Rénovation politique au Chili : Vieux démons

Mauvaise surprise lors des élections présidentielle et législatives chiliennes du 21 novembre : au lieu du triomphe des forces progressistes espéré, c’est un potentiel président néo-pinochetiste qui s’est qualifié pour le second tour.

Chili, 2019. (Photos : lm)

Pinochet est-il de retour ? Un peu plus de 33 ans après le fameux référendum d’octobre 1988, à l’origine du départ du dictateur chilien, on peut retrouver une partie de son orientation politique dans les discours du vainqueur au premier tour de la récente élection présidentielle, José Antonio Kast. En effet, le candidat de la droite ultra s’affiche comme catholique militant, opposé au droit à l’avortement, et comme défenseur de la nation et de l’ordre face au danger « communiste ». Comme sous Augusto Pinochet, cela va de pair avec une orientation économique néolibérale – après tout, Miguel Kast, frère aîné de José Antonio, était l’un des « Chicago Boys ». Après les mouvements sociaux de fin 2019, le Chili était apparu comme le laboratoire d’une nouvelle gauche, mais désormais le succès de Kast confronte le pays à ses vieux démons.

La gauche désunie

À gauche comme à droite, ce sont les candidatures les plus radicales qui sont passées devant, signe de l’éclatement du bipartisme qui a structuré la vie politique chilienne pendant trois décennies. Gabriel Boric, un des leaders de l’alliance progressiste Frente Amplio (Front large), a obtenu 25,8 % des voix, alors que Yasna Provoste, candidate du Nuevo Pacto Social (centre gauche) est restée à 11,6 % − l’ordre s’est inversé par rapport au premier tour de 2017. Kast, qui avait également été candidat cette année-là, est passé de 7,9 % à 27,9 %, alors que Sebastián Sichel, candidat du centre droit et longtemps favori, n’a obtenu que 12,8 %.

Pour expliquer le succès de Kast, plusieurs explications sont avancées : d’une part le conflit entre l’État et le mouvement indigéniste des Mapuches, parti dans une spirale de violence et exacerbant le sentiment d’insécurité des classes moyennes, d’autre part l’afflux de réfugié-e-s du Venezuela et d’Haïti qui a suscité des sentiments et des mouvements xénophobes. Il y a sans doute une polarisation généralisée de la vie politique chilienne ; cependant, le succès de l’homme d’affaires Franco Parisi, classé troisième au premier tour avec 12,8 %, donne aussi l’impression d’un égarement général.

L’apparente polarisation au second tour, qui aura lieu le 19 décembre, aurait pu être plus drastique encore : avant la primaire au sein de la gauche alternative, le candidat du parti communiste Daniel Jadue était apparu comme favori face à Gabriel Boric. D’un autre côté, des pourparlers avaient eu lieu pour une candidature d’union de la gauche, comme cela avait été la règle jusqu’en 2017 – sans succès. En fin de compte, l’alliance fondée en 2017 sous le nom de Frente Amplio pour offrir une alternative à la gauche établie et prisonnière du système a réussi : ralliant le parti communiste à sa cause, renforcée par les mouvements sociaux de 2019, elle s’impose désormais à gauche sous le nouveau nom d’« Apruebo Dignidad » (J’approuve la dignité, allusion aux revendications de 2019).

Le Nuevo Pacto Social a conservé 37 de ses sièges au parlement, à égalité avec Apruebo Dignidad et loin derrière la droite établie (53 sièges, contre 15 aux partis soutenant José Antonio Kast). Cette gauche établie appellera-t-elle à voter Boric au second tour, alors qu’elle avait été lâchée par le Frente Amplio au second tour en 2017 ? Quant aux abstentionnistes du 21 novembre (participation : 47,3 %), sans doute la jeunesse et les couches populaires, se mobiliseront-ils et elles pour barrer la route à la droite ?


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