Politique d’immigration et d’asile : Programmes électoraux : accueil – et puis ?

Alors que l’Union européenne envisage de durcir les lois migratoires, qu’en est-il de la politique d’immigration et d’asile au Luxembourg ? Analyse des mesures que proposent les partis pour les élections du 8 octobre.

Une première en cinq années : une majorité (51,3 pour cent) des personnes hébergées dans les structures de l’Office national de l’accueil (ONA) bénéficiaient déjà d’une protection internationale ou similaire fin 2022.

L’Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti) a exigé mi-septembre l’obligation scolaire pour tous les enfants « indépendamment du statut administratif de leurs parents », révélant par là sa connaissance pratique du terrain. Dans les programmes électoraux, ce type de connaissance ne semble à première vue que peu présent. Seul le LSAP écrit vouloir prendre en compte la revendication de l’Asti. Plusieurs autres programmes sont remplis d’expressions floues, voire contradictoires dans le cas des partis plus conservateurs comme le DP. Parmi des déclarations xénophobes et des propos abstraits, un regard de plus près dévoile néanmoins des mesures plus ciblées.

Quelle est la situation actuelle sur le terrain ? Dès leur arrivée, les demandeurs-euses de protection internationale sont placé-es dans des structures d’accueil, notoirement surpeuplées. Au sein de ces foyers, où la durée de résidence moyenne s’élève souvent à plus d’un an, une des questions phares tant pour les partis que pour les ONG est celle de la gestion des structures et de l’autonomie de celles et ceux qui y vivent. Alors que des partis comme le CSV sont plus centrés sur la prise en charge des réfugié-es – promettant entre autres un personnel plus nombreux –, les partis de gauche ou encore les pirates mettent l’accent sur l’autonomie des demandeurs-euses et bénéficiaires de protection internationale.

Quand l’autonomie suit l’accueil

Ainsi, Déi Gréng, le LSAP ou encore Déi Lénk soutiennent l’allocation d’une aide financière qui permette aux personnes vivant dans les foyers de regagner une autonomie. Plus précisément, Déi Lénk promettent d’augmenter l’allocation mensuelle, tandis que Déi Gréng suivent les revendications de l’asbl Caritas Luxembourg – présente dans une vingtaine de foyers – et proposent d’élargir l’initiative « cash for food » en ne limitant les prestations pas qu’à l’achat de nourriture. Le parti vert et Déi Lénk promettent également la possibilité de cuisiner dans tous les foyers.

Autre point important pour les partis de gauche afin de permettre une autonomisation : le droit à un emploi. Actuellement, on doit attendre six mois après l’introduction d’une demande de protection internationale avant de pouvoir demander une autorisation d’occupation temporaire. Pour le LSAP et Déi Gréng, il s’agit de simplifier la demande de cette autorisation, en réduisant la durée des procédures pour obtenir un permis. Mais ces deux partis ne précisent pas de combien de temps ils voudraient réduire cette durée. Aux personnes issues de l’immigration, Déi Lénk promettent de « garantir » un emploi dès la deuxième année de résidence. Et les pirates s’alignent sur les demandes de Caritas Luxembourg et de l’Asti, en proposant de créer un parcours de formation en collaboration avec la Direction de l’immigration, l’Olai et l’Adem.

La majorité des formations politiques est d’accord sur l’importance que revêtent l’éducation, les formations et l’accompagnement professionnel afin de faciliter l’intégration des personnes migrantes ou en quête de protection internationale. Les partis promettent ainsi d’étoffer l’offre de cours de langues, d’art, de sport et de formation professionnelle.

Volet intégration

Si les partis mettent l’accent sur les formations et l’échange culturel – par exemple en diversifiant les programmes scolaires (LSAP et Déi Gréng) –, c’est surtout pour faciliter le vivre-ensemble. Car une fois le permis de résidence ou la protection acquise, nombreux-euses sont celles et ceux qui se heurtent au problème du logement. En plus du manque de soutien pour s’autonomiser et des barrières bureaucratiques entravant souvent l’accès à un permis de travail, le marché immobilier luxembourgeois explique en partie le taux d’occupation très élevé des structures. Fin 2022, 51,3 % des personnes hébergées bénéficiaient d’une protection internationale.

