Liberty Steel (2) : L’État en dernier recours, comme d’habitude

Alors que la pandémie ravive le débat sur la souveraineté 
industrielle européenne, l’effondrement de Liberty Steel met les dirigeant-e-s politiques face à leurs responsabilités. L’État semble déterminé à entrer indirectement au capital du site luxembourgeois, une solution qui reste toujours suspendu au bon vouloir de Sanjeev Gupta, le patron du groupe.

Un ministre de l’Économie qui préfère rester dans le vague : Franz Fayot en discussion avec l’OGBL et le LCGB sur le futur de Liberty Steel à Dudelange.(©MECO)

En quelques semaines, Sanjeev Gupta est passé du statut d’homme providentiel à celui de pestiféré. Quand en 2019, Liberty Steel rachetait six usines européennes à ArcelorMittal, l’homme d’affaires indo-britannique sauvait des milliers d’emplois en proposant un projet industriel séduisant, basé sur la production décarbonée d’acier. Pour le Luxembourg, l’opération se soldait par un regroupement de l’usine de galvanisation de Dudelange avec celles de Flémalle et Tilleur, en Belgique, au sein d’une entité baptisée Liberty Liège-Dudelange.

Deux ans plus tard, la déconfiture est totale : GFG Alliance, la maison mère de Liberty Steel, accuse une dette colossale révélée le 8 mars dernier par la faillite de son principal financeur, Greensill Capital. Et à Dudelange rien ne va plus : trois lignes de production sur quatre sont à l’arrêt, deux tiers au moins des salarié-e-s sont en chômage partiel et n’ont pas l’assurance d’être payé-e-s au-delà du mois de mai. Malgré des carnets de commandes remplis, les fournisseurs n’ont plus confiance, contraignant l’usine à tourner au ralenti.

Franz Fayot, qui a hérité du dossier au ministère de l’Économie, assure être en « contact permanent » avec Gupta et « toutes les parties prenantes » afin de trouver de nouveaux financements assurant la pérennité du site. Pour le reste, le ministre se montre peu disert et reste très vague sur l’avancée des négociations, cachant mal sa gêne dans un dossier potentiellement glissant sur le plan politique. Il en va du sort des 200 salarié-e-s de l’entreprise mais aussi de la souveraineté industrielle du pays. La question a été ravivée par la pandémie qui, dès mars 2020, a révélé les lacunes industrielles européennes dans la production de produits aussi élémentaires que les masques chirurgicaux. Le diagnostic se confirme avec la pénurie de fournitures pour l’industrie, à l’image des puces électroniques, ou de matières premières pour la construction. Face à ce constat, les gouvernements européens multiplient les promesses sur la réindustrialisation de l’Europe. La sidérurgie étant considérée comme un secteur stratégique, leur réponse est particulièrement attendue dans l’affaire Liberty.

Le retour des nationalisations

Au Royaume-Uni, où le groupe emploie 3.000 personnes, une partie de l’opposition travailliste, appuyée par les syndicats, demandent la nationalisation pure et simple du groupe. En France, des syndicats et une partie de la gauche vont dans le même sens alors que trois usines d’Alvance, la branche aluminium de l’empire Gupta, y ont déjà été placées en cessation de paiement. Dans les deux pays, les partisans de cette solution rappellent que Liberty a bénéficié de beaucoup d’argent public dans le cadre de la crise sanitaire : 400 millions de livres de prêts garantis par l’État au Royaume-Uni et 18 millions d’euros en France (le prêt a été immédiatement transféré à Greensill Capital sans parvenir à Fonderie du Poitou à qui il était destiné). Au Luxembourg, Liberty a, de la même façon, bénéficié d’un prêt garanti de 20 millions d’euros, selon les informations de woxx.

Le 6 mai, à la Chambre des 
député-e-s, Franz Fayot concédait que l’État luxembourgeois pourrait indirectement entrer au capital de l’usine luxembourgeoise, par le biais d’une prise de participation par la Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI). Cette solution a été préconisée dès mars par les syndicats, l’OGBL ne récusant pas le terme de nationalisation, mais n’en faisant pas non plus une question de principe.

Coupable Commission

Pour sa part, le ministre de l’Économie a nié le 6 mai qu’il s’agirait d’une nationalisation face à Laurent Mosar qui l’interpellait sur le sujet. Le député chrétien-social est particulièrement actif dans ce dossier, multipliant les interventions et les questions parlementaires à l’intention du ministre. « Il faut absolument éviter la liquidation et le gouvernement s’y emploie », reconnait-il. Il est favorable à une reprise par la SNCI mais, sans réelle surprise, insiste sur la nécessité, selon lui, d’y associer « des acteurs privés ». Quant à une nationalisation, l’élu conservateur estime qu’il s’agit « d’une mesure extrême » qu’il ne veut cependant pas « exclure en dernier recours »…

De toute façon, pour l’instant, Sanjeev Gupta semble s’accrocher à ses unités luxembourgeoise et belges, au risque de provoquer une faillite qui entraînerait une vente des actifs au seul bénéfice des créanciers. En attendant que le magnat de l’acier veuille céder du terrain, salarié-e-s, élu-e-s et syndicalistes fustigent la Commission européenne accusée d’être responsable de ce fiasco au nom d’une application trop stricte des règles européennes de la concurrence. En 2018, Bruxelles avait contraint ArcelorMittal à se séparer d’une partie de ses actifs européens dans le cadre du rachat d’Ilva, dans le Sud de l’Italie. La décision avait été vivement attaquée par les pays où sont implantés les usines concernées, y compris par le grand-duché. La Commission avait par la suite validé le deal avec Gupta. Ce qui, vu avec le recul, n’était pas la meilleure des idées.


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