Au début de la pandémie, les ventes à découvert – donc les paris boursiers par des hedge funds contre des entreprises vulnérables – ont fait scandale. Quelle a été l’attitude du Luxembourg ?
Fin mars, l’effondrement des bourses internationales est presque devenu un bruit de fond dans le cycle des « breaking news » qui tombent chaque minute dans le cadre de la pandémie. Pourtant, quelques personnes et entités n’ont pas hésité à profiter de la situation pour bien se remplir les poches, via les ventes à découvert – une technique risquée qui consiste à parier sur la baisse d’une action, et qui, si tout fonctionne, peut rapporter gros.
En Allemagne par exemple, des entreprises listées au DAX ont été attaquées par des hedge funds américains comme Bridgewater ou Corestate. Ainsi, Fraport (la société publique appartenant en grande partie à l’État fédéral hessois et à la Ville de Francfort, qui gère l’énorme aéroport de Francfort et une ribambelle d’aéroports dans le monde, dont 14 en Grèce achetés pour un prix imbattable lors de la crise précédente) a figuré parmi les premières victimes des « sauterelles », tout comme la Lufthansa.
Pour protéger leurs entreprises, plusieurs pays européens sont allés jusqu’à interdire les ventes à découvert sur leurs bourses, notamment la France, l’Italie ou encore l’Espagne. Une initiative sur le plan européen a tout de même été bloquée par l’Allemagne.
L’interdiction de vente à découvert n’aurait pas fait de sens au Luxembourg.
Et le Luxembourg dans tout ça ? Notre place financière est très ouverte aux hedge funds, comme on peut le lire dans un fascicule de l’Alfi (l’association luxembourgeoise de l’industrie des fonds), qui loue le grand-duché comme une « prime location » pour ces produits financiers, tout en mentionnant la possibilité des ventes à découvert de ces derniers.
Interrogée par le woxx, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), chargée de ces régulations, répond : « La CSSF n’a pas vu de nécessité de prendre des mesures dans ce cas, parce que pour les actions pour lesquelles nous sommes compétents (pour des raisons de liquidité afférentes à ces actions), cela n’aurait pas eu un vrai impact, et qu’il faut voir cela dans le contexte des réglementations européennes. » Elle poursuit avec une exégèse des textes de loi européens : « En bref (…), est prise en compte la plateforme d’échanges commerciaux sur laquelle les actions d’un émetteur sont le plus marchandées (…) et c’est l’autorité du pays où est localisée cette plateforme d’échanges commerciaux qui a la responsabilité pour les actions de l’émetteur sous la réglementation sur la vente à découvert. »
Pour le Luxembourg et ses deux plateformes d’échanges commerciaux (Bourse de Luxembourg et Euro MTF), la CSSF n’est responsable que de 18 émetteurs d’actions – à la date du 23 janvier 2020. S’y ajouterait que la plupart de ces 18 instruments financiers, pour lesquels la CSSF a la compétence de régulation, ne disposent pas des liquidités nécessaires pour s’adonner à des ventes à découvert. Et de conclure : « Voilà la raison pour laquelle la CSSF n’a pas pris de mesures concernant les ventes à découvert, parce que l’impact aurait été trop limité. Ce qu’il ne faut pas oublier est que les mesures décidées par les autres autorités européennes doivent être respectées par chacun qui fait du commerce avec les actions concernées, et non seulement par les investisseurs provenant des pays où les plateformes d’échanges commerciaux sont localisées. Tout un chacun qui marchande avec ces titres doit respecter cela, donc aussi les fonds qui se trouvent au Luxembourg. Les mesures prises ont donc aussi un effet extraterritorial et notre industrie des fonds doit les respecter. »