Le CSDD et la transition : S’appuyer sur l’empreinte

L’Overshoot Day a donné lieu à des appels à changer de modèle. Entre les propositions du CSDD, de Greenpeace, du Mouvement écologique et de l’expert Jørgen Randers, que choisir ?

Répartition de l’empreinte du Luxembourg recalculée par le List pour 2018 et objectif « One Planet » du CSDD pour 2050. (csdd.public.lu)

Influencer le débat politique en cette année électorale, voilà ce à quoi s’est attaché le « Nohaltegkeetsrot » (Conseil supérieur pour un développement durable, CSDD). À l’occasion de l’Overshoot Day du Luxembourg (jour du dépassement) ce 14 février, il est revenu à la charge, en s’appuyant fermement sur le concept d’empreinte écologique. « Le CSDD a transformé un outil comptable global en un outil de pilotage détaillé », explique-t-il dans un communiqué. En effet, sur base d’une étude du Luxembourg Institute of Science and Technology (List), il a mis en évidence les sous-domaines de consommation des résident-es qui contribuent le plus à cette empreinte et sur lesquels la politique devrait agir. Le CSDD en a profité pour rappeler son manifeste un peu vague, mais bien intentionné, intitulé « One Planet Luxembourg ».

Greenpeace de son côté a utilisé l’Overshoot Day pour redemander aux partis politiques « d’intégrer à leurs programmes des objectifs environnementaux ambitieux et prioritaires, alignés avec l’accord de Paris ». Avec des revendications plus concrètes comme l’élimination du tourisme à la pompe et une réforme fiscale « écologique et sociale ». Le Mouvement écologique enfin a communiqué sa surprise que ni la covid, ni le discours sur l’état de la nation n’aient abouti à reculer la date du dépassement en freinant la consommation nationale de ressources. L’ONG aborde entre autres les sujets de la fiscalité et de la mobilité, mais préfère plaider pour un malus « grosses voitures » plutôt qu’une augmentation des prix à la pompe. C’est que, depuis quelques années, dans ses appels à changer le système, le Méco privilégie la préservation de l’environnement local par rapport à des perspectives supranationales.

Ce point de vue a été conforté par le conférencier Jørgen Randers, invité lundi dernier pour représenter le récent rapport au Club of Rome. Interviewé par RTL, il a comparé les vallées et collines luxembourgeoises aux fjords norvégiens, qu’il souhaite protéger face au tourisme invasif des navires de croisière étrangers. Ce type de discours sur la préservation du « paradis » n’est pas infondé, mais a des connotations conservatrices, voire xénophobes. Surtout, une telle attitude de « défense » locale de la nature – fortement périurbanisée dans le cas du Luxembourg – risque aussi d’entretenir l’illusion qu’avec moins d’habitant-es, on pourrait plus facilement maintenir « notre style de vie ».

Le Luxembourg qui dépasse

Par ailleurs, les recommandations de Randers – sortir des énergies fossiles et investir dans les renouvelables – nous renvoient à la distinction entre bilan d’émissions de gaz à effet de serre et empreinte écologique. Pour le premier, le Luxembourg se défend, grâce à l’externalisation de la production d’énergie et de biens de consommation. L’empreinte par contre, à la base du calcul de l’Overshoot Day, met en évidence l’impact considérable, par tête d’habitant-e, d’un pays prospère et en retard sur la transition écologique au quotidien.

Pour ce qui est de l’empreinte écologique, le CSDD, qui l’avait mise en question par le passé, explique désormais qu’elle est « le reflet de plusieurs facteurs indissociables caractérisant le pays ». Sur base du « calcul différencié » de l’empreinte menée par le List, le Nohaltegkeetsrot « appelle le Luxembourg, ses décideurs et décideuses, ainsi que ses citoyens et citoyennes, à fondamentalement repenser leur modèle économique et sociétal ». Ce calcul clarifie l’impact environnemental de tel ou tel aspect de notre vie quotidienne – et conduit à un score légèrement plus favorable pour notre pays : au lieu de près de huit planètes Terre, le Luxembourg n’en épuiserait plus que 6,88 ! Sur base du dossier de presse, il semble que la baisse soit obtenue par une prise en compte du bilan écologique du secteur industriel, négatif du fait que les produits exportés sont plus chargés en CO2 que les matières premières importées. D’autres composantes de l’empreinte, comme les « carburants pour non-résidents » (1,63 planète) pourraient aussi être retranchées, mais cela ne suffirait pas à sortir le pays du top ten des « bigfoot ».