Bien que des partis comme le CSV reconnaissent le surpeuplement des foyers et se montrent favorables à une répartition des réfugié-es à travers les communes du pays (tout en offrant des aides financières aux communes, promettent Déi Gréng), seuls Déi Lénk proposent d’augmenter le nombre de structures d’accueil. Alors, tandis que l’ultradroite se contente d’accuser les immigré-es de contribuer à la crise du logement, quelques partis promettent des mesures plus concrètes : des quotas obligatoires dans les logements sociaux (Déi Gréng et Déi Lénk) ou la construction de logements à louer « à prix abordables » (Déi Lénk). À l’opposé de ces promesses, on trouve le CSV : en matière de logement, les réfugié-es ne recevront « pas de statut spécial ».

En effet, aux yeux du parti conservateur ou encore du DP (on devinera sans effort la position de l’ADR), les immigré-es et réfugié-es ne méritent pas de soutien supplémentaire. Pourtant, des associations comme Lëtz Rise Up dénoncent depuis des années les discriminations structurelles auxquelles font face les personnes racisées dans le pays, ainsi que le manque de volonté politique, prouvé entre autres par l’absence de données claires à ce sujet. Face à la montée de l’ultradroite et de politiques antimigratoires en Europe, le plus récemment en Allemagne, des efforts préliminaires sont tout de même présents dans quelques programmes. Ainsi, on y rencontre entre autres des formations antiracistes, des propositions d’investir dans la recherche (Déi Gréng), la poursuite de l’élaboration d’un plan d’action national contre le racisme (Déi Gréng et LSAP) et un renforcement des sanctions pénales (Déi Lénk).

Copyright: European Communities, 2006

Un droit peu contesté

En ce qui concerne le droit à l’asile, nombre de partis proposent d’améliorer l’efficacité du processus des demandes, soit pour octroyer une protection internationale, soit pour rapatrier les personnes. En accord avec les ONG, l’introduction d’un guichet unique pour traiter les demandes – basé sur le modèle employé pour les réfugié-es ukrainien-nes – n’est toutefois présente que dans deux programmes : celui de Déi Gréng et, un peu plus timidement, celui du LSAP.

Nombreux sont aussi les documents électoraux qui se soucient en particulier de la protection des personnes vulnérables, pour qui Déi Lénk proposent un centre d’écoute d’urgence. Conformément aux revendications des associations comme Passerell, les partis LSAP, Déi Gréng et Déi Lénk promettent un statut juridique spécifique pour les mineur-es non accompagné-es afin d’améliorer leur protection. Autres groupes vulnérables relevés par les partis : les victimes de violence de genre et les personnes LGBTQIA+, les pirates voulant accepter les demandes de protection fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

Retours ou régularisation ?

Au moment de proposer des mesures pour celles et ceux dont la demande n’aboutit pas à une protection ou à un permis de résidence, les avis des partis se distinguent plus nettement. Le CSV et l’ADR promettent des rapatriements « efficaces », Déi Gréng proposent la création de « maisons de retour ». On se rappelle que la mesure a déjà été proposée par un autre parti gouvernemental, le LSAP, pendant les dernières élections législatives de 2018. Si les politiques s’empressent de les vendre comme des structures plus « humaines », ces maisons courent néanmoins le risque de normaliser la pratique de priver des personnes de leur liberté.

De l’autre côté, on retrouve Déi Lénk. Au lieu de « maisons de retour », le parti de gauche se montre opposé à la rétention administrative, qui en 2022 a touché 226 individus, dont la plupart ont été transférés dans un autre pays de l’UE conformément au règlement Dublin. Bien que la durée moyenne de rétention dans les centres d’expulsion s’élève à 45 jours, certains y passent plus de 100 jours. Allant plus loin que les pirates et les verts, le parti reprend plutôt à son compte une des demandes des ONG en proposant de régulariser toutes les personnes ayant « un ancrage » – un emploi, une famille, une certaine durée de séjour – dans le pays, quel que soit le stade de leur dossier.

