Élections communales : Déi Gréng : douche froide après les années d’euphorie

En perdant 13 sièges par rapport à 2017, les écolos apparaissent comme les grands battus des communales. Une affirmation qu’il convient de relativiser, selon la députée Djuna Bernard, qui reconnaît cependant une déconvenue. Si les explications possibles à ce recul sont multiples, celui-ci témoigne aussi d’une métamorphose de Déi Gréng, passés en dix ans de l’opposition à un parti de gouvernement.

Djuna Bernard, vice-présidente de Déi Gréng, au micro de RTL, lundi 12 juin au matin, quelques heures après la proclamation des résultats des communales. (Photo : capture d’écran RTL)

Ce lundi matin, la fatigue se lit sur les visages des politiques venu-es commenter les résultats des communales dans le studio de RTL, quelques heures seulement après la proclamation des résultats. À l’issue d’une nuit qu’on soupçonne forcément courte pour les états-majors des partis, les traits sont plus ou moins tirés selon les intervenant-es. Carole Hartmann ne boude pas son plaisir de voir son parti, le DP, sortir grand vainqueur du scrutin. À l’autre bout de la table, Djuna Bernard ne dissimule pas sa déception et concède un résultat globalement « mitigé » pour Déi Gréng, dont elle est la vice-présidente.

Depuis dimanche soir, les commentateurs-trices sont au diapason : les écolos sont les grands battus du jour, passant de 16,35 % des voix et 77 sièges en 2017 à 12,69 % et 64 sièges en 2023. Pourtant, le CSV aussi perd quatre points et accuse pour sa part 16 élus de moins. Mais Claude Wiseler, son vice-président, n’en laisse rien paraître et dit sa satisfaction pour les 193 élus du parti chrétien-social, qui demeure ainsi la force la mieux représentée dans les communes.

L’expérience politique éprouvée d’un Claude Wiseler n’explique pas à elle seule ce contraste avec la députée verte de 31 ans. Depuis 2013, le CSV est confronté à une érosion lente mais constante de son électorat, et ce nouveau recul n’est pas vraiment une surprise pour des chrétiens-sociaux qui font néanmoins mieux que sauver les meubles et conservent leur fort ancrage local. Rien de tel chez Déi Gréng, pour lesquels ce résultat est inattendu. Ces communales sont une douche froide pour les écolos après dix années d’euphorie qui les ont vus successivement entrer au gouvernement en 2013, percer aux communales en 2017 et renforcer notablement leur position au parlement et au gouvernement en 2018.

La délétère affaire de l’abri de jardin

Depuis sa naissance en 1983, le parti s’est distingué par son engagement sur le terrain local, un travail de fond qui lui a permis de gagner en légitimité au fil des ans. Alors qu’est-ce qui n’a pas marché cette fois-ci ? Depuis dimanche, les explications se bousculent : changement de génération, appropriation par les autres partis des sujets environnementaux, rejet du discours anxiogène sur le climat, campagne anti-écolos sur les réseaux sociaux, etc. Et puis il y a eu « l’affaire » de Differdange…

Depuis le scrutin, des réunions se succèdent au sein du parti pour essayer de tirer des leçons de cette déconvenue. « Nous sommes critiques envers nous-mêmes et il y aura des choses à corriger, mais on ne se voit pas en ultraperdants comme cela est présenté partout », dit au woxx Djuna Bernard, la vice-présidente du parti. Elle en veut pour preuve les bons résultats obtenus à Walferdange et Schuttrange, deux communes où Déi Gréng ont gagné un siège. À Mamer, où elle était candidate, Djuna Bernard a elle-même réalisé un joli score personnel, récoltant 1.501 suffrages qui la placent en tête de sa liste. Dès dimanche soir, les verts ont aussi annoncé reconduire la coalition à Esch-sur-Alzette avec le CSV et le DP, malgré la perte d’un siège. Mardi, les verts ont signé avec le CSV pour diriger Niederanven dans les six ans à venir, tout comme à Bettembourg où la coalition avec les chrétiens-
sociaux et les libéraux est également reconduite. Des résultats qu’il est évidemment de bonne guerre de mettre en avant en cette « super année électorale ».

