CSV : Le « nouveau Luc » et Mister Frieden

Luc Frieden a réussi son pari. Après 10 ans d’absence de la vie politique, il sera le prochain premier ministre, à la tête d’une très probable coalition avec le DP. Ce retour du CSV au pouvoir doit moins à une percée électorale qu’à la déroute des verts, qui a rendu impossible la reconduction de la coalition Gambia.

Luc Frieden triomphe devant ses troupes réunies à Oberanven, dimanche 8 octobre. (Photo : Fabien Grasser)

Pour le CSV, le scrutin de ce 8 octobre met fin à une décennie de traversée du désert, au cours de laquelle il n’a jamais cessé d’être le parti le mieux représenté au parlement. Dix années à ronger son frein pour reconquérir un pouvoir qu’il a occupé durant 63 ans depuis l’après-guerre. Mais cette décennie dans l’opposition ne s’est pas égrenée au même rythme pour tout le monde : après la défaite de 2013, Luc Frieden avait prestement tourné casaque, allant pantoufler dans le privé plutôt que d’user ses fonds de culotte sur les bancs de l’opposition. De la vice-présidence de la Deutsche Bank, à Londres, à la présidence de la Chambre de commerce en passant par Saint-Paul, la BIL et un cabinet d’avocats, le futur premier ministre semblait avoir définitivement largué les amarres de la politique. Jusqu’en janvier dernier, quand il a surgi tel un joker de la manche d’un CSV en manque de leadership probant pour le mener à la victoire tant attendue. Faire du neuf avec de l’ancien : tel était le pari.

Il s’agit alors de convaincre que l’homme, âgé depuis peu de 60 ans, a changé. Qu’il n’est plus ce conservateur opposé aux réformes de société majeures (comme le mariage homosexuel), ce « père la rigueur » privilégiant les intérêts du business, ce fils de bonne famille à l’image rigide et parfois arrogante. Voilà donc le « Luc nouveau ». Il tombe la cravate, anime avec décontraction réunions électorales et conférences de presse, adopte un ton tout en douceur et sérieux pour décliner un programme ripoliné en façade, mais dont les fondamentaux demeurent bien ancrés à droite : baisses d’impôts pour tout le monde, moins d’obligations environnementales pour la construction de logements et de nouvelles zones d’activités, moins de contraintes pour les entreprises et plus de flexibilité dans le monde du travail, etc. La croissance reste au cœur du projet politique, quand bien même on lui accole le qualificatif « durable ».

Dimanche 8 octobre, au soir du scrutin, le CSV réunit ses troupes au centre polyvalent A Schommesch, à Oberanven, à l’écart de la capitale. Des centaines de membres du parti communient dans une ambiance de plus en plus surchauffée, au fil de la tombée des résultats sur des écrans branchés sur RTL. L’affluence est impressionnante, témoignant d’un socle électoral qui demeure le premier du pays. « C’est officiel, la coalition Gambia est morte », se réjouit Laurent Mosar face à quelques journalistes. Et quand l’un d’eux l’apostrophe sur la déroute de Déi Gréng, lui faisant remarquer qu’il perd ainsi ses meilleurs ennemis, il rétorque, euphorique : « J’en trouverai d’autres. » Une « Schadenfreude » partagée par nombre de militant-es de base, voyant dans les verts le parti des interdits, obsédé par la question du genre. Soit des propos calqués sur ceux de l’ADR. D’autres ténors chrétiens-sociaux, comme Claude Wiseler ou Paul Galles, n’adhèrent pas à ce jugement à l’emporte-pièce. Sans s’appesantir sur le sujet, ils n’y voient pas matière à s’enthousiasmer.

Un triomphe tout relatif

Quand Luc Frieden apparaît enfin vers 22 heures, il fend une foule compacte pour atteindre la scène du centre polyvalent. Les acclamations durent de longues minutes et ponctuent un court discours dans lequel il proclame que le CSV « a obtenu un mandat clair des électeurs pour former le prochain gouvernement ». C’est l’heure du triomphe et il ne boude pas son plaisir.

