Législatives, et au-delà : La gauche enfin unie ?

Le président réélu, la France s’apprête à renouveler son parlement. À gauche, une grande alliance s’est formée, électorale d’abord, programmatique ensuite – si tout va bien.

Suivez le guide ! Jean-Luc Mélenchon lors de la première convention de la Nupes. Malgré son côté bulldozer, lui et son parti ont su faire les concessions qu’il fallait pour rassembler la gauche. (Wikimedia ; Hugo Rota ; CC BY-SA 4.0)

Pour les élections législatives françaises, les 12 et 19 juin, les jeux sont faits : les candidatures pour les 577 circonscriptions ont été arrêtées. À gauche, l’idée de rassembler les voix dès le premier tour sur des candidatures communes a fait son chemin. Sous le nom de « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (Nupes, prononcé « nupe », « nupss » ou « nupès »), une alliance électorale regroupe presque l’ensemble de la gauche. Rappelons que, lors du premier tour de la présidentielle en avril, cet électorat s’était réparti sur six candidatures, celle de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise, LFI) étant la seule à dépasser (largement) les cinq pour cent. Dans le woxx 1680, nous appelions à « une plateforme commune de la gauche, inspirée notamment par LFI, afin de mobiliser l’électorat mécontent pour les législatives ». C’est chose faite, et ce n’était pas gagné d’avance.

650 fois (presque) d’accord

« Je demande aux Français de m’élire premier ministre », avait déclaré Mélenchon à la suite de son bon score au premier tour, en vue des législatives. Une posture typique pour ce tribun populaire, mais guère une invitation au rassemblement, si ce n’est derrière, voire sous lui. Mais l’aplomb n’exclut pas l’intelligence, et l’homme et son parti ont su faire les concessions qu’il fallait pour rendre possible un rassemblement – électoral dans un premier temps, « et plus si affinités ». C’est « Europe Écologie Les Verts » (EELV), l’entité politique la plus en concurrence avec LFI, qui a la première signé un accord le 2 mai. Dans les jours qui ont suivi, les communistes, puis les socialistes ont rejoint la Nupes. Notons que, au sein du PS, une importante minorité désapprouve l’alliance, ce qui devrait conduire à un certain nombre de candidatures dissidentes. Du côté du centre politique, le Parti radical de gauche n’a pas non plus voulu rejoindre la Nupes, tout comme, du côté de l’extrême gauche, le Nouveau Parti anticapitaliste et Lutte ouvrière mèneront leur propre campagne.

L’accord à la base de la Nupes fixe d’une part la répartition des circonscriptions, avec plus de la moitié pour LFI, puis, dans l’ordre, EELV, le PS et le PCF. D’autre part, il comprend une sorte de « programme commun », avec une liste de 650 mesures. Les négociations dans l’urgence n’ont pas permis de se mettre d’accord sur tous les points, et 33 mesures « en nuances » rendent visibles les différences entre les composantes de l’alliance. Le cas échéant, elles seraient tranchées par des votes à l’Assemblée nationale, voire par des référendums – un arrangement interprété comme symptôme des divisions insurmontables par les un-es et comme symbole d’une approche politique alternative par les autres.

Les désaccords les plus commentés concernent les relations internationales. Ainsi, LFI et le PCF rejettent l’Otan, tandis que le PS y tient ; quant aux livraisons d’armes à l’Ukraine, ce sont socialistes et Verts qui souhaitent les intensifier. Pour ce qui est de l’Union européenne, LFI avait déjà auparavant renoncé à toute idée de sortie, mais continue à promouvoir la désobéissance aux règles européennes empêchant des politiques sociales et budgétaires progressistes. Le PS ne s’y oppose pas, mais signale qu’il préfère le terme de dérogation transitoire. Ce sont ces mêmes socialistes qui mettent le plus de nuances, tantôt « républicaines » (ordre intérieur), tantôt sociales-libérales (nationalisations), tantôt « grisâtres » (agriculture ou nucléaire). Sur ce tout dernier point, comme sur la chasse et la corrida, PS et PCF défendent une sorte de « nuance vieille gauche » face à leurs partenaires. Quant au parti EELV, il se démarque en étant seul à demander une personnalité juridique pour les animaux et en désapprouvant le refus en bloc de la « gestation pour autrui ».

33 nuances de rouge. (Pixabay; David Zydd)

Mélenchon premier ministre, ou pas

Comme souvent, l’attention portée aux sujets internationaux et sociétaux, hautement symboliques, fait diversion par rapport à des zones d’ombre du programme pouvant donner lieu à des difficultés non prévues. Certes, le rejet des idées néolibérales qui marquent l’Union européenne fait consensus, les partis socialiste et vert français se distinguant sur ce point de leurs homologues allemands et luxembourgeois. Mais, s’interroge Christian Chavagneux dans « Alternatives économiques », « que ferait concrètement un gouvernement Nupes le jour où l’Europe n’irait pas dans son sens ? »

Et alors que le magazine fait une évaluation positive du programme dans son ensemble, Chavagneux attire l’attention sur le fait qu’une application trop zélée des nombreuses mesures sociales mettrait en danger nombre de PME… et d’emplois. On pourrait ajouter que la réindustrialisation envisagée par la Nupes mise surtout sur une approche défensive et une extension du domaine public. À la réflexion, ces risques d’affrontements stériles et d’effets pervers économiques pèsent bien plus lourd que ceux liés à la sortie de l’Otan ou à l’interdiction de la corrida.

« Si j’étais premier ministre… » est un jeu qui permet à Mélenchon et à la Nupes de marquer le débat public. Une telle nomination, et la victoire aux législatives qui en est une condition nécessaire, sont pourtant peu probables. Il est vrai qu’en termes d’intentions de vote, certains sondages voient la gauche radicale dépasser le centre macronien. Mais, comme le précise France info, « il n’y a pas de proportionnalité entre le score d’un parti ou d’un bloc politique et son nombre de sièges à l’Assemblée ». Le système électoral est en effet défavorable à la Nupes. D’une part, son électorat est concentré dans les villes, alors que le mouvement d’Emmanuel Macron est présent partout. Or, remporter une circonscription en Ardèche avec 51 pour cent vaut un siège, en remporter une à Lille avec 71 n’en vaut pas plus. D’autre part, au second tour, le report des voix est a priori meilleur des ailes vers le centre qu’en sens inverse.

L’union de la gauche enfin réalisée en ce mois de mai ne serait-elle donc qu’un vain effort, un baroud d’honneur pour clôturer une année de défaites électorales ? Si la Nupes ne gagne pas, c’est l’impression qu’on pourra avoir. Mais au-delà des enjeux à court terme, cette alliance a aussi vocation à faire émerger un nouveau projet politique progressiste. Égarée dans le social-libéralisme, rejetée par un électorat désenchanté, désaxée par des défis nouveaux, la gauche en crise est devant une chance historique. Aux cadres des partis réunis dans la Nupes de la saisir. Ce n’est pas gagné d’avance.


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