Musique contemporaine : Winds in the City

Ce vendredi aura lieu le deuxième rendez-vous de la série « Lucilin in the City ». Entretien avec le curateur de la soirée, le saxophoniste Olivier Sliepen.

Le saxophoniste Olivier Sliepen, ici en concert à la Philharmonie, a concocté le programme de « Winds in the City ». (Photo : Alfonso Salgueiro)

woxx : Quel est le concept de « Lucilin in the City » ?


Olivier Sliepen : United Instruments of Lucilin voulait donner à ses musiciens la possibilité de présenter leurs propres projets. Une collaboration s’est ensuite créée entre la Ville de Luxembourg et l’ensemble pour le faire dans des lieux un peu particuliers, différents de ceux où l’on écoute la musique contemporaine habituellement.

Le premier concert s’est déroulé dans l’église Saint-Michel. Celui-ci se tiendra dans la galerie Fellner Contemporary : était-ce votre idée de sélectionner cet endroit ?


J’avais effectivement en tête une galerie pour mon projet, car nous ne sommes que trois instrumentistes. Je voulais un lieu intime que les gens ne connaissent pas forcément. D’ailleurs, moi-même je ne connaissais pas ce lieu unique, qui est l’un des bâtiments les plus anciens de Luxembourg-ville.

Comment avez-vous travaillé sur le programme de « Winds in the City » ?


Il y avait d’abord l’idée de mettre en valeur ce qu’on peut appeler le « noyau » des vents de Lucilin : la flûtiste Sophie Deshayes, le clarinettiste Max Mausen et moi-même. Et puis je voulais présenter un programme diversifié, mais qui constitue aussi un défi en termes de virtuosité. Le fil rouge, c’est la musique du compositeur Christian Lauba. Il me fascine depuis pas mal de temps : vers l’âge de 15 ans, je suis allé assister à un cours au conservatoire de Paris, où un étudiant jouait une de ses pièces. Je n’avais encore jamais entendu ça. Très rapidement, j’ai commencé à travailler ses compositions. Je me souviens que quand j’étais au lycée, j’ai enregistré un duo avec le pianiste Pascal Meyer et que nous l’avons envoyé à Christian Lauba sur une cassette ! J’ai ensuite participé lors de mes études à Amsterdam à des master classes qu’il a données. Il a beaucoup écrit pour mon instrument et l’a réinventé, au point qu’on l’appelle parfois le « Paganini du saxophone », car son œuvre pour le saxophone contemporain est comparable à ce qu’a fait Paganini pour le violon. Son style a un côté populaire, mais sans démagogie. Une musique savante, mais pas aride.

Que pouvez-vous nous dire sur les pièces de Christian Lauba qui seront interprétées ce vendredi ?


« Worksong » est une pièce en solo très exigeante, très rapide : au début, on croit qu’on n’y arrivera pas, on est intimidé, mais avec le travail tout s’arrange… et d’autres pièces deviennent plus faciles à jouer. Mais en même temps, la musique est très abordable pour le public. La virtuosité n’est pas le but ; ça, c’est le problème du musicien. J’ai choisi les autres morceaux en fonction des instruments. « Awadi » est pour flûte solo, et « Massaï » est un duo qui peut être interprété par un saxophone alto et un saxophone ténor ou bien un saxophone alto et une clarinette basse. C’est dans cette dernière configuration qu’il sera présenté.

Photos : Alfonso Salgueiro/Yves Melchior

« Une musique savante, mais pas aride. »

Christian Lauba sera présent lors du concert.


Oui, c’est en quelque sorte rassurant, puisqu’il va travailler avec nous pendant les répétitions. D’ailleurs, il dira aussi quelques mots au public sur ses compositions.

Trois autres morceaux viendront s’intercaler dans ce fil rouge.