À vrai dire, un coup d’œil sur les résultats relativise cette consécration. Elle est avant tout le fruit du statu quo : le CSV reste à 21 député-es, comme en 2018, alors qu’il en alignait 23 en 2013 et même 26 en 2009. En rassemblant 29,21 % des suffrages, il ne progresse qu’à la marge avec un gain de 0,9 %. Son retour aux affaires doit donc moins à une percée dans les urnes qu’à l’impossible reconduction de la coalition Gambia, en raison de la déroute de Déi Gréng. Le parti chrétien-social profite du glissement de l’électorat vers la droite. Le score du LSAP, qui obtient un siège supplémentaire et le deuxième meilleur score en nombre de suffrages, vient quelque peu contrebalancer la tendance.

Au regard de l’issue du scrutin, le pari du « nouveau Luc » est gagné. Dès lundi, le grand-duc l’a nommé formateur, selon une logique toute mathématique. Les négociations en vue de composer une coalition avec le DP (14 sièges) ont débuté ce mercredi 11 octobre au château de Senningen. Pauvreté, logement, climat, santé et sécurité sont les thèmes débattus au cours de ce premier échange, autant de problèmes lourds qui ne pourront pas être résolus à court terme, a prévenu le formateur. Il faudra donc patienter encore pour voir ces urgences trouver d’éventuelles solutions. La réunion « s’est déroulée dans une ambiance constructive », a-t-il précisé, selon la formule consacrée. La formation du prochain gouvernement ne devrait pas rencontrer de difficulté majeure.

Les réseaux sociaux raillent la « coalition Giorgetti »

Depuis 1948, CSV et DP ont gouverné ensemble à cinq reprises. Mais une seule fois le parti chrétien-social avait dû composer au sein d’un gouvernement avec un ancien premier ministre. C’était entre 1979 et 1984, quand Pierre Werner avait formé une coalition avec son prédécesseur libéral Gaston Thorn. Aux côtés d’autres portefeuilles, ce dernier avait été nommé ministre des Affaires étrangères, ce qui le tenait un peu à distance du pays. Ce scénario est à nouveau évoqué, d’aucuns présageant une cohabitation parfois rugueuse entre Luc Frieden et Xavier Bettel, dont la forte personnalité et l’expérience de dix ans à la tête du pays pourraient porter ombrage à son successeur.

Cette potentielle guerre d’ego n’est, à l’heure actuelle, pas la première des préoccupations de la société civile, syndicats, associations d’aide sociale et ONG. Tous s’interrogent sur la politique économique que mènera une coalition dont les composantes partagent le même penchant empreint de néolibéralisme, en faveur du monde des affaires et de la finance. « Tout sera-t-il basé sur la croissance et le profit ? », s’inquiète un responsable d’association auprès du woxx. Sur les réseaux sociaux, des internautes, proches d’autres partis, prennent moins de pincettes et ironisent sur la future « coalition Giorgetti », du nom du promoteur immobilier Marc Giorgetti. Comme l’avait relaté RTL, des élu-es DP, CSV et Luc Frieden s’étaient joints, en septembre, à une soirée organisée par l’entrepreneur dans un restaurant de Mondercange, provoquant un début de scandale. Cela s’était finalement tassé et ce mélange des genres n’a causé aucun dégât collatéral aux deux partis. Mais l’exhumer à nouveau ces jours-ci est aussi une manière de rappeler que le CSV s’est parfois illustré par son affairisme quand il était au pouvoir. En 2013, le nébuleux épisode de la construction, jamais réalisée, du grand stade de Livange a par exemple été l’une des affaires qui avaient précipité la chute du gouvernement Juncker. Et la sortie temporaire de Luc Frieden du monde politique.


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