidément impeccables ce soir dans un répertoire difficile, et l’émotion palpable dès le premier mouvement en hommage à Martin Luther King. Mais c’est bien le magnifique troisième mouvement qui emporte les mélomanes, avec un tissage serré et mélodieux entre les voix particulièrement dynamiques et le « cut-up » musical de Berio, empruntant à Mahler, Debussy, Ravel ou Berg. Longs applaudissements pour conclure une soirée pluvieuse, mais réussie. Si seulement la curiosité piquait un peu plus le public classique…


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