COP27 et 1,5 degré : Laisse béton, laisse carbone

Admettre que le réchauffement ne restera probablement pas sous le seuil de 1,5 degré peut être une excuse pour l’inaction… ou un motif pour en faire plus.

Nous reste-t-il assez de temps pour limiter le réchauffement à 1,5 degré ? (Flickr ; Ivan Radic ; CC BY 2.0)

Les temps ont bien changé. Les lobbys économiques, en général, ne nient plus le changement climatique. Dans une récente carte blanche sur RTL, Tom Wirion va jusqu’à critiquer les insuffisances des politiques gouvernementales de réduction des émissions. Pour le directeur général de la Chambre des métiers, il est temps d’admettre que le changement climatique est devenu inévitable. L’argument a été utilisé par ses pairs dans le passé pour demander qu’on « arrête les frais » et qu’on abandonne les ambitieuses politiques climatiques. Mais Wirion se prononce en faveur de la poursuite des politiques de mitigation. Il rappelle simplement l’importance de l’adaptation au réchauffement en cours et à venir – une position qui rejoindrait presque celle des ONG. Sauf que, plutôt que de réclamer des flux financiers Nord-Sud et des programmes sociaux, le représentant de l’artisanat plaide la cause des solutions techniques.

L’idée d’admettre que le monde va dépasser le seuil du 1,5 degré de réchauffement global peut inquiéter, voire choquer. Devant la couverture de « The Economist » de début novembre appelant à dire « goodbye » à cet objectif lié à l’accord de Paris, on se demande forcément s’il s’agit d’une manœuvre pour saboter la COP27, dont un des mots d’ordre est « Keep 1.5°C alive! ». Or, le porte-voix des intérêts économiques ne remet pas en question le bien-fondé des réductions d’émissions de CO2, mais plutôt le fait de sous-estimer les efforts et coûts que cela implique. On appréciera la lucidité de l’analyse, tout en s’étonnant du reproche adressé au mouvement climatique de nier le dépassement du 1,5 degré et l’urgence de l’adaptation.

1,5 et des poussières… Le réchauffement climatique ne s’arrête pas du jour au lendemain. (Pixabay/Gerd Altmann)

Le risque de dépasser 1,5 degré peut être instrumentalisé pour affirmer que continuer comme avant ne fera aucune différence.

En effet, que le sujet du « Loss and Damage » se trouve au centre des débats de la COP27 n’est pas dû à un édito de l’« Economist », mais bien aux campagnes des ONG. Or, cette demande d’indemnisation est intimement liée aux efforts insuffisants en matière d’adaptation et à la revendication d’une remise à plat de la finance climatique (woxx 1709). Le seuil du 1,5 degré de son côté est surtout devenu le symbole de l’urgence d’agir. Les militant-es climatiques bien informé-es ont toujours été conscient-es des larges marges d’erreur scientifiques. En 2018, la publication du rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5 degré a clarifié le caractère graduel des effets destructeurs, effectifs bien en deçà de ce seuil (woxx 1497). Ou, comme le résume une analyse détaillée du « budget carbone » pour rester sous 1,5 degré sur le site Carbon Brief : « (…) il n’est pas anodin de continuer à émettre du CO2 et d’épuiser ce budget, mais le dépasser ne signifie pas non plus la fin du monde immédiate ». Précisons que la gradualité est modifiée par des effets de seuil potentiellement accélérateurs, mais dont les paramètres exacts demeurent inconnus.

Résumons : il est probable que, même en redoublant d’efforts, le seuil de 1,5 degré sera dépassé. Ce constat peut être instrumentalisé pour affirmer que « continuer comme avant » ne fera donc aucune différence, ou pour justifier l’abandon des réductions de CO2 au profit de technologies telles que le captage du carbone ou la géo-ingénierie. Cela peut aussi changer la manière de considérer les émissions de CO2 : si le budget carbone pour rester en dessous de 1,5 degré tend rapidement vers zéro, il faut arrêter de fixer la date du zéro émission net en termes de décennies. Chaque tonne de CO2 économisée contribue à réduire les risques de conséquences néfastes – et chaque dollar, euro ou yuan investi dans la mitigation est « rentable » en termes globaux.


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