Après les législatives françaises : Multiples perspectives

Victoire de l’extrême droite, échec de la majorité présidentielle, résultat mitigé de la gauche… Quelles sont les conséquences à tirer du scrutin de dimanche dernier ?

Devant le Palais Bourbon, qui accueille l’Assemblée nationale, la statue de Michel de L’Hospital. Il est fameux pour son rôle de conciliateur dans une France divisée par les guerres de religion, rôle dans lequel cependant il a échoué. (Wikimedia ; Parsifall ; CC BY-SA 3.0)

Triomphe de la gauche ! Non, on ne parle pas du résultat de la Nupes en France, mais de celui de Gustavo Petro, futur (et premier) président de gauche de la Colombie. La gauche hexagonale quant à elle doit se contenter d’être la première force d’opposition, tout en obtenant aux législatives du 19 juin nettement moins de sièges qu’espéré. Déception bien plus grande cependant au centre, où Emmanuel Macron, élu pour la deuxième fois président le 24 avril, n’a pas obtenu de majorité absolue comme en 2017, loin de là. C’est que l’extrême droite a raflé la mise, avec 89 député-es, réussissant une percée historique.

Centrisme contre système électoral

En 2001, l’inversion du calendrier électoral avait été pensée pour apporter au président élu une majorité stable, scénario répété à plusieurs reprises jusqu’en 2017, quand un candidat sans véritable parti a réussi à rafler 351 sièges sur 577. Mais cette fois-ci, les législatives ont été un véritable « troisième tour » de la présidentielle, redistribuant les cartes. Lors de la première manche des législatives, le 12 juin, « Ensemble », l’alliance soutenant Macron, avait déjà laissé des plumes face à une gauche soudainement unie. Le camp présidentiel a choisi d’attaquer frontalement cette « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (Nupes) en appelant à un « sursaut républicain » face aux dangers de la gauche et de la droite extrême. Grave erreur, qui a contrecarré l’effet centripète habituel des ballottages en rompant ouvertement avec le « front républicain » face au Rassemblement national (RN). Renvoyer dos à dos « les extrêmes », ou « les droites » dans le cas de la Nupes, a permis au RN de remporter un maximum de ballottages.

Le mode de scrutin majoritaire à deux tours et par circonscription, en vigueur depuis 1958 (à une exception près), était supposé garantir des majorités nettes et, accessoirement, fermer la porte du parlement à l’extrême droite. Le résultat de dimanche dernier montre de façon éclatante que cela n’est pas garanti – la discussion autour d’une élection à la proportionnelle devrait donc reprendre. D’une certaine manière, le « coup » réussi de Macron de créer une force centriste n’a pas été pensé jusqu’au bout : ce nouvel agencement des forces politiques ne peut pas perdurer dans un cadre institutionnel favorisant le bipartisme, alors que désormais on est en présence de quatre grandes familles politiques.

Notons que, pour ce qui est de leur électorat, la droite modérée et le centre se ressemblent. Pour cette raison, on évoque souvent les « trois France », oubliant un peu vite la quatrième, celle des abstentionnistes (53,7 % au deuxième tour des législatives). Et parmi les trois qui s’expriment, celle du centre droit engrange plus de 40 % des votes (premier tour des législatives). Considérant les près de 25 % obtenus par l’extrême droite, face à un peu plus de 30 % pour la gauche, il n’est donc pas faux de dire que « la France est à droite ». En ce sens, une coalition gouvernementale entre « Ensemble » et « Les Républicains » (LR) serait assez logique.

En pratique, les choses sont plus compliquées. Dans nombre de commentaires, alors que les majorités absolues d’un camp étaient jusqu’ici la règle en France, le pays est désormais présenté comme « ingouvernable ». D’un point de vue institutionnel, ce n’est pas le cas, comme le montre la pratique des coalitions réagencées après chaque élection dans de nombreux pays, dont le Luxembourg. Il est vrai qu’en France la culture de compromis entre partis est peu développée, et même l’expérience des trois « cohabitations » entre 1986 et 2002 apparaît désormais lointaine. Plus concrètement, tant LR que la Nupes ont déclaré leur volonté de s’installer dans l’opposition, au mieux « constructive ». Emmanuel Macron, dont la légitimité démocratique a aussi été entamée par le scrutin de dimanche dernier, va-t-il tenter d’innover en gouvernant avec des majorités variables ? Une autre option est celle de dissoudre l’Assemblée nationale et de la faire réélire… en espérant cette fois-ci un « sursaut républicain ». Hélas, cette perspective à elle seule pèse déjà sur les négociations pour trouver une majorité, puisqu’elle oblige les partis à se remettre en ordre de combat et à afficher un profil clair plutôt qu’à rechercher des compromis.

La Nupes, avec environ 140 sièges, n’investira pas l’hôtel Matignon, objectif que s’était fixé Jean-Luc Mélenchon, leader de « La France insoumise » (LFI). Mais à défaut de premier ministre, elle fournit plusieurs député-es atypiques, à commencer par Rachel Kéké, femme de chambre dans un hôtel Ibis. À ses côtés, une ouvrière agricole et un employé de call center – des profils hautement symboliques. Elles confortent l’ambition de la Nupes de représenter les classes populaires par opposition à l’arrogance des « élites ». Un terrain sur lequel joue aussi l’autre « extrême », le RN, pour lequel siégeront une femme de ménage et un chauffeur-livreur.

Pieds sur terre à gauche

Faire entrer la diversité sociale au Palais Bourbon, ébranler la majorité présidentielle – de ce côté-là, c’est mission accomplie. Mais le résultat de la Nupes en nombre de sièges est décevant et lui permettra au mieux d’être au premier rang de l’opposition. Le risque d’un éclatement est réel, mais limité. Ainsi, s’allier avec le seul Parti socialiste ne suffirait pas pour donner une majorité à Macron, tandis qu’une participation gouvernementale des communistes ou des Verts passerait mal auprès de la base et pourrait faire éclater ces partis. Mais le mécanisme de refondation de la gauche n’est pas mieux parti : Jean-Luc Mélenchon a tour à tour fait savoir qu’il tient à son rôle de leader et proposé de former un groupe unique à l’Assemblée. Certes, cette dernière proposition empêcherait le RN d’être premier groupe d’opposition, avec les avantages qui y sont liés, et mettrait la Nupes en ordre de bataille pour des élections anticipées. Or, disposer de son propre groupe à l’Assemblée afin de pouvoir affirmer son identité faisait partie du deal de l’union de la gauche pour les trois partenaires mineurs. Enclencher le processus de convergence politique souhaité par LFI ne se fera pas par des coups de poing mélenchoniens, mais en mettant des gants de velours.

Le bon côté du modeste résultat de la Nupes est qu’il rappelle les réalités du terrain. La France, du moins celle qui vote, est à droite. La gauche reste divisée et prête à éclater à nouveau. L’extrême droite continue à progresser et à profiter du mécontentement populaire. Changer tout cela reste un objectif, mais le chemin sera long.


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