Mais Djuna Bernard ne récuse aucun des arguments avancés pour expliquer ce recul, à commencer par l’affaire de l’abri de jardin qui a coûté leurs postes de bourgmestre de Differdange à Roberto Traversini et de ministre de l’Environnement à Carole Dieschbourg. Dimanche, Déi Gréng ont perdu quatre des sept sièges qu’ils détenaient dans la Cité du fer, où l’écologiste Christiane Rausch, qui avait succédé à Roberto Traversini, ne se représentait pas. L’occasion pour les socialistes de reprendre les rênes de la troisième ville du pays, qu’ils avaient perdues en 2002. « À Differdange, on a commis une faute », reconnaît Djuna Bernard. « Le même genre de choses est arrivé à d’autres partis, mais on en parle moins et nous sommes jugés plus sévèrement », veut-elle croire. Les verts ont toujours brandi l’intégrité et la probité comme valeurs cardinales, au point d’être perçus comme donneurs de leçons par les autres formations. D’une certaine façon, cette affaire les a renvoyés au statut d’un parti comme les autres, en contradiction avec ce qui représentait l’une de ses singularités.

Mais la conséquence de ce scandale sur le résultat d’ensemble des communales est difficile à mesurer. De manière générale, Djuna Bernard ne pense pas qu’il préfigure l’issue des législatives, alors que pour nombre d’observateurs ce scrutin local fait figure de galop d’essai en vue des élections d’octobre. « Sur le plan national, nous avons un bon bilan à défendre, un travail de dix ans au cours desquels nous avons apporté des solutions portées par une nouvelle génération de député-es. »

Gouverner, c’est prendre des coups

Parmi les ministères tenus par les verts, la Justice, la Défense et la Sécurité intérieure collent assez mal à l’ADN classique des écolos, mais pour leur vice-présidente « ils permettent de s’ouvrir à un public plus important, de voir les choses plus largement ». Et peut-être aussi de prendre plus de coups, comme Henri Kox, ministre de la Sécurité intérieure, dans sa confrontation avec la bourgmestre de Luxembourg sur le déploiement d’agents de sécurité privés dans le quartier de la gare, afin de suppléer la police dont la présence est jugée déficiente. À voir la réélection haut la main de Lydie Polfer, l’on est tenté de penser que cette stratégie sur l’insécurité a été payante, quand bien même elle n’explique pas seule la progression du DP dans la capitale. Dans un autre domaine, François Bausch se voit contraint de gérer les conséquences de la guerre en Ukraine, avec un alignement renforcé sur l’Otan et une hausse du budget de l’armée, qui atteindra un milliard d’euros en 2028, loin des racines pacifistes qui caractérisent également les écologistes, au Luxembourg et ailleurs.

Photo : capture d’écran RTL

Djuna Bernard rappelle cependant que Déi Gréng dirigent aussi des ministères en adéquation avec les thèmes qu’ils portent traditionnellement : la mobilité, le climat, l’énergie ou le logement. Mais les politiques mises en œuvre dans ces domaines n’ont, par exemple, pas permis de fluidifier le trafic routier, un problème majeur pour le pays, malgré le passage à la gratuité des transports publics. Ni de peser efficacement sur l’exponentielle hausse des prix des logements, l’une des principales causes de l’accroissement de la pauvreté dans le pays, et dont la baisse actuelle n’est due qu’à l’augmentation des taux d’intérêt. Il serait néanmoins injuste d’en rejeter la seule faute sur les verts, obligés de composer avec des partenaires de coalition dont les orientations libérales ont restreint leur marge de manœuvre. Mais en acceptant ces maroquins ministériels, ils acceptaient aussi le risque d’endosser les échecs, finalement cuisants, qui s’y attachent.