Sur les voies sûres

Bien qu’il s’agisse d’élections nationales, la politique d’immigration au niveau européen a trouvé une place dans la plupart des programmes. Les propositions se montrent pourtant de plus en plus floues et ne sont guère surprenantes. Tout d’abord, l’ADR est le seul parti à parler des frontières luxembourgeoises, en suggérant d’y introduire des contrôles systématiques. Il précise : le passage ne devrait être permis « qu’aux personnes sincères » (les critères d’évaluation de la sincérité des personnes ne sont pas indiqués).

Côté frontières européennes, on trouve ceux qui se positionnent clairement contre une « forteresse Europe » (KPL) et demandent une « investigation sérieuse » sur les nombreuses violations commises par l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes Frontex (pirates, LSAP), ceux qui disent ne pas voir d’alternatives à la politique d’immigration de l’UE (Fokus), et ceux qui offrent des phrases creuses, voire contradictoires (DP, CSV). Le Parti démocratique commence notamment par exiger une restriction des activités de Frontex avant de finir par un appel à renforcer le rôle de l’agence.

Contrairement aux incitations de plus en plus répandues et fortement controversées à augmenter la surveillance aux frontières, le parti de gauche et les verts revendiquent des voies d’immigration légales et sûres. Dans le même sens, les pirates et Déi Lénk promettent de faciliter l’accès aux visas pour les immigré-es, mais sans préciser davantage. L’Asti, par exemple, revendique la création d’un visa pour recherche de travail. Idem pour une réforme du règlement Dublin : les pirates, Déi Lénk, Déi Gréng, le DP et le LSAP se montrent favorables à une relocalisation de demandeurs-euses d’asile à travers l’Union européenne.

Plus loin encore, en ce qui concerne les traités avec des pays tiers, le CSV envisage une coopération avec les pays d’Afrique du Nord. En revanche, et alors qu’ils revendiquent l’aide publique au développement, le part de gauche et les verts précisent s’opposer aux aides financières utilisées pour dissuader les personnes en migration, et les communistes avertissent des risques de promouvoir une pensée néocoloniale – les pays européens apportant « de l’aide » aux pays « en voie de développement ».

Pas une priorité

Malgré les propositions précises, les mesures avancées n’abordent que peu les revendications plus pratiques des associations nationales. C’est le cas surtout pour la participation politique et civile des personnes immigrées ou réfugiées. Certes, le LSAP et Fokus promettent de créer un conseil d’étrangers pour représenter les intérêts des non-Luxembourgeois-es. Cependant, et contrairement à ce que revendique l’Asti, aucun parti ne mentionne l’octroi du droit au vote à tous-tes les résident-es, indépendamment de leur nationalité. Ceci alors que « l’information, des cours de langue, l’intégration au niveau local ne suffisent pas à développer une vraie politique d’accueil dans un pays qui reste marqué par de nombreuses inégalités socio-culturelles », comme le dénonce le Clae.

Ce n’est peut-être pas étonnant que la politique d’immigration et d’asile, qui touche une partie de la population qui n‘a pas le droit au vote, soit si souvent reléguée au second plan et ne comprenne que des expressions fourre-tout chez certains partis plus conservateurs. Il reste à espérer que le gouvernement à venir se ressaisisse et priorise un peu plus les besoins de l’autre moitié de sa population pendant la prochaine législature.

« L’expérience de terrain de l’Asti nous démontre le besoin de procéder à des modifications profondes de la loi sur l’immigration. Nous préconisons l’ouverture de voies légales pour tous les migrants, par exemple par la création d’un visa pour recherche de travail. »
L’Association de soutien aux 
travailleurs immigrés


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