Climat et faux consensus : Les indispensables

La COP28 risque d’aboutir une nouvelle fois à des demi-mesures. Pour le mouvement climatique, il est temps d’identifier le véritable adversaire.

Indispensable, le caviar ? À la louche ou à la pelle ? (Pixabay ; andreas 160578)

Quel est l’ennemi no 1 du mouvement climatique ? Les climatonégationnistes, qui remettent en question la réalité du réchauffement par effet de serre et son origine anthropique ? Ce serait un adversaire confortable, car le nombre de militant-es en est limité et ils et elles n’ont que le complotisme à opposer à la science. Qu’en est-il alors des multinationales des énergies fossiles, qui financent les négationnistes, infiltrent les structures onusiennes et cherchent à différer l’adoption de mesures qui ruineraient leurs investissements ? Là encore, malgré leur poids financier, il s’agit d’actrices minoritaires par rapport au large consensus politique sur la réalité du changement climatique et sur l’urgence d’agir, lequel va être réaffirmé lors de la COP28. Non, le véritable ennemi no 1 du climat, c’est le discours sur les « indispensables ».

Dans son édition d’il y a deux semaines, « The Economist » analysait ainsi les trois « big topics » de la conférence climatique qui se tient à partir de ce jeudi 30 novembre. Il s’agirait de la réduction des émissions de méthane, de la finance climatique et de la sortie des énergies fossiles. Ce dernier sujet donnera lieu aux débats les plus « vilains », estime l’Economist, et assure que la mise en œuvre de dispositifs d’atténuation permettrait une sortie maîtrisée et « épargnerait aux consommateurs un choc d’offre douloureux ».

N’est-il pas « raisonnable » de vouloir sauvegarder nos chers « indispensables » ?

Atténuer, maîtriser, épargner – l’idée derrière cette circonspection est de considérer les énergies fossiles comme… « indispensables ». Le terme de « dispositif d’atténuation » correspond à « abatement » en anglais et recouvre les technologies comme le « carbon capture and storage » (CCS) destinées à utiliser des énergies fossiles en atténuant leurs émissions. La question est complexe, mais la plupart des ONG redoutent que ces technologies peu éprouvées servent de prétexte pour retarder la sortie des énergies fossiles (voir aussi Technologie als Lösung dans ce numéro). Comme l’explique un expert cité par l’Economist : « Vous pouvez souhaiter la disparition des énergies fossiles, mais elles constituent 80 pour cent de la consommation et continuent à croître. »

Le véritable obstacle est ce discours-là : l’évidence qu’il est nécessaire de stopper le réchauffement global est contrecarrée par le « fait » qu’il est indispensable de consommer des énergies fossiles. Un raisonnement qui peut rassurer les opinions publiques et influencer le résultat de la COP28 – mais laissera indifférents les mécanismes géophysiques à la base du dérèglement climatique.

Se passer du pétrole ? La COP28 entre sauver le climat et sauvegarder l’« indispensable ». (Wikipedia ; Antandrus ; CC BY-SA 3.0)

Raisonner « par l’indispensable » ne se limite pas à la question énergétique. Ainsi, toute discussion sérieuse sur l’empreinte carbone des forces militaires est balayée, car leur maintien est indispensable pour défendre nos valeurs. Intenable, le style de vie des sociétés occidentales, et notamment des membres des classes moyenne et fortunée ? Peut-être, mais il est indispensable que le pouvoir d’achat soit maintenu, manger de la viande fait partie de « notre culture », et on a bien besoin de sa voiture ou de son avion de ligne. Enfin, pour une transition juste, ne faudrait-il pas booster les transferts financiers Nord-Sud et repenser notre modèle économique et social ? Hélas, expliquent les expert-es, il ne faudra pas en faire trop, car la stabilité budgétaire et la croissance sont indispensables. Ces discours-là ne nient donc pas l’évidence climatique, ils ne sont pas téléguidés par des multinationales – ils proviennent de gens « raisonnables », pour qui le plus important est de sauvegarder nos chers « indispensables ».


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