« Press Release », de David Lang, est un marathon pour clarinette très funky, très groovy. Parfois, on a l’impression que deux clarinettistes jouent en même temps. C’est une pièce de répertoire que je voulais permettre à Max d’interpréter. En ce qui concerne le « Trio pour saxophone, flûte et clarinette » de Beat Furrer, il représente un intermède plus calme, plus méditatif par rapport aux autres œuvres plus rythmées. C’est de la musique contemporaine, mais qui rejoint par moments l’ambient. Anne Castex, quant à elle, a participé à notre Luxembourg Composition Academy en tant que jeune compositrice en 2019. Je trouvais que c’était logique de programmer à nouveau « De l’un à l’autre » dans un concert. L’idée de cette académie est en effet d’intégrer de nouvelles pièces à notre répertoire.

Que diriez-vous aux personnes encore indécises pour les persuader de venir au concert ?


D’abord, il est assez court, une heure environ ! Et puis on peut trouver en ligne certains morceaux à écouter avant, c’est peut-être une bonne idée. Mais surtout, ce sera dans une galerie, donc très convivial : on pourra parler avec les musiciens et le compositeur. Le cadre sera intime, très différent de la Philharmonie. Enfin, la musique contemporaine que nous allons jouer est à la fois exigeante et accessible : elle permet d’écouter avec plaisir nos trois instruments d’une oreille nouvelle.

Ce vendredi 24 février à 19h30, 
à la galerie Fellner Contemporary 
(2a, rue Wiltheim, L-2733 Luxembourg).

Le mot du compositeur

Christian Lauba, né en 1952, sera le compositeur 
« fil rouge » du concert. (Photo : Internet)

J’ai écrit une première mouture de « Massaï » pour le saxophoniste Richard Ducros et le clarinettiste Michel Portal. Elle était courte et suivie d’une improvisation. Comme tout le monde ne peut pas improviser comme Michel Portal, j’ai fini par composer aussi la deuxième partie. C’est Olivier Sliepen que j’ai invité à en faire la création, avec Richard Ducros, dans la version pour deux saxophones. Nous les compositeurs français n’avons pas de véritable folklore, alors nous empruntons. La musique africaine est maintenant dans toutes les oreilles, avec cette pulsation régulière et son mode sur cinq notes que j’essaie de transformer progressivement dans ce morceau. On y retrouve des paramètres musicaux anciens, comme jouer juste, en rythme et avec un timbre traditionnel, mais j’y ajoute des paramètres d’aujourd’hui, comme des sons multiples ou la respiration circulaire. Quoique celle-ci soit évidemment une technique ancestrale… mais les jeunes interprètes y excellent particulièrement. Cela donne une illusion de transe africaine.

J’ai composé « Awabi » pour Juliette Hurel, flûte solo de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. Il s’agit d’un extrait de mon ballet « Zatoïchi », que j’ai isolé et agrandi pour la circonstance. Là aussi, j’ai emprunté à une autre culture musicale, en l’occurrence la japonaise, mais en essayant de l’inclure dans la ligne claire de la musique française – cette même ligne claire que l’on retrouve dans la bande dessinée franco-belge, notamment chez Hergé. J’y utilise les modes japonais à ma manière. Au fond, Bach faisait de même : quand il composait une sarabande, il empruntait à l’Espagne et en tirait tout autre chose. Lui utilisait les danses de son époque ; je suis ancré dans la nôtre, où l’on bénéficie d’un accès aux musiques du monde.

Pour « Worksong », je me suis inspiré des chants d’esclaves africains qui posaient des rails aux États-Unis. J’y utilise bien entendu la gamme du blues, et, comme d’habitude, j’y introduis des paramètres nouveaux, par exemple les slaps, ces claquements faits avec l’anche de l’instrument. La fin est empruntée à un accord d’une chanson de Michael Jackson, « Remember the Time », même si on ne le reconnaît pas car je le propose en arpèges. Au fond, plus on emprunte, plus on devient personnel. D’ailleurs, avec Stravinsky, je pourrais même dire : « Je n’emprunte pas, je vole. » Et ça me convient très bien !


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