Série : Que reste-t-il de nos amours ? (8/16) : Rencontres autour du cigare

Isabel Melanda et Zito Gomes se sont rencontrés au Luxembourg, en 1997. Aujourd’hui, ils tiennent ensemble un commerce qui a vu le jour en 1948. Isabel, née à Santarém, au Portugal, est arrivée à Luxembourg en 1995 avec l’intention d’y rester un an. Elle a rencontré Zito et n’est plus partie. Nous avons parlé longuement avec Zito, tandis qu’Isabel s’occupait du magasin.

Photos : Paulo Jorge Lobo

Je suis né à Gabela (Angola), en 1970. Mon père était gérant d’une plantation de café. J’ai de très bons souvenirs de cette époque-là. Après l’indépendance, nous sommes partis au Portugal et nous sommes installés à Lisbonne. En fait, la vie peut basculer complètement d’un moment à l’autre. C’est pourquoi je conseille aux gens de profiter intensément du moment présent.

Jamais je n’aurais imaginé que je viendrais habiter au Luxembourg. Quand j’ai annoncé à mes parents que je quittais mon travail – je suis pharmacien à l’origine – et que j’allais au Luxembourg, parce que j’étais tombé amoureux d’une femme qui habitait ici, mon père m’a demandé s’il n’y avait pas de femmes à Lisbonne et pourquoi j’en avais choisi une si lointaine…

Arrivé en 1991, j’ai eu plein d’emplois différents. Or, le monde du cigare m’a toujours passionné et, avant de travailler à Liberté 56, j’avais géré pendant 14 ans un commerce spécialisé dans ce domaine, à Auchan. Quand j’ai démissionné, l’ancien propriétaire de Liberté 56, que j’avais rencontré à Cuba, en 2007, m’a proposé de devenir gérant technique de son magasin. Le 1er juillet 2017, je suis devenu propriétaire.

Notre devise est le sourire

Malgré les difficultés imposées par les travaux, nos horaires restent les mêmes, plus par reconnaissance à la clientèle qu’à cause de la rentabilité. Les gens du quartier viennent acheter leur journal, les cigarettes, viennent jouer au loto, mais nous avons perdu des client-e-s qui ne peuvent plus stationner devant le magasin. Et cela restera ainsi après les travaux. Il y a des client-e-s dont les parents et grands-parents l’étaient déjà, car ce magasin existe depuis 1948. Notre devise est le sourire. Tout le monde est bienvenu. La clientèle, c’est la famille. Et cela m’enchante, de recevoir à Noël de petits cadeaux, avec des mots gentils. Je n’ai jamais vu ça ailleurs ! Je remercie nos client-e-s et j’espère que les autres commerces seront également soutenus par les leurs.

L’article qui marche le mieux, c’est le cigare. Le cigare, c’est la rencontre des personnes. C’est très convivial. C’est grâce au cigare que moi-même, j’ai rencontré plein de monde. Et ce n’est pas exclusivement masculin. Une fois par mois, j’organise un dîner-cigare, et il y a de plus en plus de participantes.

D’après les plans que j’ai vus, cette avenue deviendra la plus belle de la ville. Il faudrait relancer le commerce, car il faut penser aux habitant-e-s. Le problème, surtout dans certaines rues, c’est le soir, où l’ambiance se dégrade. Et pourtant il y a des restaurants, des hôtels, les gens veulent sortir et être en sécurité. Il faudrait un peu plus de surveillance, peut-être plus de police. Moi-même, j’aimerais fermer à 20h, mais déjà à 19h30, je vois des choses bizarres et je ne veux pas exposer mes employé-e-s.

Il est vrai que, quand quelque chose arrive à la gare, on le regarde à la loupe et que l’on parle plus des cambriolages qui se produisent dans ce quartier que de ceux qui arrivent dans d’autres. C’est vrai que, comparé à d’autres quartiers de la gare d’autres villes, celui-ci est tranquille, mais on habite ici et c’est ici que les choses doivent bien se passer.

Je crois en ce quartier

Malheureusement, je ne parle pas le luxembourgeois, même si dans mon entourage familial tout le monde le parle. En fait, je n’arrive tout simplement pas à l’apprendre. Mais cela n’a rien à voir avec mon estime du Luxembourg, que j’aime bien et dont je ne partirai pas. En tant qu’étranger, j’ai été bien accepté. Je crois en ce quartier, c’est pourquoi je reste ici.

Trois questions à Isabel et Zito

Des regrets ?
Isabel : La vie d’autrefois : la diversité de magasins, la gentillesse des vendeurs et des vendeuses, la communication saine entre les personnes, la vivacité de la braderie… Ça me manque énormément.
Zito : Il n’y a pas d’abeilles, parce qu’il n’y a plus de fleurs sur les balcons, plus de signe de vie de famille. Comme si les gens devaient se dissimuler au lieu de stimuler la vie. Les nouvelles générations choisissent de partir ailleurs…

Votre endroit préféré ?
Isabel : Toute la place de Paris… mais il y a 20 ans ! J’essaie de me projeter après les travaux. Peut-être qu’il y aura à nouveau la jovialité, la convivialité qu’il y avait dans tout cet îlot de la place de Paris.
Zito : Chez moi à Liberté 56 ! Et la place de Paris.

Un vœu pour le quartier de la gare ?
Isabel : J’aimerais bien que, après les travaux, il soit le quartier que tout le monde a envie qu’il soit. Qu’il soit convivial. Que la peur de sortir le soir disparaisse. Que l’on s’aide les uns les autres et que le commerce se diversifie comme avant. Je pense que l’avenir est aux petits commerces, à nouveau, et pas aux grands magasins, où vous faites des kilomètres pour trouver quoi que ce soit. C’est impersonnel, les client-e-s et le personnel ne se connaissent pas. Je souhaite que l’avenue de la Liberté redevienne comme avant.
Zito : Prospérité, joie, vie de famille, abeilles, que les belles maisons restent, qu’il y ait des balcons fleuris, qu’il y ait de la jeunesse dans les rues.


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? Tout au long de l’été (et bien au-delà), Paca Rimbau Hernández propose de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare, à travers les témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx) – presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage des êtres humains et de leurs histoires. Photos de Paulo Jorge Lobo.


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