Les anciens et les nouveaux

Gouverner suppose faire des compromis, d’autant plus dans le système démocratique luxembourgeois où les coalitions se construisent souvent sur l’entente entre partis aux sensibilités contradictoires. Lorsque, il y a un an, Claude Turmes temporisait encore sur la sortie du Luxembourg du climaticide traité sur la charte de l’énergie (TCE), nombre de membres d’ONG, aux côtés desquels il a parfois milité pendant des années, se sont détournés d’un parti dont ils jugent qu’il a mangé son chapeau. Incontestablement, Déi Gréng, qui furent marqués à gauche, ont recentré leurs positions pour accéder au pouvoir et espérer changer les choses de l’intérieur. Ce faisant, les écolos se sont aussi « gentrifiés », tant à l’intérieur que dans leur audience électorale. La formation rebelle et contestataire des débuts s’est peu à peu métamorphosée en parti de gouvernement, ciblant plus largement les classes moyennes. Forcément, nombre d’électeurs-trices de la première heure ne s’y reconnaissent plus.

À ce repositionnement sur l’échiquier politique s’ajoute un changement de génération, dont Djuna Bernard pense qu’il a joué en défaveur des verts lors des communales : « Il y avait beaucoup de nouveaux sur les listes, des jeunes et des étrangers qui ne sont pas forcément connus localement, qui ont moins de visibilité que les anciens. Cela joue un rôle important dans le système électoral luxembourgeois, car celui-ci favorise davantage la personnalité des candidats que les partis. » L’argument est certes pertinent, mais pour ces communales le renouvellement de génération n’a pas été l’apanage des seuls verts. Il a touché quasiment tous les partis, dont les listes affichaient beaucoup de jeunes visages inconnus jusque-là. Les pirates en ont même fait l’un de leurs arguments de campagne.

Autre explication exogène avancée : la lassitude de la population après la crise de la covid, le déclenchement de la guerre en Ukraine, la crise énergétique et l’inflation. En jouant les Cassandre sur l’environnement et l’avenir de l’humanité, les verts rebutent une partie de l’électorat, épuisée par l’atmosphère anxiogène et les difficultés concrètes auxquelles les confronte l’enchaînement de ces crises. « Les gens sont fatigués et veulent de la stabilité, ce qui explique aussi qu’ils se tournent plutôt vers les grands partis car ça les rassure. On peut très bien le comprendre, mais on ne peut pas faire comme si de rien n’était et nous avons les solutions », répond Djuna Bernard, qui ne perd pas de vue l’échéance électorale à venir.

Le populisme des pirates !

Ce rejet a sans doute contribué à amplifier le greenbashing, qui a pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux ces derniers mois. La députée et échevine de Bettembourg Josée Lorsché s’en est plainte dès dimanche soir, et Djuna Bernard en confirme la réalité et l’intensité : « Il y a une tendance à vouloir tuer le messager à coups de campagnes antiverts, alimentés par des discours de haine sans aucun argument de fond. Ce n’est pas propre au Luxembourg, c’est également vrai ailleurs en Europe. » Bref, les réseaux sociaux dans ce qu’ils ont de pire et malheureusement de plus courant. Pour la députée verte, cela n’a cependant rien de spontané et est orchestré « par la droite et l’extrême droite ». Elle dénonce plus généralement la progression du populisme au Luxembourg en l’attribuant plus particulièrement à l’ADR et aux… pirates, dont les bons résultats pourraient constituer une menace pour Déi Gréng s’ils se confirmaient aux législatives.

En privant les verts de suffrages, « les électeurs n’ont pas voté en faveur du climat et de la biodiversité », regrette Djuna Bernard. Elle veut croire dans les chances du parti aux législatives d’octobre : « Nous sommes optimistes et nous allons mobiliser les électeurs car nous savons pourquoi nous nous battons. Nous devons trouver un moyen de mettre les sujets environnementaux plus en avant en adaptant notre communication », extrapole la députée.

Mais n’est-ce vraiment qu’une question de communication ?


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