„USAGE PAISIBLE DU DROIT DE PROPRIETE“: Abus de liberté

Le ministre de la justice voudrait imposer le droit de propriété face aux actes de désobéissance civile. Son projet de loi ne tient pas compte de la forte légitimité politique de ces actions.

„La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi“. Cet article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 est cité dans l’exposé des motifs de la „Lex Greenpeace“, le projet de loi adopté par le gouvernement suite à l’action de blocage des stations-service Esso. Ainsi le ministre de la Justice entend se poser en défenseur des libertés fondamentales. Afin de garantir, conmme l’indique le titre du projet de loi „l’usage paisible du droit de propriété et la liberté de mouvement“, il faut fixer des bornes à la liberté de manifester ses opinions. Le gouvernement considère que la possibilité d’organiser des conférences de presse et des manifestations devrait suffire, et qu’il n’y a pas de bonne raison pour violer la propriété privée ou pour entraver des activités commerciales.

Qui peut restreindre des libertés, et au nom de quoi? La loi n’est plus considérée aujourd’hui comme une révélation divine, mais comme un accord négocié entre les membres de la société. A partir du 17e siècle, des philosophes politiques ont introduit la notion de „contrat social“ par lequel les citoyen-ne-s cèdent une partie de leurs libertés à une instance politique afin d’éviter le chaos et la guerre permanente de tous contre tous. C’est cet ordre, ce règne de la loi, et rien que la loi, que le ministre de la justice se plaît à invoquer en toute occasion. Un tel ordre civilisé, où la violence est bannie et les conflits subsistants sont réglés de manière consensuelle, doit paraître souhaitable à la plupart des êtres humains. A condition de vivre dans le meilleur des mondes, où règnent la paix, la justice et le respect des besoins des générations futures.

En effet, la transgression des lois, pratiquée par des ONG comme Greenpeace, ne fait que répondre à un non-respect du contrat social par les institutions étatiques. Contamination de l’environnement par des semences transgéniques, expulsion de réfugié-e-s au risque de leur vie ou de leur intégrité physique, propagation des énergies fossiles à l’origine du changement climatique – ce n’est pas pour des broutilles qu’on a recours à des actes de désobéissance civile. Et la tendance, au Luxembourg et ailleurs, à réprimer de plus en plus sévèrement de tels actes, contraste avec l’inaction des institutions par rapport aux problèmes qui donnent lieu à ces actions.

Le blocage de 27 stations-service est-il vraiment plus grave que les dizaines de milliers de personnes à travers l’Europe bloquées dans leurs voitures ou leurs maisons par des phénomènes météorologiques? … qui ne sont que des préludes aux désastres à venir. Que faire lorsque, comme dans le cas du changement climatique, en appliquant la loi, personne n’est vraiment responsable?

Quelles forces de l’ordre interviennent alors que des bateaux-poubelles continuent à être affrétés par des compagnies pétrolières, provoquant régulièrement des marées noires? Devant quel tribunal peut-on dénoncer l’oppression et l’exploitation des populations du Tiers-Monde au profit des multinationales? Qui jugera les crimes contre la paix et les crimes de guerre commis par les grandes puissances et l’Otan?

La crédibilité du nouveau Tribunal pénal international est douteuse tant que les Etats-Unis n’accepteront pas de s’y soumettre. Et même lorsque des dictateurs sont jugés, on s’attaque rarement à ceux et celles qui les ont aidé à voler leurs pays et à mettre l’argent en sécurité, au Luxembourg ou ailleurs. Il en va de même pour ceux et celles qui torturent et assassinent des réfugié-e-s extradé-e-s, ainsi que pour ceux et celles qui les expulsent.

Voilà le monde dans lequel nous vivons. Ce sont ceux et celles qui veulent le maintenir dans cet état, en jouissant paisiblement de leur droit de propriété, qui devraient se retrouver sur le banc des accusé-e-s, et non pas ceux et celles qui s’engagent pour le changer. Comme le dit l’article final de la Déclaration des droits de l’Homme de 1793 – à interpréter, bien entendu, dans le contexte de la société mondialisée dans laquelle nous vivons: „Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.“


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