Dans son tableau des sous-secteurs de consommation privée, le CSDD a d’ailleurs procédé à ces réductions : ainsi, la consommation de carburant routier, restreinte aux ménages résidents, ne pèse plus que 0,21 planète. Pour rendre justice à la « culture automobile », il convient de rajouter le 0,15 correspondant à l’achat de voitures et de pneus – tout en regrettant que les très répandues voitures de fonction ne soient probablement pas comptabilisées, car ne relevant pas officiellement des ménages.

Planètes et poussières

Plus instructif est le chiffre calculé pour l’impact de l’alimentation : 1,3 planète, dont plus de la moitié en « denrées alimentaires d’origine animale ». Ce qui étaye la recommandation ancienne du CSDD de réduire notre consommation de viande, à laquelle adhèrent d’ailleurs aussi bien Greenpeace que le Mouvement écologique. Les calculs du List permettent aussi de relativiser un sujet relativement médiatisé comme l’empreinte des « équipements et vêtements » (0,06 planète) par rapport à des consommations autrement plus conséquentes comme le chauffage (0,42) ou le sous-ensemble alimentaire « alcool, café, tabac… » (0,18).

Jørgen Randers, dont nous avions apprécié le livre « 2052 – A Global Forecast », a sans doute surestimé la valeur des « fjords » luxembourgeois et mal interprété le terme de « tourisme à la pompe ». Mais il a aussi exhorté le grand-duché à devenir un « role model », un exemple pour les autres. En effet, a-t-il argumenté a contrario, si un pays riche comme le Luxembourg n’est pas capable de se passer des énergies fossiles, comment pourrait-on l’exiger des autres ? L’objectif du « role model » est partagé par le CSDD, qui écrivait la semaine d’avant qu’il fallait « faire du Luxembourg un exemple de la transition écologique et d’une société responsable, ambitieuse et solidaire en interne, vis-à-vis des autres pays, de leurs citoyens et des prochaines générations ».

Exemplaire et responsable

Notons tout de même qu’en se concentrant sur « la mise en œuvre de modes de consommation différents », le CSDD néglige certaines responsabilités politiques auxquelles le Luxembourg ne peut échapper s’il veut servir d’exemple. Tout d’abord, son industrie financière, qui est certes « exportatrice », mais dont l’impact global est considérable et, en attendant des réglementations strictes, néfaste pour l’environnement. Le sujet est thématisé depuis plusieurs années par Greenpeace, mais, au-delà du greenwashing institutionnalisé, souffre d’une faible visibilité. En effet, en ne considérant que l’impact local, une banque est préférable à une fabrique de yaourt, et la plus verte des entreprises est celle qui tient dans une boîte aux lettres.

Autre responsabilité rappelée par Greenpeace, celle de la mobilité de la main-d’œuvre frontalière. Certes, son empreinte n’est pas strictement imputable au Luxembourg. Mais des politiques telles que le dumping des carburants et le retard en matière d’infrastructures ferroviaires, voire l’abandon de l’idée d’en faire des résident-es génèrent des comportements anti-écologiques souvent sans alternatives. Enfin, les pays sont coresponsables des conditions dans lesquelles des biens et services consommés ailleurs sont produits. Cela vaut pour la Chine, de laquelle on exige à juste titre d’améliorer ses standards environnementaux et sociaux. Mais cela devrait aussi inspirer la politique industrielle luxembourgeoise. Après tout, une fabrique ou un data center installé ici et respectant des standards élevés aura certes un impact local négatif, mais contribuera à réduire l’empreinte écologique de l’humanité dans son ensemble.


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